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1.2) De l’intervention sous forme de projets aux lourds endettements des États

Les projets de développement agricole prirent des formes très variables selon les objectifs qui leur furent assignés. Nombreux furent les projets sectoriels destinés à l’accroissement d’une ou de quelques productions particulières (café, cacao, oléagineux, viande bovine, etc.) et pris en charge par des « sociétés de développement » spécialisées. De tels projets ont obtenu parfois d’excellents résultats grâce à l’intégration des exploitations agricoles dans de véritables filières nationales de production, transformation et commercialisation des produits.

Les projets de production cotonnière en Afrique soudanienne s’inscrivaient aussi dans ce cadre. Une compagnie, Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles (CMDT au Mali), Société Burkinabè des Fibres et Textiles (SOFITEX, au Burkina), prit la responsabilité de toutes les opérations situées en amont ou en aval de la production agricole. L’objectif essentiel de la compagnie était d’assurer la continuité des flux physiques et financiers. Par le biais de l’intégration verticale, les exploitants furent assurés de pouvoir acheter à crédit les intrants nécessaires à la production et de vendre leur récolte au même organisme à un prix fixé à l’avance.

Là aussi, des problèmes d’organisation se sont posés. Les filières organisées par l’État furent parfois très difficiles à gérer de façon centralisée, avec de gros problèmes en matière de logistique et de trésorerie. Les chocs liés à la crise pétrolière et la sécheresse ont montré les limites de ce modèle de production. A cela s’ajoutent les importants déficits liés à la chute des cours des matières premières et les nombreuses défaillances des États dans la gestion et l’utilisation de la rente issue des filières d’exportation (Dieye, 2008).

Les camions par exemple, dont l’usage était réservé exclusivement à une seule filière de production, furent contraints fréquemment de rouler à vide, ou de n’être remplis qu’à un faible pourcentage de leur capacité, du fait de devoir assurer la fourniture des intrants ou la collecte des produits jusqu’aux plus petits villages. La quasi-simultanéité des différentes opérations (agricoles ou commerciales) relatives à une même culture fit que les « sociétés de développement » eurent des flux financiers qui présentaient des oscillations considérables, avec des périodes de déficit de trésorerie qui succédaient à des périodes au cours desquelles

les liquidités étaient abondantes. Il se créa alors des retards au niveau de la livraison des intrants, de la récolte des produits et du paiement des récoltes. Pour palier à ces difficultés, de nombreuses sociétés de développement se sont vues obligées de s’intéresser à d’autres productions que celles pour lesquelles elles avaient été initialement conçues. Très vite se posèrent des problèmes d’intégration des diverses activités agricoles au niveau régional. Des projets de développement régional intégré ont donc été financés et mis en œuvre dans le but de mieux organiser la coordination des interventions de l’État au niveau des régions. Des

« offices régionaux de développement » furent crées dans de nombreux pays en développement (Burkina Faso, Tunisie, Haïti, etc.) avec parfois des attributions qui débordèrent largement du seul domaine agricole pour concerner aussi l’hygiène, la santé, les transports, l’éducation etc.

Les interventions sous forme de projets convinrent aux bailleurs de fonds pour qui l’important était de pouvoir comparer les avantages et les inconvénients des différents projets par le biais de critères d’évaluation économique relativement simples : ratios bénéfices/coûts, taux de rentabilité interne, etc. Afin de se simplifier la tâche et de réduire les coûts de leurs propres services, les agences de financement manifestèrent une préférence très marquée pour les projets de grande dimension, d’exécution rapide et faciles à suivre. En concentrant les moyens financiers sur des secteurs d’activité précis et de courtes périodes, les projets gigantesques ont introduit des distorsions dans l’affectation des ressources entre secteurs d’activité. Il en a résulté très souvent une sous-utilisation des infrastructures, avec parfois des charges récurrentes bien difficiles à assumer. De nombreux projets agricoles ont ainsi contribué à gonfler la dette extérieure. Vinrent alors des programmes d’ajustement structurel et la libéralisation.

II.2) Les programmes d’ajustement structurel et la libéralisation.

En difficulté pour rembourser les prêts internationaux qui leur ont été accordés, beaucoup de nations en développement devraient accepter de soumettre leur économie à des programmes d’ajustement structurel en contrepartie d’un rééchelonnement de leur dette extérieure. La tendance à une régulation par le marché comme meilleur vecteur de justice sociale que l’action publique s’est donc naturellement imposée. Les politiques d’ajustement structurel s’inscrivent dans un cadre idéologique libéral. Cette vague libérale des années 80 et 90 a balayé les anciennes certitudes de l’intervention publique pour afficher la suprématie du

marché (Ribier et Le coq, 2007). Ces politiques englobent deux types de mesures : une mesure à court terme, la stabilisation, qui doit rétablir les grands équilibres, et une phase de moyen-long terme, la transformation structurelle, qui doit poser les bases d’un modèle de développement auto-entretenu en rupture avec les pratiques précédentes (Fontaine, 1994).

La première mesure vise donc à rétablir les grands équilibres macroéconomiques et à résorber les déficits internes et externes. Elle est constituée d’un ensemble coordonné de mesures qui doit préparer le terrain à la transformation structurelle. Une des mesures centrales dans le processus de la stabilisation est la réduction du déficit public, perçu comme étant à l’origine des déficits extérieurs et des tensions inflationnistes.

La philosophie de la transformation structurelle s’appuie sur l’idée que le bilan de l’intervention étatique dans l’économie a été globalement négatif. L’intervention de l’État dans de nombreux secteurs de l’économie par le biais de subvention, de prix de soutien, de financements d’organismes régulateurs, présente un coût budgétaire important, en grande partie responsable du déficit des finances publiques (Griffon et Ribier, 1992). Par conséquent, les formes d’intervention de l’État doivent changer. L’État n’interférera plus, ni dans les décisions, ni dans les productions. Les marchés intérieurs devraient êtres libéralisés, les entreprises publiques privatisées. Dans ce contexte, les différents secteurs de l’économie sont mis en concurrence et toute intervention protectionniste interne vis-à-vis d’un secteur particulier est bannie.

La « libéralisation » des marchés, adoptée dans ce cadre d’ajustement structurel, a d’abord laissé penser que le décalage entre politique affichée et politique réellement pratiquée allait disparaître et qu’ensuite les politiques devraient devenir par nature plus efficaces (Coste et Egg, 1994). A cet effet, la pensée libérale possède et utilise plus de registres de justification pour sa défense. L’argumentation scientifique par le calcul économique est le cheval de bataille de cette idéologie. Selon cette argumentation, on attend des politiques de libéralisation qu’elles aient des effets positifs sur les pays en développement, mais aussi, à moyen terme, sur les pays développés. Cela est le plus souvent confirmé par des résultats issus de modèles essayant de prévoir ex ante les gains potentiels. De ce point de vue, plusieurs modèles appliqués, représentant schématiquement l’économie mondiale, chiffrent ainsi les gains de la libéralisation : des milliards de dollars de bien-être (Bouët et al., 2004 ; Pingault, 2002 ; Gérard, 2002). Il faut toutefois remarquer qu’il existe une grande variabilité des résultats quant aux gains potentiels d’une libéralisation du secteur agricole (même si tous les résultats s’accordent pour annoncer, ex ante, des bénéfices).

De ce fait, les thèses de la libéralisation considèrent que les mesures internes de soutien et de protection ainsi que les barrières aux frontières provoquent des pertes de revenus et

d’utilité dues à la mauvaise allocation des ressources. La libéralisation se justifie donc fondamentalement par la possibilité de gains mondiaux élevés si les pays suivent ce principe mais aussi par l’évitement des coûts administratifs liés à l’intervention publique3.

Ces démonstrations enthousiasmantes ont pendant longtemps permis au courant libéral de qualifier les idées de protection du secteur agricole comme non théorisées et très subjectives (elles sont dites « molle » par analogie aux idées marchandes et industrielles « dures », chiffrées, théorisées). Cependant, force est de constater qu’il existe un décalage entre les

« dires » et les « pratiques » dans le secteur agricole. C’est un secteur délicat à manier pour les décideurs : au niveau mondial, surtout dans les pays développés, c’est le secteur d’activité le plus protégé aujourd’hui et qui est le dernier à être entré dans le cadre des négociations à l’OMC. Au niveau régional, lors de la conception d’accords, des clauses et dérogations stipulent toujours une certaine spécificité à l’agriculture. Cette spécificité a permis et permet toujours à la plupart des pays développés de soutenir et de protéger leur agriculture.

Cette situation n’a donc pas échappé aux différentes pressions et critiques d’ordre international et national en faveur de la libéralisation, idéologie prônée par la plupart de ces décideurs, qui soutiennent pourtant leur agriculture.

II .2.1) Les pressions en faveur de la libéralisation

Les pays développés (entendus ici, membres de l’OCDE) interviennent plus que les pays en développement dans leur agriculture. Cela peut sembler paradoxal puisque ce secteur représente dans les pays en développement une proportion d’actifs et du PIB souvent bien plus élevée que dans les pays développés, où la tendance globale depuis un demi-siècle est à la baisse de la part des actifs agricoles et de celle de l’agriculture dans la valeur ajoutée nationale.