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Les points d’eau historiques des îles dans la première moitié du XX e siècle

Histoire de la question de l’eau sur les îles de Bretagne

2. L’eau, un enjeu historique de l’aménagement insulaire

2.2. Les points d’eau historiques des îles dans la première moitié du XX e siècle

2.2.1. Puits, fontaines, citernes et lavoirs publics

Les premiers travaux d’adduction d’eau ont concerné les points d’eau historiques des îles : les fontaines, les puits et les lavoirs. Sur les îles du Ponant, il n’existait, avant le XIXe siècle, que des « lavoirs-trous » ou doués, qui n’étaient autre chose que des mares autour desquelles des pierres étaient disposées pour les lessives. Sur l’île de Groix, « tous les villages n’avaient pas leur lavoir ni même leur trou. Les femmes du Méné, pour la plupart, lavaient dans des fûts coupés en deux et remplis à seau d’eau du puits ou de la fontaine » (Bellec, 1994). A Ouessant, jusqu’à la mise en place du réseau d’eau potable sur l’ensemble du territoire insulaire, au cours des années 1960, les habitants s’approvisionnent en eau grâce aux nombreux puits et fontaines que compte l’île (Bohéas, 1883 ; Appriou, 1979). Dans la première moitié du XXe siècle, en raison des préoccupations hygiénistes et de l’application de la loi relative à la protection de la santé publique du 19 février 1902, de vrais lavoirs seront construits sur la plupart des îles : Hoëdic, Houat, Belle-Île, Ouessant et Groix. Sur les trois dernières, il s’agit d’améliorer le confort de vie des îliens en installant des lavoirs maçonnés dans tous les hameaux. A Ouessant par exemple, la décision de construire trois lavoirs est prise en 1932 pour les villages de Porz Gueguen, Kergoff, et Poull i Gouchen76 ; par ailleurs, un certain nombre de délibérations concerne l’entretien des lavoirs publics. Dès les années 1850, la municipalité groisillonne approvisionne les dépenses additionnelles de son budget pour réparation et constructions de fontaines et de lavoirs. Ce sont ainsi dix-neuf délibérations qui évoquent la question entre 1851 et 1898. Dans les années d’après-guerre, deux lavoirs seront construits dans des villages importants de l’île de Groix :

« M. le président expose à l’assemblée qu’il y a lieu de faire exécuter les travaux de construction d’un lavoir à Praceline-Locmaria, lequel sera d’une utilité incontestable pour les habitants du village de Locmaria, gros village de près de 1 000 habitants qui ne dispose que d’un seul lavoir »77. « Considérant que les habitants du village de Créhal sont dans l’obligation de blanchir leur linge dans des endroits qui laissent beaucoup à désirer quant au point de vue hygiène, ou de se rendre dans des lavoirs éloignés de leur habitation, qu’il y a lieu de ce fait de leur donner satisfaction »78.

Sur l’île d’Hoëdic, la construction déjà évoquée d’un lavoir est décidée en 193679. Jusque-là, il semble que l’île ne disposait que d’une fontaine publique et d’un lavoir, selon les indications de V.-E. Ardouin-Dumazet en 1903 : « La fontaine publique et le lavoir ont été préservés des souillures par un mur cyclopéen ». En outre, « dans l’Argol viennent se perdre les eaux douces, nées dans la fontaine sous l’église et alimentant le lavoir public » (ibid.). A Molène et Sein enfin, l’alimentation en eau potable reposera longtemps sur l’exploitation de rares puits, puis, à la fin du XIXe siècle, sur les réserves d’eau de pluie contenues dans des citernes communales : la citernes des Anglais sur la première, celle de l’Ifran pour la seconde. A aucun moment, la présence de lavoirs

76 Conseil municipal de l’île d’Ouessant, 1932. 77 Conseil municipal de Groix, 16 novembre 1924. 78 Conseil municipal de Groix, 5 avril 1925. 79

sur ces deux îles n’est évoquée, ce qui est d’ailleurs confirmé in situ. La construction de nouveaux puits est décidée en 1893 sur l’île de Molène ; ces puits seront gérés en régie communale :

« […] Grâce à la sécheresse qui sévit en ce moment les puits de l’île sont presque à sec et ne donnent plus qu’une eau bourbeuse, aussi, dans l’intérêt de tous les habitants, [le Conseil municipal] demande à ce que ces travaux soient exécutés le plus tôt possible »80.

Malgré la précarité hydraulique molénaise, il peut paraître étonnant qu’un puits y ait été supprimé : c’est pourtant une décision du Conseil municipal concernant le puits communal situé sur la petite place bornée au nord par la rue allant à l’église, celui-ci ayant été rempli de détritus et de pierres, « le conseil à l’unanimité a décidé de faire ôter les pierres formant l’entourage du puits et de rendre la place ainsi unie »81.

Tableau 5.8 : Nom des fontaines et des puits historiques des îles de Molène, Sein, Houat et Hoëdic.

Île Principaux points d’eau historiques

Molène Puits Saint-Ronan et puits du Nord Sein Puits Saint-Guénolé, du Poul* et du Lenn*

Houat Fontaines de la Plage et Saint-Gildas, puits du bourg, source de Salus Hoëdic Fontaines de l’Argol et des Anglais, puits du bourg

D’après les archives, entretiens et inventaires in situ. * aujourd’hui disparus.

2.2.2. Le lavoir, lieu social

Sur les petites îles de Molène et Sein, il n’y avait pas de lavoir : les femmes faisaient les lessives sur les roches plates en bord de mer, rinçant le linge à l’eau douce récupérée dans des trous naturels ou pratiqués dans la roche (fig.5.6). En revanche, les cinq autres îles étudiées étaient pourvues de lavoirs ou de doués, au moins au début du XXe siècle. Si Houat et Hoëdic ne comptaient qu’un lavoir, respectivement dans le vallon et au port de l’Argol, les îles de Belle-Île, Ouessant et Groix possédaient généralement un lavoir par hameau. Sur cette dernière, pléthore de décisions mentionnent la nécessité de construire ou de réparer ces points d’eau indispensables à la population. Pour exemple cette délibération du Conseil municipal de Groix du 21 décembre 1879 :

« […] Considérant en outre que des travaux urgents tels que réparations aux fontaines, puits et lavoirs n’ont pu être exécutés faute de ressources suffisantes et que ces édifices sont dans un état de délabrement complet », le Conseil demande à la Commission départementale chargée de la répartition des fonds de secours une subvention de 1 200 francs qui permettrait de donner du travail aux ouvriers que le chômage plonge dans la misère ».

A cette époque, il en est de même à Belle-Île et, plus particulièrement, à Le Palais où un membre du Conseil municipal ne manque pas de rappeler « que la ville du Palais

80 Conseil municipal de Molène, 31 mars 1893. 81

est toujours privée de lavoirs publics »82. Il existe pourtant la fontaine et le lavoir de la Normande – ou du Regard – construits par les Ingénieurs du Génie vers 1750 pour le blanchissage des draps de la garnison. Les Palantins utilisent également ce lavoir, ce qui n’est pas sans susciter certaines tensions autour de l’usage des lieux. Dans le village de Locmaria, la création d’un lavoir est débattue bien plus tardivement, en 1915 : « La construction d’un lavoir à proximité du bourg présente également un caractère d’utilité publique tel qu’on se demande comment cette construction n’a pas été sollicitée précédemment. C’est sans doute le manque de ressources de la commune qui a ajourné ces travaux »83.

Figure 5.6 : Ancienne vasque

dans la roche servant de lavoir, sur l’île de Sein.

Deux entretiens avec des Ouessantins84, fondés sur leurs souvenirs personnels et les témoignages des anciens, et un après-midi passé en compagnie de cinq Ouessantines à l’écomusée du Niou pour une rencontre du gorses85, ont permis de glaner un certain nombre d’informations concernant l’usage des lavoirs. Ainsi, le lavage du « gros linge » (draps notamment) se faisait effectivement dans des lavoirs qui se trouvaient assez souvent dans les prairies, là où les sources jaillissent. L’entretien était assuré par les riverains qui « rinçaient avec des brosses et des balais-brosses le lavoir chaque semaine : une palette en bois, dont les dimensions avoisinaient 15 cm sur 15 environ, se transmettait d’une personne à l’autre pour dire à qui incombait cette tâche. Son non respect engendrait des « sanctions », généralement deux semaines de nettoyage de rang. La discipline était de toute façon respectée : il s’agissait d’une « obligation », « c’était la vie ou la mort ». Les femmes du gorses aiment à rappeler que le lavoir était pour elles un lieu de rencontre où elles discutaient, riaient, chantaient parfois ; un lieu où des clans existaient aussi. Sur chacune des trois îles, chaque femme avait son lavoir attitré, celui de son village. Et, quand celui-ci ne possédait pas de lavoir, il fallait se rendre dans un autre village. De même, à Locmaria, sur l’île de Groix, « les femmes qui habitaient à l’est du village se

82

Conseil municipal de Le Palais, 14 février 1875. 83 Conseil municipal de Locmaria, 15 février 1915.

84 Entretien à Ouessant avec M. Louis Savina, le 25 mars 2004, et M. Louis Botquelen, le 31 mars 2004.

85

rendaient à Praceline, celles du port et du milieu du village lavaient au grand douet près de la chapelle de Notre Dame de Placemanec, les autres faisaient leur lessive à Pokado avec les femmes du Crochet qui n’avaient pas de lavoir dans leur village. […] le lavoir de Praceline était réputé pour sa bonne ambiance et pour l’entraide qu’il y avait » (Bellec, 1994). Et pour rappeler cette époque révolue – les femmes ne vont plus au lavoir depuis les années 1960, voire le début des années 1970, où les réseaux d’alimentation en eau potable domestique ont été installés, ces paroles d’une chanson apprise par les enfants de Groix au début du XXe siècle (ibid.) :

« Le vieux moulin de grand-père assis au bas du côteau chante le journée entière levé tard et couché tôt. Il écoute les commères du lavoir de son étang, dont les langues de vipères ne font pas trève un instant. Lave donc petite fille tik-tak, ton linge sale en famille tik-tak, et passe au bleu tout le tien avant celui du voisin… ».

Les lavoirs restent des lieux exclusivement féminins : leur usage et leur entretien incombant aux seules femmes qui les fréquentaient. Ceux du bourg et de Locmaria étaient les plus grands et étaient entretenus bénévolement. Ailleurs, c’étaient les utilisatrices qui se servaient du lavoir qui l’entretenaient à tour de rôle. Les douëts étaient nettoyés au moins toute les semaines, et l’été, une nuit n’était parfois pas assez pour le remplir : il était alors vidé le samedi pour qu’il ait le temps de se remplir dans la journée du dimanche. Le nettoyage des fontaines était, quant à lui, réservé aux hommes : elles étaient vidées tous les trois ou quatre mois, javellisées et passées à la chaux afin d’éviter la formation des mousses (Bellec, 1994).

L’atmosphère relatée autour des lavoirs n’est sans doute pas propre aux îles ; il n’en demeure pas moins que l’usage régulier en fait un lieu de vie social fort (fig.5.7), tout comme les fontaines et les puits en leur qualité de points centraux de la vie quotidienne des îliens. Les archives et les témoignages recueillis lors des entretiens ont également révélé l’existence de représentations collectives autour de la ressource en eau qui se traduisent par des pratiques traditionnelles, voire des croyances. Mais, en premier lieu la ressource en eau a surtout suscité de réelles tensions sociales inhérentes à deux types de facteurs : exogènes d’une part, endogènes d’autre part.

Figure 5.7 : Le lavoir de l’île d’Hoëdic en 1932 (extrait du film de Jean Epstein, L’Or des Mers).

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