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L’influence des structures institutionnelles sur la dynamique de l’activité de recherche : l’exemple du CNRS

NANOBIOTECHNOLOGIES - Permettent d’ame liorer les connaissances sur les

TENDANCES FORTES DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE

3.1 Le fonctionnement « traditionnel » de la recherche caractérisé par un mode de financement récurrent

3.1.2 L’influence des structures institutionnelles sur la dynamique de l’activité de recherche : l’exemple du CNRS

Le CNRS représente « un contexte institutionnel constituant un ensemble d’éléments intervenant dans l’activité scientifique, dans ses fins, ses moyens, son déroulement au titre de ressources et de contraintes en tant que structure et lieu d’application des politiques de recherche » (Berthelot et al., 2005, p.218). Le CNRS peut ainsi fournir une structure favorable au développement de certaines recherches, « en proposant un espace institutionnel doté de moyens, il donne l’opportunité à des chercheurs de travailler sur ce domaine » (Ibid. p.219).

Mais il ne suffit pas d’envisager de façon globale le CNRS et les politiques scientifiques pour rendre compte du rôle déterminant que peuvent avoir les structures institutionnelles sur le développement et la dynamique d’un champ. Selon Berthelot et al., les « politiques incitatives sur programme », ou « actions incitatives » (Lautman, 1990) permettent mieux de saisir la possible influence d’une institution sur un domaine de recherche (Berthelot et al., 2005, p221). « On appelle action incitative l’injection de crédits qui s’ajoutent au soutien récurrent ordinaire et qui sont attribués en réponse à des appels d’offre thématiques » (Lautman, 1990).

La répartition des crédits et le déséquilibre avec l’université est une question très tôt posée au CNRS, qui met en place dès 1963 les RCP (Recherches coopératives sur programme) dans le but de structurer une politique scientifique et d’éviter la dispersion des crédits (Prost, 1990). Il s’agit de « subventions spéciales pour encourager le regroupement des chercheurs en équipes pluridisciplinaires ou l'étude d'un même problème par plusieurs équipes » (Ibid., 1990) sur une durée limitée. Les GDR (Groupements de recherche) seront créés plus tard sur ce même principe. Les RCP constituent un premier dispositif d’encadrement, qui sera complété par la suite par un autre dispositif incitatif, les ATP (Actions Thématiques Programmées), lancées en 1971 (Picard, 1990, p.255). La création des ATP est le fait de la DGRST « qui souhaite promouvoir le financement de la recherche sur contrat, sur le modèle anglo-saxon » (Berthelot et al., 2005, p222 ; Picard, 1990, p.254), et reproduite par les autres instances. Les ATP sont alors gérées par les départements scientifiques dans un contexte principalement disciplinaire.

Pour répondre aux défis émanant de la société, le CNRS éprouve le besoin d’une politique scientifique plus volontariste et crée les Programmes Interdisciplinaires de Recherche (PIR) en 1976. Le concept est novateur à l’époque, il s’agit de construire des actions de recherche collective pluridisciplinaires, d’afficher clairement au sein du CNRS un objectif de recherche finalisée, de monter des collaborations avec l'industrie et de pousser les recherches finalisées

61 jusqu'au stade de création de prototypes71. Cinq PIR sont créés entre 1976 et 198172, les directeurs de programme sont rattachés au directeur général, reçoivent des attributions de moyens (postes, budget) et se voient autorisés à attribuer ces moyens auprès de toute unité du CNRS. Chaque programme est doté d'un conseil scientifique et de comités d'actions de recherche indépendants du comité national.

« Soutenus par la volonté politique du directeur général, ces programmes ont eu une action particulièrement efficace, faisant naître des communautés pluridisciplinaires de chercheurs autour de thématiques finalisées, donnant une forte visibilité à leurs recherches et créant des liens durables avec le milieu économique et social » (Claverie, 1998).

Toutefois, ces démarches ont été mal perçues par les départements scientifiques et le comité national. D’un côté, la possibilité pour les PIR d'attribuer des moyens et des postes de chercheurs aux laboratoires a été ressentie comme une perte de contrôle par les départements scientifiques. Ceux-ci contestaient le recrutement d’un chercheur sur un thème spécifique d’un programme au motif de la délicate poursuite de carrière du chercheur après la fin du programme. D’un autre côté, le comité national a vu son monopole de l'évaluation menacé.

Malgré le succès des PIR, l’évolution d’un champ de recherche ne peut être réduit aux seules incitations institutionnelles (Berthelot et al., 2005, p224). De même, Jacques Lautman relève que si la première action incitative, l’action biologie moléculaire, dans les années 1960, a eu un poids décisif, certains considèrent que celle-ci a réussi parce que les conditions étaient déjà réunies et qu’ « il ne faut parer l’incitatif de plus de vertus qu’il n’en a » (Lautman, 1990). Selon Arie Rip, « bien souvent, il existe un petit noyau de chercheurs déjà actifs dans les domaines couverts par le programme et qui se montreront non moins actifs pour persuader les responsabes de la politique et les organismes de financement de cette priorité » (Rip, 1995, p.117).

Il est ainsi difficile d’évaluer le rôle des structures institutionnelles dans le développement d’un champ. Les « déterminants institutionnels et cognitifs sont intimement mêlés, au point d’être parfois difficiles à appréhender » (Gaudillière, 1990). L’action du CNRS s’avère indispensable aux constructions institutionnelles des laboratoires, par exemple, ou de nouvelles disciplines, mais son action et ses politiques de recherche « restent peu [incitatives] dans la construction communautaire et la dynamique épistémique » (Berthelot et al., 2005, p231).

71 Maurice Claverie, « Vingt ans de programmes interdisciplinaires au CNRS », Annales des Mines, février 1998.

72 Le premier sur l’énergie solaire, puis furent créés un programme sur l’environnement, programme de recherche sur les bases des médicaments, un programme sur la prévision et la surveillance des éruptions volcaniques (PIRPSEV) et un programme sur la recherche océanographique.

62 Si les instances de direction, en tant que « déterminants externes », gardent un rôle de « catalyseurs d’une activité scientifique » (Ibid., p231), la dynamique d’un champ relève d’abord de la pratique quotidienne de l’activité scientifique.

Jean-Michel Berthelot, Olivier Martin et Cécile Collinet, revendiquent ici une définition plus souple de la notion de champ que celle de Bourdieu73.

« Le champ pourrait être ce qui, au sein d’une sphère plus globale d’activités, spécifie un domaine, suffisamment circonscrit et séparé pour être clairement identifiable et bénéficiant d’éléments suffisamment communs et partagés pour que tous les participants puissent, en théorie, y échanger de façon sensée et experte. Un champ est donc, dans cette perspective, une catégorie pragmatique, associée à l’idée d’un espace commun d’action évoluant – le plus souvent en se spécifiant et se segmentant – au fur et à mesure que les activités se spécialisent. Les trois éléments retenus, frontière, fonds commun, tendance à l’évolution et la segmentation relèvent de mécanismes de constitution qu’il importe de décrire et d’expliquer ; ils sont associés à des principes de régulation que l’on peut supposer divers et ne se réduisant en tout cas pas au mécanisme exclusif de la distribution des capitaux et de la lutte pour les positions. » (Berthelot et al., 2005, p 264-265).

Dans sa forme générique, le « champ scientifique » est ainsi déterminé par des institutions propres, des acteurs propres et des ressources propres, mis au service d’objectifs d’action qui sont de « produire des connaissances ; former des chercheurs et/ou des diplômés susceptibles d’utiliser des savoirs scientifiques dans leurs activités. » (Ibid. p.264). Dans sa forme spécifique, le champ doit se penser dans sa dynamique, c’est-à-dire dans « l’aptitude d’un domaine de recherche à se spécifier, à produire et reproduire des institutions nouvelles, à élargir ses activités et ses productions au point de constituer un champ au sens préalablement défini » (Ibid., p.265). Parmi les éléments nécessaires à la dynamique d’un champ, il faut un « cadre institutionnel préalable favorable », c’est-à-dire « propice à la constitution et la reconnaissance d’institutions et de modes de régulation spécifiques ». En effet, le rôle des cadres institutionnels est triple, « ils incitent, rendent possible, régulent ». Un autre élément déterminant est le « dispositif de connaissance », constitué « non seulement de connaissances, mais de schèmes de pensée, de méthodes de travail, de dispositions concrètes […] sans cesse à l’arrière-plan ». Enfin, les chercheurs sont organisés en équipes, « microstructures d’action, lieux véritables d’effectuation des recherches, de production des connaissances et d’interface entre individus, microcommunautés et disciplines », qui gardent un large espace d’opportunité dans le choix de

73 Dans son article intitulé Le champ scientifique, Bourdieu soutient que « L'univers “pur” de la science la plus “pure”

est un champ social comme un autre, avec ses rapports de forces et ses monopoles, ses luttes et ses stratégies, ses intérêts et ses profits » (Bourdieu, 1976).

63 leurs thématiques de recherche malgré les déterminants que constituent les cadres institutionnels et les dispositifs de connaissance (Ibid., p.267).

Compte-tenu de la définition ainsi posée du « champ scientifique », les « nanos » n’apparaissent pas, à notre sens, comme un « champ » spécifique. Nous parlerons plutôt des domaines des « nano » et « nanobio ». Nous serons attentive à distinguer les incitations

institutionnelles des dimensions épistémiques dans le domaine particulier des « nanobio » tel que nous allons l’étudier dans notre travail de terrain. Nous verrons

que les formes institutionnelles n’apportent pas toujours de réponses appropriées aux évolutions dans les pratiques des chercheurs. Ainsi, l’espace scientifique « n’est pas parfaitement régulé par ses institutions ». En particulier, « un grand nombre d’activités se déroulent hors des cadres institués », de même que « les formations et les profils des membres de la communauté ne correspondent pas toujours aux réquisits énoncés par les institutions » et celles-ci « n’énoncent pas toujours des normes précises » (Berthelot et al., 2005, p.109).

C’est à cette tension entre les formes institutionnelles de la recherche, relai des exigences systémiques, et la pratique de la recherche que nous allons nous intéresser dans notre étude de l’Itav (chapitres suivants). Nous montrerons en quoi les « nanos », et plus

particulièrement les « nanobio » redéfinissent les rapports entre la politique scientifique et la pratique de la recherche. L’Itav illustre bien le fait que « la plupart des

nouveaux laboratoires et centres de recherche sont nés, non de la volonté des organismes de tutelles, mais de l’initiative de quelques chercheurs souhaitant disposer de formes organisationnelles mieux adaptées à leurs attentes » (Ibid., p.130).

3.2 Du financement récurrent aux financements sur

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