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Quelques constats faits sur l’agriculture africaine au regard des nombreux défis pour les pays sahéliens

I) Analyse théorique du rôle du secteur agricole dans le développement

I.3) Quelques constats faits sur l’agriculture africaine au regard des nombreux défis pour les pays sahéliens

Indépendamment des débats d’économie politique sur les raisons qui ont conditionné les choix des politiques publiques par le passé, il convient de se poser la question de l’importance de l’agriculture pour le développement de l’Afrique sahélienne, au regard de la situation actuelle. Le raisonnement des différents chefs d’État africains et des experts internationaux argumentant le rôle indispensable de l’agriculture pour la croissance économique et la lutte contre la pauvreté dans les pays d’Afrique sahélienne provient de plusieurs constats dont nous avons retenu les principaux.

1/ Il y a une prépondérance dans la structure économique des pays sahéliens d’un secteur agricole peu productif, qui subit les effets négatifs du changement climatique. En Afrique subsaharienne, 70% de la population est toujours agricole et l’agriculture crée environ 30% du PIB et 60% des recettes d’exportation (Rapport de la Banque Mondiale, 2008 ; Deveze, 2009). Pourtant, l’agriculture africaine majoritairement manuelle et utilisant peu d’intrants est aujourd’hui peu productive par rapport à l’agriculture la mieux équipée et la plus performante des pays développés (1 contre 2 000) (Mazoyer et Roudart, 2002). Les effets du changement climatique rendent les productions risquées et les rendements aléatoires. Si la production africaine a connu une croissance non négligeable jusqu’à aujourd’hui, c’est par l’extension des surfaces cultivées. Dans les zones de forte pression démographique, on assiste à des fortes pressions foncières et parfois à des crises agraires.

2/ La plupart des pays d’Afrique sahélienne n’ont pas encore véritablement entamé la dernière partie de leur transition démographique et souffrent toujours plus de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire (Guengant et May, 2007). Selon ces auteurs, les évolutions démographiques en Afrique sont décalées par rapport au reste du monde. Les statistiques sur la démographie présentent une croissance démographique galopante en Afrique (en moyenne 2,5% par an). Historiquement, on a parlé de deux chocs majeurs pour le continent noir : l'esclavage et la colonisation. Guengant et May (2007) expliquent qu'entre 1 500 et 1 900, la population de l'Afrique n'a pratiquement pas augmenté. Certains auteurs estiment même qu'elle a diminué, alors que la population mondiale était multipliée par 3,5 et celle de la Chine, comme celle de l'Europe, par 5. En poids relatif, la part de l'Afrique subsaharienne dans la population mondiale a donc baissé jusqu'à ce qu'une récupération s'amorce. Cette poussée démographique africaine obéirait donc selon Guengant et May (2007) à un phénomène de rattrapage.

Si l'on se réfère aux perspectives démographiques élaborées par le CERPOD (1988), pour la région sahélienne, on constate que, quel que soit le scénario envisagé, la population du Sahel va plus que doubler en 2020. Elle passera de 54 millions en 1997 à 72 millions en 2010, pour s'établir entre 95 et 115 millions d'habitants en 2020, et sa population urbaine augmentera.

Selon les pays, entre 20 et 50% de la population est urbaine contre seulement 20% il y a 50 ans (Ferry, 2007). En dépit d’une migration rurale-urbaine importante et de l’urbanisation croissante, il est également probable que le nombre de ruraux continuera d’augmenter (FAO, 2009).

Ce constat implique la nécessité de répondre à une demande alimentaire qui explose : la demande en produits vivriers a doublé entre 2000 et 2010 en Afrique et risque de quintupler dans certains pays d’ici 2030. Malgré la croissance agricole affichée par la région, plus de 200 millions de personnes, soit plus de 30% de la population totale, souffriraient de faim et de malnutrition chronique (FAO, 2009). Ce qui justifie l’urgence pour l’Afrique d’atteindre l’objectif 1 des Objectifs du Millénaire pour le développement (OM): « réduire l’extrême pauvreté et la faim » par le secteur agricole.

Pendant longtemps, des auteurs (Badouin, 1962 ; Raisuddin et Delgado, 1993) ont soutenus que dans les pays d’Afrique Sahélienne, toutes les fois que la population sera clairsemée, sa mobilisation en vue de l’exécution de travaux d’équipement exigera une intervention administrative dont le coût réduira l’intérêt de la formule. Dans cet ordre d’idées, la croissance démographique pourrait aussi être positive, en ce sens que l’accroissement de la population et la forte densité qu’il pourrait entraîner inciteraient à des investissements publics (infrastructures routières par exemple). La croissance démographique constituerait aussi un

moteur à l’intensification en poussant les sociétés agraires à accroître la production agricole pour répondre à l’augmentation des besoins (Boserup, 1970). Ceci impliquerait un changement des méthodes de culture qui deviendraient plus intensives aussi bien en capital qu’en travail.

3/ L’industrialisation attendue de l’économie africaine n’a pas eu lieu avec le développement urbain et la pauvreté reste et restera majoritairement rurale. Bien que la croissance économique en Afrique ait atteint des taux de 5 à 6 %, la croissance des activités industrielles a été très inférieure à la croissance de la population urbaine et n’a pas absorbé la main-d’œuvre abondante venue des campagnes. L’urbanisation n’a pas non plus créé l’effet d’entraînement espéré sur le secteur agricole. Le développement des marchés agricoles intérieurs, le pouvoir d’achat créé par les villes ont essentiellement servi à importer des biens alimentaires. On a assisté à la création d’un secteur informel important et au développement d’une pauvreté urbaine massive. Todaro et Harris (1970) parlent de « trappes de sous-emploi », Mazoyer et Roudart (2002), de « chômage visible et chômage caché ». Parmi les hypothèses avancées, figurent la faiblesse du tissu économique et institutionnel, la faiblesse du capital humain et l’ampleur de l’écart de la productivité, surtout celle du travail. L’écart de la productivité globale du travail1 des pays africains avec les autres pays en développement (émergents) est de 1 à 5 et de 1 à 100 avec les pays de l’OCDE. Compte tenu de la croissance démographique, et ce malgré l’urbanisation, la pauvreté reste et restera encore majoritairement rurale et donc agricole. C’est pourquoi plusieurs auteurs et les institutions de Bretton Woods (notamment la Banque Mondiale) affirment que le développement d’activités agricoles est plus efficace pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire que la promotion d’autres activités économiques (Timmer, Rapport de la Banque Mondiale, 2008).

4/ Les questions de faim et de pauvreté sont étroitement liées au secteur agricole : la faim affecte en majorité les agriculteurs pauvres, acheteurs nets de produits agricoles sur les marchés. Le développement de l’agriculture permet à ces agriculteurs pauvres, non seulement d’accroître la production de subsistance, mais aussi leur revenu pour acheter les biens alimentaires généralement disponibles sur les marchés (en période de soudure surtout).

Face à ces différents constats, les recommandations sont convergentes : l’objectif d’un développement économique – développement qui lutte contre la faim et la pauvreté dans les pays d’Afrique sahélienne – passera nécessairement par le développement du secteur agricole, ce qui n’exclut pas le développement des autres secteurs de l’économie.

1 La productivité du travail est calculée ici en rapportant la valeur ajoutée au nombre d’actifs.

L’idée que la situation de la plupart des pays en développement est le résultat du processus d’appauvrissement du secteur agricole et qu’il faut investir de façon massive dans ce secteur, notamment en termes de biens publics, bénéficie aujourd’hui d’un consensus. Cependant, les recommandations politiques précises pour amorcer le processus de développement sont extrêmement divergentes. On peut considérer que ces recommandations sont, d’une part, liées à la stratégie de développement agricole qu’elles impliquent et, d’autre part, à la question de la justification de l’intervention publique et de la place du marché.