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Gestion durable des ressources en eau et unité territoriale

L’eau et les îles : définition des enjeux et retours d’expériences insulaires

2. Gestion durable des ressources en eau et unité territoriale

2.1. Quelle unité territoriale de gestion des ressources en eau ?

« […] L’enjeu de l’eau est largement territorialisé. Les recherches et les études conduites pour contribuer à une gestion à long terme de l’équilibre entre ressource et demande en eau se doivent d’intégrer cette dimension territoriale, ce qui soulève de multiples questions méthodologiques » (Mermet et Treyer, 2001). Cette assertion pose la question de l’unité territoriale à considérer pour satisfaire aux objectifs de gestion durable des ressources en eau. La définition d’une unité territoriale de gestion de l’eau doit permettre de satisfaire deux prérogatives :

− la première est évidemment de permettre d’appréhender dans leur globalité les fonctionnements hydrologiques et techniques de l’ensemble du territoire : flux d’eau, évolution de la demande en eau, afin d’aboutir à un bilan comptable précis de l’équilibre entre ressource et demande ;

− la seconde consiste à permettre la définition d’une communauté de gestion de l’eau : chercheurs, qu’ils soient hydrologues, économistes, sociologues, etc., ingénieurs, décideurs, participants de la société civile…

Selon les périodes ou les aires géographiques du débat sur l’eau, sa gestion quantitative a soit été posée en termes de disponibilité et de mobilisation de la ressource, soit, plus récemment, comme un problème de maîtrise de la demande et de considération du fonctionnement naturel de l’hydrosystème. Ainsi, la définition de l’unité territoriale doit permettre d’analyser à la fois (ibid.) :

− le fonctionnement des systèmes hydrologiques naturels d’où provient l’eau (bassin versant),

− le fonctionnement et le développement des systèmes techniques de mobilisation et d’approvisionnement de la ressource (bassin d’approvisionnement),

− les enjeux d’évolution et de maîtrise de la demande en eau (bassin de la demande).

La Commission mondiale pour l’eau au XXIe siècle a fourni des éléments de réponse lors du second forum mondial de l’eau de La Haye, en postulant pour la seule échelle hydrographique du bassin versant : « si on accepte le principe de la gestion intégrée des ressources en eau, alors elle passe nécessairement par la gestion systémique à l’échelle du bassin versant » (Commission mondiale pour l’eau, 2000). Cependant, les contraintes exposées précédemment sur les fonctions d’une unité territoriale de gestion cohérente supplantent totalement la simple dimension du bassin versant. Celui-ci ne peut, en effet, contenir géographiquement la totalité des flux et des évolutions auxquels la ressource hydrologique est soumise. En effet, les systèmes de transferts d’eau, d’interconnections de réseaux de distribution, voire de grands barrages, témoignent de logiques politiques et économiques redimensionnant la question à des territoires non plus seulement naturels mais également socio-économiques. Ainsi, à l’aire territoriale naturelle d’approvisionnement qu’est le bassin versant se substitue celle de la demande en eau.

« Dans une optique de long terme, la demande tend à imprimer ses logiques territoriales propres » (Mermet et Treyer, 2001). Ces mêmes auteurs citent les travaux de

J.-B. Narcy (2000), lequel affirme que « les acteurs de la gestion du territoire ont imposé - et imposent encore - aux acteurs de l’eau qu’ils adaptent les flux d’eau aux exigences du territoire, plutôt que d’adapter les actions territoriales aux structures et logiques de la gestion de l’eau ». Ainsi, tout travail de prospective sur l’équilibre ressource-demande doit s’évertuer à définir une unité territoriale cohérente et appropriée, définies à partir des circulations naturelles et techniques de l’eau. Il s’agit donc d’un travail préalable qui relève avant tout de la géographie comme discipline d’analyse des territoires et des dynamiques socio-économiques qui les caractérisent. Dans la majeure partie des cas, ces dynamiques très fortes complexifient considérablement la simplicité du bassin versant, aussi l’unité spatiale retenue combinera-t-elle bassin(s) versant(s), bassin d’approvisionnement et bassin de la demande. Dans les échelons administratifs français, le département est aussi celui au sein duquel se rapportent les compétences des gestionnaires ainsi que les actions menées quant à la préservation de l’eau (Veyret et al., 2004).

Dans la prospective menée sur la gestion des ressources de la région de Sfax en Tunisie, les scénarios ont montré qu’une plus forte implication des organisations professionnelles dans les problèmes qui concernent leur approvisionnement en eau serait très importante pour rendre plus cohérentes les options d’aménagement du territoire avec les limites d’exploitation de la ressource en eau. Dans le cadre des recherches et discussion sur la capacité d’adaptation et sur la limitation du développement des pays par la limitation des ressources en eau naturelles, les scénarios développés dans le cas tunisien illustrent que les enjeux à long terme de la gestion de la ressource sont spécifiques à chaque région. Les conclusions soulignent également « l’intérêt d’un éventuel apprentissage local des nécessités de la gestion de la demande en eau, même imposé par les limitations locales de la ressource en eau, pour développer des solutions innovantes (techniques, institutionnelles) […] » (Mermet et Treyer, 2001). La démarche utilisée a montré qu’il était possible de s’appuyer sur un contenu technique habituel (hydrologie, modèles, bases de données, etc.) des représentations du système de gestion de l’eau pour construire des scénarios prospectifs.

2.2. Un consensus méthodologique : le diagnostic territorial

La définition du développement durable d’un territoire ne pourra se satisfaire d’un objectif descriptif : la démarche doit être clairement explicative. Le seul découpage temporel ne suffit pas, il s’agit par conséquent d’effectuer une véritable analyse stratégique portant sur l’ensemble du système, à chaque période de son évolution. Quatre étapes sont nécessaires : il s’agit de définir successivement :

- le réseau des acteurs, et examiner comment ce réseau a évolué dans le temps,

- les cadres de référence des acteurs, et examiner comment ces acteurs ont évolué dans le temps (à travers leurs discours, pratiques et conceptions),

- leur stratégie dans chaque phase, et examiner comment ces stratégies ont pu évoluer,

- la nature des enjeux environnementaux, et examiner comment les indicateurs de ces enjeux ont évolué.

En somme, il faut disposer d’un diagnostic territorial à différentes périodes ou stades de l’évolution du système naturel et/ou anthropique considéré (Rouxel et Rist,

2000). Un diagnostic territorial n’est autre qu’un état des lieux s’inscrivant dans une démarche stratégique de développement d’un territoire ; il ne doit pas se limiter à une simple monographie (description objective d’un territoire), mais intervenir en vue d’un projet précis : étude d’impact, livre blanc, porter à connaissance… « Il s’agit bien d’évaluer l’état actuel d’un territoire au regard des enjeux de développement durable en mettant en évidence ses points forts et ses points faibles » (ibid.). Le diagnostic territorial doit répondre à un questionnement qui, classiquement, s’appuie sur une grille thématique : démographie, transports, habitat, environnement. Le questionnement et le raisonnement inscrits dans le diagnostic prennent appui sur les enjeux permanents du développement durable, l’objectif particulier du diagnostic et les spécificités du contexte local. Les questions principales qui en découlent permettront d’identifier précisément l’information à traiter qui prendra de ce fait du sens. Il est enfin important de préciser qu’il ne s’agit pas de tout savoir, mais de sélectionner les informations pertinentes au traitement des questions, et ce en mettant en place des « filtres » comme autant de dispositifs de sélection de l’information d’une part, et des dispositifs de précaution révélant leur nécessité (« veilleuses »).

Ces informations filtrées doivent finalement répondre à la question simple suivante : comment traduire sous une forme chiffrée la définition du développement durable du rapport Brundtland ? (Theys, 2001). La définition d’indicateurs est l’étape méthodologique majeure. Dans leur construction, il semble au groupe de travail de l’Ifen (Institut Français de l’Environnement) qu’une « démarche substantialiste » sert mieux le débat public et qu’elle est possible et acceptable à trois conditions (ibid.) :

- proposer une grille d’indicateurs suffisamment large pour être appropriée à tous les utilisateurs possibles,

- séparer clairement les données et leur interprétation, de manière à ne pas préjuger les différentes conceptions du développement,

- être pragmatique, c’est à dire délibérément orientée vers l’action et l’aide à la décision.

La définition d’un indicateur reste, quoi qu’il en soit, difficile car elle se heurte à deux limites objectives :

- l’aspect relatif de la soutenabilité (notion de substitutionnalité des ressources par exemple),

- l’état des connaissances au moment de cette définition.

Il s’agit enfin de définir les indicateurs les moins discutables pour représenter les trajectoires possibles de développement, voire de construire des grilles mettant en évidence des évolutions en termes de « différentiels de soutenabilité », pour aboutir à une comparaison ou une « échelle de référence » sur la base de ces référentiels. Cependant, la mesure de la « soutenabilité », via un ou des indicateurs, reste assujettie aux méthodes de fixation des normes et des acteurs impliqués, ainsi qu’aux processus de débat ou de médiation qui seront mis en œuvre et des conflits qui pourront en découler. La difficulté de la tâche sera dès lors de traduire le plus objectivement possible les résultats obtenus et de le faire si possible à l’aide d’indicateurs quantitatifs, « suffisamment sensibles pour mettre en évidence des changements de tendance, et susceptibles d’être interprétés comme reflétant effectivement un différentiel de soutenabilité d’une période à l’autre ou d’un état à l’autre du système » (Danais, 2001). J. Theys (2001) résume ainsi les indicateurs comme étant une tentative pragmatique pour « donner une forme » à la

problématique de développement durable : ils sont finalement un outil d’aide pour rassembler des présomptions multiples, en laissant ensuite la place à la diversité des interprétations, voire à la controverse.

* * *

Si la gestion systémique de l’hydrosystème est validée, elle ne l’est plus à l’échelle du simple bassin versant. L’unité territoriale retenue doit faire se coïncider territoire de l’offre – dimension naturelle, celle du bassin versant – et celui de la demande – dimension socio-économique, celle de la société mobilisant les ressources hydriques. La démarche est alors cohérente tant en application du concept de développement que des prérogatives méthodologiques de gestion de l’eau ; le préalable est l’élaboration d’un diagnostic territorial fondé sur la définition d’indicateurs permettant une quantification diachronique des états du système. Les modes de gestion de la ressource se fonderont sur ces indicateurs d’évaluation de l’équilibre entre offre et demande, et devront être particulièrement sensibles aux seuils de rupture négative de cet équilibre, à savoir les ruptures synonymes de déficit hydrique et de situation de pénurie.

3.

Les principes de gestion : l’équilibre offre-demande et le

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