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1.1) Des interventions publiques peu efficaces ?

Dans les pays africains, on constate un décalage souvent important entre les politiques affichées (c’est-à-dire celles qui transparaissent à la lecture des lois, décrets et différents instruments de la réglementation publique) et les politiques effectivement mises en œuvre.

Plusieurs auteurs soutiennent que dans les pays en développement la multiplication des institutions chargées d’infléchir le développement agricole dans le but de l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs agricoles s’est rarement révélée opérationnelle (Egg et Grégoire, 1992 ; Coste et Egg, 1994 ; Hayami et Ruttan, 1998).

La logique interventionniste a largement été critiquée du fait de son incapacité à tenir compte des réalités, de son coût et finalement de son inefficacité face aux besoins réels (Morvant-Roux, 2008). La dispersion des efforts à travers de trop nombreux services administratifs n’a pas toujours permis aux pouvoirs publics d’intervenir à bon escient et les agriculteurs n’ont pas souvent reçu les appuis dont ils avaient besoin aux moments les plus opportuns.

D’après Asche (1994), on a au contraire assisté le plus souvent à l’émergence et au renforcement d’une classe de fonctionnaires bureaucratiques, peu au fait des réalités agricoles concrètes, et dont les moyens d’intervention sur le terrain n’ont pas toujours été à la hauteur des ambitions affirmées. Le budget de l’État destiné à l’agriculture, consacré pour l’essentiel aux salaires et dépenses de fonctionnement, n’est parvenu que pour une faible part dans les mains des agriculteurs.

Trop souvent confinée dans ses laboratoires et stations expérimentales, la recherche agronomique n’a apporté que des réponses très partielles aux problèmes réels et concrets des agriculteurs. La priorité fréquemment accordée à la sélection de variétés ou races à haut potentiel génétique s’est traduite par la nécessité de mettre au point des « paquets techniques » sophistiqués et coûteux, exigeants en intrants d’origine industrielle, mais rarement appropriés aux conditions socio-économiques des agriculteurs agricoles.

Les services de vulgarisation agricole organisés de façon hiérarchique et autoritaire n’ont disposé le plus souvent que de normes techniques inadaptées à la diversité des conditions de production et n’ont pas été capables de fournir aux scientifiques les thèmes de recherche qui auraient pu répondre davantage à leurs préoccupations. Le cloisonnement des responsabilités entre les services de recherche et de vulgarisation et la méconnaissance des réalités socio-économiques paysannes dont font encore preuve de trop nombreux ingénieurs agronomes et techniciens agricoles sont de plus en plus dénoncés, de nos jours, comme étant à l’origine des erreurs commises en matière technologique (Dufumier, 1996).

Les critiques relatives aux organismes de financement ont été l’œuvre de plusieurs auteurs (Lecaillon et Morrisson, 1985 ; Dufumier, 1996; Bethemont et al., 2003, etc.).

Selon ces différents auteurs, l’échec de nombreux projets de développement agricole est dû à l’incapacité des institutions étatiques à définir des objectifs clairs et à anticiper l’aide exogène

qui devrait, selon une logique de développement endogène, représenter une mesure d’accompagnement et non pas la source principale de l’intervention.

Les banques ou caisses nationales de crédit agricole mises en place pour répondre aux besoins de financement des exploitations ont presque toutes éprouvé de graves difficultés financières pour poursuivre leurs activités. Beaucoup incriminent l’insuffisance du taux de recouvrement de leurs créances. Destinées à fournir aux paysans les prêts qui leur étaient nécessaires pour acheter le matériel ou les intrants indispensables à la production, ces institutions n’ont pas toutes su répondre aux besoins effectifs des producteurs et n’ont pas fait preuve d’une souplesse suffisante pour s’adapter aux conditions aléatoires de l’activité agricole. Nombreux sont les organismes de crédit qui, par crainte de détournements, n’ont accordé leurs prêts que moyennant des règles très strictes quant à leurs conditions d’utilisation, pour des cultures ou des élevages très spécifiques, et pour l’achat de biens ou services dont la nature et l’emploi devaient être soigneusement précisés à l’avance. De peur que les fonds ne puissent être utilisés à d’autres fins que celles pour les quelles les prêts étaient octroyés, les agences officielles de crédit ont longtemps hésité à avancer de l’argent aux agriculteurs et ont préféré leur fournir directement les biens et services en question, quitte à exiger un remboursement en nature au moment des récoltes. Le problème est que les exploitations familiales géraient, quant à elles, des systèmes de production qui incluaient des activités autres que celles pour lesquelles des crédits étaient accordés, et ne différenciaient pas nécessairement les comptes de leurs exploitations et ceux de leurs agriculteurs. Les prêts publics ne furent donc pas toujours adaptés aux variations de leurs flux financiers et à la situation de leurs trésoreries. Les difficultés de gestion, et les lenteurs administratives inhérentes à ces modalités de prêts et de recouvrement ont, par ailleurs, très souvent occasionné des retards dans la livraison des intrants et dans le paiement des soldes à la récolte. C’est peut-être l’une des principales raisons qui obligent de nombreux chefs d’exploitation à continuer fréquemment d’avoir recours aux usuriers, qui prêtent à des taux beaucoup plus élevés, mais offrent davantage de souplesse dans l’attribution des prêts et les modalités de remboursement (Asche, 1994).

Les offices de commercialisation étatique et les pseudo-coopératives qui ont bénéficié parfois dans les pays en développement d’une position de monopole pour l’achat et la revente de certains produits agricoles n’ont pas été non plus d’une grande efficacité opérationnelle (Gagnon, 1987 ; Egg et Grégoire, 1992). Faute de bien connaître les variations conjoncturelles de l’offre et de la demande pour chacun des produits, à tout moment et en tout lieu, et faute de disposer de ressources suffisantes pour l’accomplissement de leurs obligations, les responsables de ces offices n’ont que rarement pu agir avec la souplesse nécessaire pour

réguler les prix sur les marchés dans lesquels les fluctuations furent même parfois amplifiées par les interventions intempestives des pouvoirs publics. La gestion centralisée des stocks régulateurs – soulignons qu’elle n’a que très rarement existé – s’est avérée finalement beaucoup plus délicate et coûteuse que prévu, et nombreux sont les offices qui ne purent intervenir qu’accessoirement sur les marchés, laissant une marge de manœuvre considérable aux commerçants privés. L’État a très souvent échoué dans ses prétentions à vouloir réduire les prérogatives des commerçants ruraux. Il les considérait comme des ennemis alors qu’il aurait fallu s’allier avec eux ! Le monopole théorique confié à certains offices de commercialisation étatiques a presque toujours abouti à l’émergence d’une bureaucratie corrompue dont les agissements se sont très souvent révélés contradictoires aux intérêts des agriculteurs.

Pour ce qui est de la tenure, même si les paysans de nombreux pays en développement ne sont pas menacés d’expulsion, son ambiguïté mérite qu’on lui accorde une attention. Nombreux États des pays en développement ont souvent prétendu infléchir les choix techniques et économiques des agriculteurs et des éleveurs en réglementant les modalités de leur accès à la terre comme l’attribution de l’usufruit moyennant des contraintes diverses. Les interventions de l’État n’ont malheureusement pas toujours tenu compte de la complexité et de la diversité des situations locales. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, les États ont cru bon de légiférer de façon relativement uniforme pour les différentes régions de chaque pays concerné, prenant souvent le contre-pied des droits coutumiers reconnus jusqu’alors par les populations, avec parfois pour effet de générer encore plus d’incertitudes que par le passé sur les droits et devoirs de chacun en matière de possession foncière. Or les paysans refusent généralement de procéder à des investissements à rentabilité différée sur des terres pour lesquelles ils ne disposent pas d’une sécurité suffisante quant à la tenure, faute d’être sûrs de pouvoir en profiter ultérieurement. Cette insécurité de la tenure est souvent vue comme la cause de la faible participation paysanne à la gestion et à l’entretien de nombreux ouvrages d’intérêt collectif : périmètres irrigués, ouvrages de défense et restauration des sols, reboisement, etc.

(Bethemont et al., 2003)

En résumé, la multiplication des institutions nationales chargées d’intervenir sur le développement agricole dans le but de la réduction de l’autosuffisance alimentaire et de la pauvreté rurale, s’est manifestée rapidement par une grande dispersion des moyens et de réelles difficultés pour coordonner les efforts (Hirsch, 1986). Les budgets affectés à chacune des administrations pour la fourniture des services dont a besoin la paysannerie ont souvent été alloués à d’autres fins contradictoires. Soucieux de pouvoir contrôler l’emploi exact de

sommes qu’ils octroyaient sous forme de dons ou de prêts, les bailleurs de fonds internationaux et les agences de coopération bilatérales imposèrent alors aux États de concevoir et de mettre en œuvre de véritables projets de développement agricole avec des objectifs soigneusement définis à l’avance pour la réalisation desquels l’ensemble des interventions publiques devait être soigneusement planifié.

II.1.2) De l’intervention sous forme de projets aux lourds endettements