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La politique de stabilisation des prix des produits agricoles (céréales en particulier)

Le marché agricole et la gestion de l’information

I. 2.4) Conclusion du paragraphe

I.3) La politique de stabilisation des prix des produits agricoles (céréales en particulier)

L’idée que nous proposons ici est de stabiliser certains prix agricoles, afin de permettre la croissance des opportunités économiques générées par le commerce, tout en protégeant les plus pauvres, les produits ciblés pouvant être essentiellement les denrées de base comme le mil, le sorgho, le maïs et le riz. La stabilisation évoquée ici serait réalisée par un stockage public, surtout pendant les récoltes, garantissant un prix plancher pour les producteurs. Nous ne parlons donc pas de stabilisation absolue mais seulement si les prix sortent d’une fourchette déterminée à l’avance.

Justification de l’idée avancée.

Pour justifier notre idée, il convient de rappeler brièvement les causes de l’instabilité des prix.

Un argument très souvent avancé par la littérature est que la performance des instruments de stabilisation des prix est habituellement discutée sans prendre en compte la ou les causes de l’instabilité des prix. Or un même instrument peut avoir un effet stabilisateur, un effet déstabilisateur ou pas d’effet du tout, selon le type d’instabilité auquel il est confronté (Boussard et al., 2006).

Les causes de l’instabilité des prix sont multiples. Nous proposons de distinguer trois types d’instabilité selon la cause qui en est l’origine (Figures 9, 10 et 11). Ce sont les instabilités naturelles, importées ou endogènes.

Le type d’instabilité le plus souvent pris en compte est « l’instabilité naturelle ». Dans ce cas, l’instabilité des prix est due à la variabilité de l’offre d’une année sur l’autre, du fait des aléas naturels affectant la production (pluies, criquets, etc.). Ainsi, sur le graphique, une « mauvaise récolte » (représentée par la courbe C) conduit au prix P1, alors qu’une bonne récolte (courbe C’) se traduit par le prix P2. Mais, lorsqu’on considère l’instabilité des prix au sein d’un pays, celle-ci peut aussi être « importée » des marchés internationaux (Byerlee et al., 2005). C’est alors la variabilité du prix de parité à l’importation (Pm) ou à l’exportation (Px

) qui provoque l’instabilité des prix sur le marché domestique.

L’instabilité des prix peut enfin être due à la variabilité des anticipations des opérateurs du marché. On parle alors d’instabilité « endogène », le terme endogène renvoyant à l’idée que l’instabilité est générée par le fonctionnement du marché lui-même (Boussard, 1996;

Boussard et al., 2006). Le prix domestique peut ainsi être instable sans qu’il y ait le moindre mouvement dans les fondamentaux du marché (courbes d’offre et de demande domestiques et prix de parité). En effet, compte tenu du décalage temporel entre les décisions de production et les récoltes, les décisions de production (choix de cultures et d’itinéraires techniques) se prennent sur la base des prix anticipés et non des prix réels. Si les anticipations se fondent sur l’évolution passée du marché, une instabilité endogène peut émerger, l’instabilité des anticipations conduisant à une instabilité des prix, qui renforce à son tour l’instabilité des anticipations.

Un premier cas de figure est celui du « cobweb », dans lequel le prix anticipé est égal au prix courant (Ezekiel, 1938). Si Pt est élevé, beaucoup de producteurs augmentent les surfaces emblavées ou intensifient la production, ce qui conduit à la faiblesse de Pt1 , décourage la production et conduit Pt2 à être élevé à son tour (cf. Figure 11 ci dessous).

Un autre cas de figure est celui des phénomènes de bulles spéculatives. Dans ce cas, les opérateurs du marché anticipent que la variation entre t et t 1sera de même signe que la variation qui s’est produite entre t 1 et t. Les hausses succèdent alors aux hausses, provoquant une « bulle » c'est-à-dire une déconnexion avec l’évolution des fondamentaux, jusqu’à ce que le marché « se retourne ».

La plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que les instabilités importée et endogène sont appelées à jouer un rôle majeur dans les prochaines années. La crise de 2008 (qui a été en grande partie engendrée par les mouvements de spéculation et de panique sur le marché physique) en est une bonne illustration (Timmer, 2009 ; Wright, 2009). Ce qui appellent

vivement à des recherches de solutions de stabilisation des prix agricoles dans les nations, surtout pauvres.

Pendant longtemps, la solution au problème de l’instabilité des prix a été recherchée du côté des instruments d’intervention publique dont l’objectif est de maintenir le prix entre certaines bornes. Cependant, au cours des années 80, l’effet bénéfique de la stabilisation des prix a été contesté sur le plan académique (Newbery & Stiglitz, 1981), tandis que sur le plan politique les dispositifs de stabilisation des prix ont été progressivement abandonnés (Gilbert, 1996).

L’idée principale avancée est que la stabilisation des prix agricoles empêche les prix de jouer leur rôle de signal guidant les comportements de production et d’échange. En déconnectant l’évolution des prix de celle de la production, la stabilisation des prix agricoles empêcherait les producteurs de bénéficier de « l’assurance naturelle » procurée par la corrélation négative entre prix et niveau des récoltes. Pour Newbery et Stiglitz (1984), stabiliser les prix alimentaires implique en général de réduire la corrélation entre prix et récoltes et ceci peut in fine accroître l’instabilité du revenu des producteurs.

Mais la crise alimentaire de 2007-2008 et les émeutes urbaines qu’elle a engendrées dans plusieurs pays en développement ont conduit à mettre la question de l’instabilité des prix des produits agricoles au coeur du débat. Cette crise alimentaire a redonné une certaine légitimité aux interventions publiques comme l’illustrent les propositions faites par l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) et la Banque mondiale pour stabiliser les prix des céréales, du moins sur les marchés internationaux (Von Braun et Torero, 2008 ; Lin, 2008

; Von Braun, Lin et Torero, 2009).

En agriculture, parce que la demande est rigide, une faible variation de l’offre se traduit par une forte variation des prix (Araujo Bonjean et Boussard, 1999; Boussard et Delorme, 2008).

En effet, l’alimentation est un besoin vital des hommes qui, par conséquent, sont disposés à tous les sacrifices pour s’en procurer en cas de pénurie. En même temps, une fois ce besoin couvert, les quantités d’aliment en excédent ont peu de valeur. De ce fait, les prix des produits agricoles, dans un marché libre et concurrentiel, sont susceptibles de monter à des hauteurs vertigineuses, comme de descendre au voisinage de zéro. Dans le premier cas, les consommateurs souffrent ; dans le second, les producteurs sont découragés et peuvent réduire voire cesser de produire, préparant ainsi une nouvelle phase de pénurie. L’instabilité des prix est donc une source de risque pour les producteurs. Elle crée une incertitude économique inefficace et socialement désastreuse, qui décourage les investissements productifs et contraint les banques dans l’octroi de crédit aux producteurs (Boussard et al., 2006). Il est

généralement admis que l’offre agricole réagit à la stabilité des prix tout autant qu’aux prix moyens. En conséquence, offrir des prix stables est aussi important qu’offrir des prix élevés.

De plus, des prix agricoles stables et raisonnables permettraient à la fois des gains de productivité dans l’agriculture résultant de la faiblesse des risques associés à l’investissement (Boeserup, 1970). Si les exemples de stabilisation n’ayant pas donné satisfaction sont nombreux, il en est d’autres qui prouvent que ce n’est pas une fatalité. On pourrait dans ce cas citer l’expérience des pays du Sud-Est asiatique (Raisuddin et Delgado, 1993). Comme il n’y a aucune raison pour qu’à l’avenir le libre jeu du marché conduise à des prix stables, plutôt que d’opposer de façon frontale stabilisation et libre-échange, il est préférable de voir à la lumière de cas concrets quelles conditions doivent être recherchées pour permettre au niveau national une stabilisation efficace et un accès beaucoup plus facile au marché.

Figure 9: Instabilité « Naturelle »

P

Pm

P1

P2

Px

D

C

C

'

Q

Figure 10: Instabilité « Importée »

Figure 11: Instabilité « Endogène ».

P

et

D

C

Q

C

Q