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De l’interdisciplinarité à la convergence NBIC : le rôle central des « nanos » dans ce mouvement

NANOBIOTECHNOLOGIES - Permettent d’ame liorer les connaissances sur les

TENDANCES FORTES DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE

3.3 Des injonctions à l’interdisciplinarité pour favoriser l’innovation

3.3.2 De l’interdisciplinarité à la convergence NBIC : le rôle central des « nanos » dans ce mouvement

Au niveau de la politique de recherche, il convient de noter le poids du programme de la convergence NBIC dans l’injonction à l’interdisciplinarité. En effet, depuis les années 2000 et le programme américain NBIC, la convergence tend à remplacer l’interdisciplinarité dans les politiques scientifiques.

Dominique Vinck relève trois acceptions de la convergence. La première concerne le rapprochement, voire l’hybridation, de plusieurs domaines des sciences lorsqu’elles travaillent à l’échelle nanométrique ; la seconde concerne l’intégration qui se « ferait depuis l'échelle nanométrique par inscription de l'intelligence dans le façonnage le plus fondamental de la matière qui compose les matériaux, les machines et le vivant » ; la troisième, enfin, découle des deux précédentes « les sciences et les technologies ne convergent que si ceux qui les font eux-mêmes convergent ». Ainsi cette perspective implique « la construction de politiques et de programmes de recherche et de développement conjoints, le rapprochement physique et institutionnel et l'hybridation des disciplines scientifiques mais aussi de l'ensemble des acteurs concernés (industriels, instances de régulation, aménageurs de territoire, porte-paroles de la société, etc. » (Miège et Vinck, 2012, p.2). La convergence NBIC influence les évolutions récentes qui consistent à encourager les regroupements dans un même lieu des établissements de recherche et des entreprises privées, ce qui s’observe dans les Instituts de recherche technologique (IRT), les plateformes technologiques, les pôles de compétitivité, etc.

L’évolution vers la convergence prend sa source dans le développement de la technoscience 85 selon Bernadette Bensaude-Vincent, car celle-ci entraîne un bouleversement de « la carte du savoir », c’est-à-dire une remise en question du découpage du savoir en disciplines (Bensaude-Vincent, 2009, p.57). Selon Bernadette Bensaude-Vincent,

85Le terme « technoscience » a été introduit dans les années 1970 par le philosophe belge Gilbert Hottois. Il désigne d’abord une « mutation des rapports entre science et technique ». Ainsi, « la technique ne serait plus dépendante

82 l’organisation disciplinaire contribue à maintenir une marge d’autonomie car chaque discipline a la possibilité de créer ses propres normes. De plus, l’université offre un cadre qui permet à une discipline d’évoluer selon une dynamique propre, et indépendamment des revendications techniques extérieures. En revanche, la philosophe note que lorsque la science devient plus dépendante de la technique, cela oblige des spécialistes de différentes disciplines à travailler ensemble. Ainsi, si la technoscience ne remet pas en cause la recherche fondamentale, elle « remet en question la revendication d’autonomie de la science par rapport aux enjeux économiques et sociaux » (Bensaude-Vincent, 2009, p.64).

Les « nanos » constitueraient, selon Bernadette Bendaude-Vincent, « un terrain privilégié pour enrichir la notion de technoscience, car elles ne sont ni vraiment une science, ni vraiment une technologie » (Bensaude-Vincent, 2009, p.65).

La « research technology », qui naît au XIXe siècle en Allemagne (Shinn, 2000) serait la source de la technoscience (Bensaude-Vincent, 2009, p.47). Ce type de recherche conduit à la fabrication de dispositifs génériques, qui « favorisent à leur tour le brassage des disciplines ». Le microscope à effet tunnel (STM), instrument à la base des nanotechnologies, est un instrument générique au sens de T. Shinn. Il s’agit d’un instrument générique dans le sens où il n’a pas été inventé pour répondre à une utilisation déterminée et une application particulière. Il permet de mieux connaître les propriétés de la matière et peut être utile aux physiciens comme aux chimistes ou aux biologistes.

Mais la convergence « ne relève pas seulement d’une dynamique des savoirs », elle présuppose « une volonté politique qui assigne un but à la production du savoir », ainsi que le montre le but assigné par Mihail Roco (promoteur de la convergence et auteur du rapport à la base du lancement de la NNI) dans le titre de son rapport « pour augmenter les performances humaines » (Bensaude-Vincent, 2009, p.71). Ainsi, les premiers usages du terme « technoscience » dans les années 1980 lui prêtaient trois caractéristiques : « l’orientation vers des applications, la présence de la technique comme outil indispensable à la production de savoir, l’hétérogénéité des acteurs » (Bensaude-Vincent, 2009, p.80). A cela s’ajoute, avec les « nanos » et surtout la convergence des technologies, un processus de recomposition du savoir provoqué par la technoscience. « Non seulement elle bouscule les cloisons disciplinaires, mais elle transforme aussi la connaissance en un processus téléologique orienté vers une fin assignée par décision politique » (Bensaude-Vincent, 2009, p.80).

83 LE RÔLE PARTICULIER DES SCIENCES POUR LINGÉNIEUR DANS CETTE DYNAMIQUE

Les Sciences pour l'ingénieur occupent une place particulière dans les transformations en cours. Elles se sont construites institutionnellement dans les années 1970 en opposition à la recherche fondamentale, parce que prioritairement orientées vers la production d’innovations technologiques.

La direction des Sciences physiques pour l’ingénieur (SPI) est créée en 197686 au CNRS – elles deviendront Sciences pour l’ingénieur en 1986 (Gagnepain, 2007) – et marque le retour de la priorité donnée à la recherche appliquée au CNRS. « La vocation de la direction des sciences pour l’ingénieur sera d’étendre le vaste domaine des applications de la recherche » (Picard, 1990, p.261). Dans les années 1970, les grandes entreprises ont pris conscience que l’innovation est nécessaire à la compétitivité économique. Au CNRS, un intérêt apparaît pour les « sciences du transfert » (Ibid., p.262)

« L’idée est nouvelle par rapport à l’ancien schéma de la recherche appliquée […] La place de la science par rapport aux applications ne doit pas s’appréhender à l’aval de chaque discipline (maths appliquées, physique appliquée, etc.), mais à travers certaines d’entre elles qui sont situées entre la recherche fondamentale et les applications. Ainsi entre les sciences d’analyse que sont la physique, les maths, l’astronomie, et les sciences d’action comme la médecine, il existe un espace pour les « sciences de transfert » ou « sciences pour l’ingénieur » » (Ibid., p.263).

Selon Dominique Vinck certaines disciplines des SPI seraient aujourd’hui « en panne », non sur le plan académique mais par rapport aux modèles industriels dont elles s’inspirent « qui a nourri leur fondation et qui leur donne pertinence. [...] Il convient de retourner sur le terrain pour renouveler les modèles. L’interdisciplinarité, dans ce contexte, devient une modalité de recherche qui fait sens » (Vinck, 2000, p.79). Or, dans un contexte où la politique de recherche favorise la recherche appliquée, technologique, les Sciences de l’ingénieur sont centrales, ce qui amène à poser la question du rôle qu’elles jouent dans les transformations en cours.

Depuis 1976, le département SPI a connu quelques évolutions. En 2006, le département Ingénierie intègre les départements des Sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC) – créé en 2000 – et des Sciences pour l’ingénieur (SPI). Il change de nom en novembre 2006 et devient Sciences et technologies de l’information et de l’ingénierie (ST2I). En 2009, une réorganisation au CNRS fait disparaître les départements au profit de la création de dix instituts, le département ST2I devient l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis).

84 Aussi, dans la suite de notre travail, nous verrons que les Sciences de l’Ingénieur jouent un rôle particulier dans le développement du domaine des « nanobio », qui procède de l’ouverture des SIaux Sciences de la vie dans un souci d’élargir et de renouveler le domaine de leurs applications. En effet, nous verrons que les SI semblent profiter des transformations et nouvelles injonctions vis-à-vis desquelles elles sont bien placées pour répondre.

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