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Les ressorts systémiques de l’injonction à l’interdisciplinarité

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TENDANCES FORTES DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE

3.3 Des injonctions à l’interdisciplinarité pour favoriser l’innovation

3.3.1 Les ressorts systémiques de l’injonction à l’interdisciplinarité

analyser dans leur tension avec les injonctions politiques.

3.3.1 Les ressorts systémiques de l’injonction à

l’interdisciplinarité

La problématique de l’interdisciplinarité n’est pas nouvelle en soi. Au niveau institutionnel, elle apparaît comme une préoccupation du CNRS dès sa création (Picard, 1990, p.105 ; 129). L’inscription de l’interdisciplinarité comme prioritaire dans les politiques de recherche, en particulier depuis le programme américain de « convergence NBIC » a conduit le CNRS à renforcer ses recommandations en faveur de l’interdisciplinarité.

Récemment, la création de la Mission pour l’interdisciplinarité (MI), en 2011, exemplifie la volonté de promouvoir les démarches interdisciplinaires au CNRS. Toutefois, les moyens financiers relativement faibles octroyés à la MI83pour financer des projets interdisciplinaires, témoignent de la difficulté de prioriser ces approches par rapport aux recherches disciplinaires. Bien que l’interdisciplinarité soit affichée en tant que « priorité » par l’organisme de recherche, celle-ci ne se traduit pas par une affectation de moyens (humains et financiers) dédiés. Cet élément est révélateur de la tension entre volonté politique et réalité de l’activité de recherche. Nous reviendrons dans notre travail de manière plus approfondie sur cette question. Il faut toutefois mentionner l’existence de sections interdisciplinaires au sein du comité national du CNRS84.

L’injonction à l’interdisciplinarité découle de plusieurs évolutions, comme nous l’avons dit plus haut : la dimension de finalisation de l’activité de recherche qui se fait de plus en plus importante, les besoins en ressources, la complexité de certains problèmes de société qui réclament une réponse globale et le développement économique.

83 Rapport d’activité 2013 de la MI, op.cit.

79 « Afin de minimiser les risques financiers, afin de saisir les caractéristiques d’une éventuelle demande sociale, il est nécessaire d’élaborer des modalités de travail qui permettent d’adjoindre des chercheurs venus d’horizons disciplinaires variés et surtout aux compétences complémentaires » (Pailliart, 2005, p.146).

Dominique Vinck fait ressortir trois motivations derrière les discours actuels sur l’interdisciplinarité :

« 1/ la performance scientifique : la créativité scientifique se joue aux frontières des disciplines ; 2/ les nécessités imposées par l'objet d'analyse : les problèmes de société (santé, compétition technico-économique, environnement...) souffrent de la fragmentation des disciplines et spécialités ; 3/ et la performation socio-économique : le nécessaire rapprochement de la recherche du développement industriel et la constitution d'un continuum allant de la recherche la plus fondamentale jusqu'à l'innovation sur les marchés » (Miège et Vinck, 2012).

L'interdisciplinarité affichée par les programmes de recherche est ainsi portée comme un vecteur d'innovation.

Aussi il convient de souligner qu’il existe une différence entre la pratique de l'interdisciplinarité qui est « une modalité de l'activité de recherche » (Vinck, 2000, p.77) et l’affichage par la politique de recherche de la recherche interdisciplinaire.

LA DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES DISCIPLINES

Tout d'abord il s'agit de définir ce que nous entendons par discipline. Si certains analysent les disciplines en tant que profession, nous suivrons ici le sociologue des sciences Robert K. Merton, selon qui une discipline peut se ramener à une communauté scientifique.

« [Une discipline] peut être décrite comme une institution sociale, régie par un système autonome et intégré de valeurs et de règles régissant le comportement de ses membres. Elle fonctionne comme un système de communication (publications, citations, circulation des rapports, échanges d’informations). En outre, des systèmes de récompenses et des mécanismes de reconnaissance assurent sa dynamique collective et sa cohésion » (Merton, 1973)

Ainsi, du point de vue des institutions, les disciplines sont des « constructions contingentes » (Vinck, 2000, p.74), c'est-à-dire qu' « elles ne se construisent pas seulement grâce à leurs ressorts internes et aux querelles de bornage. Elles sont aussi légitimées, reconnues et subventionnées par des instances qui leur sont extérieures » (Vinck, 2000, p.74).

80 « [La discipline est] une catégorie organisationnelle au sein de la connaissance scientifique ; elle y institue la division et la spécialisation du travail et elle répond à la diversité des domaines que recouvrent les sciences. Bien qu'englobée dans un ensemble scientifique plus vaste, une discipline tend naturellement à l'autonomie, par la délimitation de ses frontières, le langage qu'elle se constitue, les techniques qu'elle est amenée à élaborer ou à utiliser, et éventuellement par les théories qui lui sont propres » (Morin, 1994).

Aussi il est important de prendre en compte la dimension institutionnelle dans les dynamiques d’évolution des disciplines. Celles-ci sont donc le résultat d’une part, de « mouvements internes », et, d’autre part, « d’interventions externes, de la part des institutions qui les soutiennent » (Vinck, 2000, p.77).

UN FREIN À LA PRISE EN COMPTE DE LINTERDISCIPLINARITÉ DANS LA CARRIÈRE DES CHERCHEURS

Selon D. Vinck, nous l’avons vu, les disciplines ne sont pas des espaces cloisonnés, les circulations entre les différentes disciplines sont fréquentes et les découpages et cloisonnements sont avant tout institutionnels (Vinck, 2000, p.61).

Ainsi, si l’interdisciplinarité est une pratique courante chez les chercheurs, elle peut se révéler un frein à l’avancement des carrières. Si l’interdisciplinarité est de plus en plus affichée dans les programmes de recherche, elle est mal prise en compte dans la carrière des chercheurs, il convient alors de souligner « la souffrance du chercheur interdisciplinaire [qui] provient des difficultés de sa propre reconnaissance et promotion, de la difficulté de publication dans les grandes revues disciplinaires, des efforts consentis sans reconnaissance institutionnelle adéquate pour organiser l’interdisciplinarité tellement louée » (Joulian et al., 2005).

En effet, « [les] mécanismes de régulation des disciplines scientifiques influencent les conditions de possibilité d’une pratique de l’interdisciplinarité » et les démarches interdisciplinaires des chercheurs peuvent se heurter à des « régulations disciplinaires » (Vinck, 2000, p.64) comme des mauvaises évaluations ou encore des difficultés à publier les résultats.

Dominique Vinck relève des différences de plusieurs registres entre disciplines qui peuvent être un frein à l’interdisciplinarité : 1) des enjeux institutionnels (les enjeux de carrière qui ne sont pas les mêmes selon les disciplines) ; 2) la position relative des chercheurs et enseignants au sein de leur discipline fait que « les risques encourus par la pratiques de l’interdisciplinarité sont différents » ; 3) les visées scientifiques, que l'on peut résumer entre des visées applicatives ou de connaissances fondamentales ; 4) la nature des exigences, du langage et de la formalisation des résultats ; 5) les méthodes, les démarches (ex : type de rapport au terrain) ; 6) la temporalité ; 7) la manière de formuler un sujet de recherche (Vinck, 2000, p.101-102).

81 De plus, la démarche de l’interdisciplinarité réclame un temps long pour « construire l’intercompréhension » (Joulian et al., 2005), ce qui n'est pas compatible avec la logique du court terme instaurée par la recherche sur projet. Pour ajouter à ces contraintes, Dominique Vinck rappelle que l’ouverture interdisciplinaire est aussi une conséquence des besoins en ressources. Les chercheurs sont forcés de rechercher des financements auprès d’organismes variés, publics et privés, et par là-même élargissent « leur champ d’intérêt et d’approche pour saisir des opportunités nouvelles en dehors de leur stricte spécialité » (Vinck, 2000, p.25).

3.3.2 De l’interdisciplinarité à la convergence NBIC : le

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