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État de la question dans les pays en développement

I) Analyse théorique du rôle du secteur agricole dans le développement

I.2) État de la question dans les pays en développement

La spécialisation dans les produits primaires d’exportation (agricoles et miniers) est largement issue de la colonisation européenne du continent (Losch, 2009) et a un poids historique dans la structure des exportations de ces pays en développement indépendamment de tout fondement économique (avantage comparatif). Un autre point de vue est que le pacte colonial est basé sur les avantages comparatifs. Du fait des avantages comparatifs, la colonie devait se spécialiser dans les cultures d’exportation tandis que le colonisateur fournissait les biens manufacturés, pour lesquels il maîtrisait la technologie (Boussard et al., 2006). Curieusement, cette doctrine fondée sur la théorie ricardienne des avantages comparatifs est encore populaire au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Cette mesure a eu quelques effets positifs, avec un boom sur les matières premières, du moins au début.

En effet, conformément aux prescriptions des économistes du développement et des experts spécialistes d’une certaine philosophie agricole, la Côte d’Ivoire, spécialisée dans la production du cacao, le Burkina dans le coton ou encore le Sénégal avec l’arachide aujourd’hui auraient dû être des pays développés et intégrés, au sens de Perroux. Or il n’en est rien. Le voile se lève et la dure réalité est là. Le rêve s’estompe et l’on se demande alors

comment faire pour repartir. Au delà des raisons politiques, le principal problème associé à cette approche est la détérioration des termes de l’échange.

Le débat sur les termes de l’échange a été lancé par Prebisch (1950) et Singer (1950).

L’hypothèse dite de Prebish-Singer, émise dans les années 50, suppose une tendance à la dégradation des termes de l’échange au détriment des économies à spécialisation primaire, provoquée par l’évolution défavorable à long terme des prix des matières premières. Les termes de l’échange désignent le ratio « prix des exportations »/« prix des importations ». La mesure des termes de l’échange reste très délicate car le résultat dépend des poids associés à chaque type de biens. Néanmoins, les conclusions de plusieurs études (Grilli et Yang, 1988 ; Nezeys, 1989 ; Ocampo et Parra, 2003 cité par Boussard et al., 2006) confirment la tendance à la baisse de ce ratio, obligeant les pays en voie de développement à exporter un volume de biens de plus en plus important pour maintenir un niveau constant d’importation (Boussard et al., 2006). La dégradation des termes de l’échange a donné lieu à plusieurs interprétations.

Pour Malthus, cette dégradation des termes de l échanges s’explique par la compétitivité. Les matières premières sont vendues sur des marchés internationaux, compétitifs. Elles sont également produites par une main-d’œuvre non qualifiée des pays en voie de développement.

Le prix de ce travail doit alors correspondre au niveau de reproduction de la force de travail, c'est-à-dire le niveau de subsistance, en dessous duquel les travailleurs mourraient.

Pour Prebish, la cause principale de la détérioration des termes de l’échange serait l’impact divergent, sur les prix, des gains de productivité selon qu’ils concernent les matières premières (issues de l’agriculture ou du secteur minier) et les produits manufacturés. Dans les pays développés, les gains de productivité dans la production des biens manufacturés sont censés engendrer des revenus plus élevés, notamment des hausses de salaires sous la pression de syndicats puissants et organisés. Par contre, dans les pays en développement, les gains de productivité réalisés dans la production des matières premières se traduiraient par la baisse des prix, les syndicats étant inexistants ou insuffisamment organisés ; d’où la détérioration des termes de l’échange de ces pays, qui contribue à l’augmentation des revenus réels dans les pays développés. En d’autres termes, quel que soit le lieu ou le secteur où se produisent des gains de productivité, ils entraînent inexorablement la hausse des revenus réels des pays développés et la diminution de ceux des pays en développement.

Une autre cause évoquée par Prebisch, dans un article en 1952, met l’accent sur les caractéristiques de l’offre de travail. Il s’agit de l’hypothèse d’un sous-emploi massif dans les pays producteurs de matières premières. Cette cause fait référence à l’hypothèse de Lewis d’une offre de travail infiniment élastique pour le niveau de salaire en vigueur.

Prebisch (1959) attribue la détérioration des termes de l’échange à la différence dans les inélasticités revenu de la demande entre les pays en développement et les pays développés. Il semble, en effet, que la consommation des produits primaires ait séculairement tendance à croître à un taux plus faible que le revenu. Leur production représente un pourcentage de plus en plus faible dans la production mondiale et le phénomène a encore eu tendance à s’accélérer au cours de ces dernières décennies. De ce fait, l’élasticité revenu de la demande pour les fibres et l’alimentation est plus faible dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. En même temps, elle est plus élevée dans les pays en développement pour les matériels industriels importés des pays développés. De ce fait, la croissance des revenus engendrés par le développement augmente plus la demande d’importation des pays en développement que celle des pays développés ; ce qui exerce in fine une pression à la hausse plus importante sur les prix des importations des pays en développement que sur leur exportation.

Selon Boussard et al., (2006), quels que soient les fondements de la détérioration des termes de l’échange, toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour une évolution défavorable aux pays en développement. Ce n’est donc sûrement pas en exportant uniquement des biens agricoles, que l’Afrique, ou tout autre pays, pourra se développer. Ce qui ne signifie pas qu’il faille supprimer toute exportation de bien agricole !

Du fait des déficiences du pacte colonial, déficiences liées principalement à la détérioration des termes de l’échange, il était nécessaire de changer de stratégie de développement.

Les politiques de développement industriel des années 50 et 70 l’ont tenté, et elles correspondent largement à l’analyse industrio-centriste de la croissance. Basées sur des systèmes taxant le secteur agricole, soit directement à travers des politiques sectorielles, soit indirectement à travers des politiques macro-économiques défavorisant l’agriculture, elles ont conduit à des transferts massifs depuis le secteur agricole vers les autres secteurs de l’économie. Ce type de politique a été largement critiqué et contesté par la Banque Mondiale et le FMI sous le prétexte que c’est un vol des paysans. Dès la fin des années 70, le constat a fait que ces politiques ne conduisent pas à un développement des activités industrielles (Todaro,1995) et les hypothèses industrio-centristes de la transition structurelle sont aujourd’hui remises en causes dans le cas de l’Afrique sahélienne. Par exemple, l’hypothèse

d’un excédent de main-d’œuvre dans le secteur agricole peut poser problème malgré son apparente évidence dans certains pays. Cette hypothèse n’est pas toujours vérifiée, car les excédents de main-d’œuvre rurale sont généralement employés, en tout cas en période de récolte et même en période d’activité intense agricole.

On constate de plus en plus de prise de position agro-centriste en ce qui concerne les pays d’Afrique sahélienne (Economic report on Africa, (2009) ; Rapport de la Banque Mondiale, (2008)). Non seulement des dirigeants africains mais aussi des experts internationaux ont reconnu le rôle crucial de l’agriculture dans de nombreux pays africains pour la croissance économique, la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. L’engagement pris par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, lors du sommet de Maputo, au Mozambique, en juillet 2003, de doubler en cinq ans la part des budgets nationaux consacrés à l’agriculture est un exemple parmi tant d’autres.

I.3) Quelques constats faits sur l’agriculture africaine au regard des nombreux défis