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Le plan Nano-Innov et la reconnaissance de Toulouse comme pôle d’intégration

4.2.2 …qui n’induisent pas nécessairement de l’interdisciplinarité

5.1 Le plan Nano-Innov et la reconnaissance de Toulouse comme pôle d’intégration

Toulouse est désignée en 2009 Centre d’intégration en « nanos » lors du Plan Nano-Innov. Celui-ci émane des propositions faites par Alain Costes116, Dominique Vernay117 et Jean Therme118, qui s’étaient vus confier en 2007 par le président de la République une mission visant à définir un schéma global de développement des « nanos » en France.

« Les nanotechnologies, comprises dans une vision large connue sous le nom de “convergence des technologies”, constituent un nouveau domaine d’exploration qui présente d’immenses potentialités tant en termes de marché, de création de valeur que d’emplois. Elles sont en mesure de renouveler en profondeur le paysage industriel mondial. […] Les enjeux sont considérables pour la France et sa compétitivité. […] Ce domaine [est] capable d’induire une puissante dynamique d’innovation technologique et industrielle porteuse de croissance économique »119.

Il s’agit, à travers ce plan, de répondre à la course que se livrent au niveau mondial les différents pays pour le développement des nanotechnologies120. Les « nanos » « s’imposent aujourd’hui parmi les domaine prioritaires de la recherche et de l’nnovation en Europe, aux États-Unis et en Asie »121.

Loin d’être un point de départ, cette reconnaissance au niveau national du rôle de Toulouse dans le développement des nanotechnologies en France est bien plus le résultat d’un investissement politique et d’un engagement des chercheurs dans ce domaine depuis les années 2000. Ainsi, c’est une succession d’opérations durant la décennie 2000, que nous allons retracer ici, qui positionne Toulouse en tant que territoire compétent sur les « nanos ». Le programme Nano-Innov ne vise pas le développement de la recherche fondamentale, telle qu’elle peut être menée dans les laboratoires de recherche publique, il s’agit en priorité de favoriser le passage de la recherche publique vers le secteur industriel et donc de favoriser l’innovation. En effet, lors du lancement du plan Nano-Innov, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, rappelle que la recherche française en « nanos » est à un bon niveau mondial (5,6% des publications mondiales), mais que sa capacité à transformer ces recherches en réussites industrielles reste trop faible (2%

116 Toulousain, ancien directeur du Laas-CNRS, directeur de la technologie au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche de 2000 à 2003, président du Conseil scientifique de la Fondation InNaBioSanté.

117 Directeur scientifique de Thalès.

118 Directeur de la recherche technologique du CEA.

119 Lettre de mission du Président de la République aux auteurs du rapport Nano-Innov, 12 décembre 2007.

120 Lettre de mission du Président de la République en annexe n°5, p. Xi.

122 des brevets mondiaux)122. Aussi le plan Nano-Innov doit contribuer de manière significative à l’effort de relance « au regard de l’opportunité exceptionnelle que les nanotechnologies représentent pour l’industrie française »123. Les promesses sont immenses et le marché des « nanos » devraient représenter 1700 milliards d’euros en 2014 et 15% de la production manufacturière mondiale124.

« [La France a] des difficultés à transformer les résultats de [sa] recherche scientifique en innovations techniques porteuses de croissance économique, via le dépôt de brevets. Or, sans réaction d’envergure, […], nous serons progressivement distancés du peloton des nations qui ambitionnent de jouer un rôle de premier plan, au niveau mondial, dans l’exploitation économique des nanotechnologies »125.

Le programme Nano-Innov illustre le pari politique qui consiste à faire des « nanos » un levier de l’innovation.

« On a choisi le mot de Nano-Innov pour bien montrer que l’objectif que nous avions c’était véritablement de faire passer les activités de recherche fondamentale dans le secteur industriel, dans le secteur économique, d’où ce nom de nano-Innov : Innovation »126.

L’objectif de Nano-Innov est de financer des plateformes technologiques sur des thématiques ciblées, qui soient à la disposition à la fois des laboratoires de recherche et des industriels.

Il ne s’agissait donc pas, avec Nano-Innov, de financer des projets de recherche tels que ceux que finance l’ANR par exemple, mais de favoriser le passage des nanotechnologies « dans le secteur économique, dans la création d’emplois et dans la création de richesses »127. L’objectif étant de « sensibiliser un certain nombre d’équipes académiques de très haut niveau aux aspects applicatifs de leurs travaux »128.

Ainsi le rapport final de Nano-Innov met en avant trois sites pour le développement de ces plateformes technologiques qui sont Grenoble, Paris-Saclay et Toulouse. Les trois sites doivent se positionner en complémentarité et en aucun cas en tant que concurrents. Les trois domaines à développer sont les matériaux, l’électronique et la santé

122 Voir en annexes le communiqué de presse du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche annonçant le lancement du plan Nano-Innov. Annexe n°6, p. XIII.

123 Communiqué de presse du MESR « Nano-Innov, le plan nanotechs », 5 mai 2009,

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid25281/nano-innov-un-plan-en-faveur-des-nanotechnologies.html

124 Journal du CNRS, octobre 2009, op.cit.

125 Alain Costes, cité dans le journal du CNRS, octobre 2009, op.cit.

126 Entretien avec l’un des pilotes du projet Nano-Innov, 19.03.2013.

127 Ibid..

123 (bionanotechnologies), considérés comme les trois domaines futurs primordiaux d’applications pour les nanotechnologies. Chacun des trois sites doit développer une partie particulière, l’idée étant la spécialisation et d’éviter les recouvrements129.

Toulouse est retenue dans Nano-Innov pour son environnement scientifique et technologique, qui couvre l’ensemble des disciplines nécessaires à la réalisation, la caractérisation et la modélisation de nano-objets ; mais aussi pour son environnement économique avec trois grands secteurs susceptibles d’intégrer ces innovations : les transports, la santé et l’agroalimentaire130 .

Par ailleurs, Toulouse s’est positionnée en répondant de manière active aux injonctions de l’État dans les divers outils qu’il a mis en place depuis le début des années 2000.

Ainsi, le territoire de Midi-Pyrénées accueille :

- Trois pôles de compétitivité (AESE, Cancer-bio-Santé et AgriMip Innovation) ;

- Un PRES Université de Toulouse 131 (devenu aujourd’hui Comue, Communauté d’universités et d’établissements) ;

- Deux RTRA (Sciences et Technologies pour l’Aéronautique et l’Espace, Toulouse School of Economics) ;

- Un RTRS 132 (Réseau Recherche et Innovation Thérapeutique en Cancérologie) ;

- Trois fondations nationales reconnues d’utilité publique (Fondation pour la Recherche pour l’Aéronautique et l’Espace, Fondation InNaBioSanté,

129 Par exemple, concernant le domaine des nanobiotechnologies, la plateforme « NanoBIOTECH » de Toulouse est ainsi censée se spécialiser sur des enjeux liés à l’oncologie, couplée à l’Oncopôle, tandis que la plateforme « Nanobio » de Grenoble sera tournée vers des enjeux de diagnostic et d’infectiologie, et la plateforme « NanoMED » de Paris vers des enjeux d’imagerie, de neurologie et de médecine régénérative (Rapport Nano-Innov, 2008, p. 120).

130 Rapport Nano-Innov, 2008, p.153

131 « Les PRESregroupent tout ou partie des activités et moyens en matière de recherche et d’enseignement de plusieurs établissements sur un territoire donné, afin de conduire ensemble des projets communs ». L’objectif est en particulier « de favoriser les synergies sur le plan de la recherche au sein des sites universitaires » (Vinck, 2010).

132 Les RTRA, réseaux thématiques de recherches avancées et les RTRS, réseaux thématiques de recherche et de soins ont été créés par la loi de programme pour la recherche de 2006. Ils ont pour objectif « de rassembler, sur un thème donné, une masse critique de chercheurs de très haut niveau, autour d'un noyau dur d'unités de recherche géographiquement proches, afin d'être compétitif avec les meilleurs centres de recherche au niveau mondial ». http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56330/les-reseaux-thematiques-de-recherche-avancee-et-de-recherche-et-de-soins.html

124 Fondation pour une culture de sécurité industrielle) ;

- Trois Instituts Carnot133 (Laas-CNRS, CIRIMAT, ONERA).

Forte d’un potentiel universitaire et académique ainsi que d’un tissu industriel diversifié, « sa principale faiblesse réside dans la dispersion de son potentiel scientifique limitant sa visibilité et sa capacité à tirer parti de l’interdisciplinarité propre à la convergence technologique »134. Dès lors, les auteurs soulignent les efforts fournis en ce sens, visibles à travers l’émergence des divers pôles, réseaux et fondations cités plus haut, mais mettent en avant le nécessaire effort à fournir en termes d’intensification de la recherche technologique.

Ainsi, un des objectifs du centre d’intégration Nano-Innov est de gagner en visibilité afin d’attirer l’implantation du CEA 135 à Toulouse qui apporterait des plateformes technologiques. Le plan Nano-Innov doit permettre de soutenir suffisamment de projets de recherche technologique afin d’intéresser le CEA.

« C’est le chaînon manquant mais indispensable pour relever les défis de la complexité des systèmes comportant des nanoobjets, qui sera bâti avec toutes les équipes toulousaines existantes (académiques et industrielles) et un apport du CEA »136.

Dans le cadre du plan de relance de 2009, soixante-dix millions d’euros sont consacrés à Nano-Innov.

- 46 millions pour la construction d’un centre d’intégration sur le site de Saclay, sous la maîtrise d’ouvrage du CEA137 ;

- 7 millions pour des équipements technologiques dans le cadre du programme de Réseau Technologique de Base, dédié à l’équipement des

133 « Les instituts Carnot sont des structures de recherche publique qui ont pour mission de développer la recherche partenariale au bénéfice de l’innovation des entreprises – de la PME au grand groupe – et des acteurs socioéconomiques ». Ils ont pour objectif d’ « accroître l’impact économique des actions de R&D menées par les laboratoires des instituts Carnot en partenariat avec les entreprises en termes de création d’emploi, de chiffre d’affaires national et à l’export, et donc de compétitivité ». http://www.instituts-carnot.eu

134 Rapport Nano-Innov, 2008, p.155

135 Commissariat à l’énergie atomique, leader français en recherche technologique et dans les nanotechnologies à travers son pôle Minatec à Grenoble, équipé de 10 000 m² de salles blanches: « MINATEC constitue un campus d’innovation unique en Europe et au meilleur rang international dans le domaine des micro et nanotechnologies », http://www.minatec.org/minatec/minatec-campus-innovation-en-micro-nanotechnologies

136 Rapport Nano-Innov, 2008, p.155

137 Le communiqué de presse rappelle que le nouvel administrateur général du CEA s’est vu chargé de renforcer la recherche en nanotechnologies, particulièrement autour des pôles de Grenoble et de Saclay, dans le cadre du nouveau contrat d’objectifs État-CEA.

125 plateformes;

- 17 millions pour des appels à projets technologiques dans la programmation 2009 de l’ANR.

Toutefois, le Plan Nano-Innov n’apportera pas les financements à hauteur de ce qui avait été imaginé par les chercheurs impliqués dans la préparation de la candidature toulousaine, au regard de l’effort en temps investi. Les chercheurs toulousains du champ des « nanos » se montrent très déçus des résultats concrets de Nano-Innov pour le territoire. « Une baudruche qui s’est dégonflée. Ça fait partie de toutes les choses où on fait courir les gens pour rien »138. Le point positif ayant toutefois été de faire se rencontrer des chercheurs issus de laboratoires différents : « ce qui n’a pas été inutile avec Nano-Innov c’est qu’on s’est réunis avec les collègues, on a discuté »139. Il faudra attendre les investissements d’avenir lors du grand emprunt pour voir ressurgir l’hypothèse d’un financement du centre d’intégration de Toulouse. Finalement, les investissements d’avenir n’apporteront pas de financements dédiés à une plateforme pour les nanotechnologies, comme cela avait été prévu avec Nano-Innov, mais permettront de financer de nouvelles structures, les IRT140(Instituts de Recherche Technologique), dont un à Toulouse, l’IRT AESE (Aéronautique, Espace, Systèmes Embarqués)141.

« C’était toujours la même idée, c’était du Nano-Innov bis, puisque je vous rappelle que les

IRT c’est des plateformes technologiques, donc pas éloigné de Nano-Innov si vous voulez »142. Pour les promoteurs de Nano-Innov, ce plan est une victoire puisqu’il apporte des financements pour leurs territoires respectifs. À Toulouse, les financements de Nano-Innov iront à la mise en œuvre de l’IRT AESE, mais les chercheurs toulousains impliqués ont été déçus puisque celui-ci n’a pas profité aux « nanos » spécifiquement, ce domaine s’est retrouvé dilué dans le domane lus large de l’aéronautique avec l’IRTAESE. En effet, l’IRT AESE, baptisé plus tard Antoine de St-Exupéry, s’est construit autour du financement de projets de recherche technologique et non plus de plateformes technologiques. Les nanotechnologies ne sont pas au centre des priorités de l’IRT, les trois domaines stratégiques définis sont les « matériaux multifonctionnels à haute performance », l’ « aéronef plus

138 Entretien avec le directeur d’un laboratoire toulousain, 02.05.2012.

139Ibid.

140 Les IRT sont « des instituts thématiques interdisciplinaires rassemblant les compétences de l’industrie et de la recherche publique dans une logique de co-investissement public-privé et de collaboration étroite entre tous les acteurs », qui doivent permettre de « renforcer les écosystèmes constitués par les pôles de compétitivité ». Source : projet de loi de finances rectificative pour 2010.

141 L’IRT AESE est rebaptisé IRT Antoine de Saint-Exupéry en 2014.

126 électrique » et les « systèmes embarqués ». Cela ne signifie pas que les « nanos » ne soient pas intégrées dans différents projets, mais l’espoir d’une plateforme technologique dotée d’équipements coûteux spécifiquement dédiée aux « nanos » a clairement disparu, alors que cette idée était au centre de Nano-Innov.

Cela s’explique, selon l’un des pilotes de Nano-Innov, par l’implication des industriels dans l’IRT.

« L’IRT est cofinancé à 50% par les industriels. Les industriels ne considèrent pas aujourd’hui [les « nanos » comme] leur investissement premier »143.

Une déception partagée du côté de la CAGT.

« Grand emprunt, paf ! IRT, c’est la chance de Toulouse ! Tout le monde y va ! Résultat, c’est un conglomérat de plateformes, voulu par les industriels, dont est exclue la recherche toulousaine. Très clairement. Et ce ne sont que des plateformes, et pas un institut de recherche techno pérenne type CEA »144

Les « nanos » ont été, à un moment donné, un levier pour attirer des financements publics sous couvert de créer les conditions nécessaires au rapprochement entre la recherche publique et le secteur industriel. Finalement, le Plan Nano-Innov, puis l’IRT toulousain, n’ont pas permis de créer une plateforme spécifiquement « nano », et l’on peut voir que les différentes initiatives nationales visant à rapprocher les différentes parties prenantes locales de la recherche et de l’innovation se heurtent à des visions et des intérêts parfois divergents.

Mais cette mise en avant du site toulousain au niveau national a abouti à l’installation quelques années plus tard d’une équipe du CEA, qui devrait permettre la construction de 2000 m² de plateformes technologiques. Si les « nanos » ne sont plus prioritaires dans ces nouveaux projets, pour les promoteurs de Nano-innov, et en particulier pour son promoteur toulousain, l’implantation du CEA est une victoire et un premier aboutissement de ce travail de mobilisation et de mise en visibilité du site toulousain.

143 Ibid.

127 « Les plus compétents, les vrais pros de la recherche technologique, c’est le CEA. Nous on était toujours l’enfant un peu mal loti de ce système-là [Nano-Innov], d’où l’annonce du Premier Ministre consistant à dire que le CEA créait des antennes dans des régions, et en particulier celle qui était particulièrement visée parce que ça fait 6 ans qu’on y travaille, qui était l’antenne de Toulouse Midi-Pyrénées, et donc ceci a été annoncé, maintenant ceci est fait, et donc le CEA

aujourd’hui est à Toulouse »145.

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