Ce surcroît de travail oblige North Anna comme les trois autres cen- trales à recourir à la sous-traitance. Cependant cet appel est limité : 65 % des activités de maintenance en arrêt de tranche sont réalisées par des prestataires. Ils représentent néanmoins un flux de 1 500 personnes tout au long des 57 jours que va durer l'arrêt annuel.
A North Anna, la pression des syndicats est moins importante et rend l'emploi de personnels extérieurs davantage flexible. La plupart des pres- tataires reviennent d'une année sur l'autre et sont employés via une job shop. C o m m e à Diablo Canyon, ce sont les contremaîtres qui sont res- ponsables de la sélection des prestataires et des travaux qui leur seront confiés. De plus, les travaux attribués aux prestataires sont très contrô- lés par les contremaîtres. Ces derniers indiquent sans détournement (en comparaison avec le tabou que ce sentiment constituait à Diablo Canyon) qu'ils n'apprécient guère de travailler avec des prestataires. Leurs com- pétences et qualifications sont souvent mises en doute.
« On ne veut vraiment pas travailler avec des prestataires, on doit essayer de travailler de façon plus intelligente, je dois pousser et les contremaîtres
aussi. La centrale appartient à ceux qui la font fonctionner régulièrement.
Les prestataires, ils vont repartir et on devra vivre avec ce qu'ils nous ont laissé. » (Superviseur en second de la section électrique, North Anna)
« Les prestataires sont davantage un poids. On va travailler sur le diesel dans l'enceinte, il y a beaucoup de nettoyage à faire, ils le feront. Ils sont qua- lifiés en tant que mécaniciens mais en fait c'est plutôt des manœuvres. Ils n'ont pas le rythme. En principe ce sont les mêmes qui reviennent mais je sais qu'ils sont en train d'admettre de nouvelles personnes. Typiquement je ne crois pas que mes gars aiment être mêlés aux prestataires. Parfois, ils m'obligent à en prendre mais je n'ai jamais aimé cela, ils ne nous aident pas, dans l'ensemble je n'ai pas besoin d'eux, ils remplissent les trous. » (Contre- maître mécanicien, North Anna)
Ils souhaiteraient pouvoir se passer des prestataires, tant il leur semble difficile de construire en si peu de temps une véritable relation de confiance. Ils ont donc recours aux prestataires uniquement dans deux cas : soit pour des tâches à très faible valeur ajoutée et ne requérant aucune compétence particulière (le nettoyage des locaux, le nettoyage de batteries...) ; soit pour des tâches qui, techniquement, requièrent des compétences non disponibles sur le site et à forte valeur ajoutée. En conséquence, des activités jugées cruciales par les contremaîtres, comme par exemple la révision des vannes, ne sont réalisées que par des employés permanents de North Anna. A l'inverse, toute la révision de la turbine est confiée au constructeur Westinghouse.
Les tâches qu'ils ont à accomplir, fussent-elles particulièrement simples ou au contraire complexes, permettent aux prestataires d'être relative- m e n t autonomes. Et lorsqu'il s'agit de personnels « constructeur », comme pour le chantier de la turbine, ils fonctionnent quasiment en autarcie. Les contrôles qui s'imposent à eux sont les mêmes que ceux faits pour les équipes de la centrale.
Seuls les automaticiens apprécient de travailler avec des prestataires durant les arrêts de tranche car ils sont une source de connaissances nou- velles.
« Pendant un arrêt de tranche, on travaille un peu différemment, on a des prestataires pour nous aider, on a sept techniciens. Les électriciens ne font pas ça et les mécaniciens les utilisent seulement pour refermer les vannes. Je les divise, parce que en instrumentation, il y a beaucoup d'investigations et je valorise l'information et la connaissance qu'un prestataire peut avoir parce qu'il a vu un grand nombre d'endroits. Il y a un échange d'information et de connaissance. Nous avons plus de 80 % de gens qui sont déjà venus, et au fil des années nous avons embauché beaucoup d'entre eux. » (Superviseur, section automatismes, North Anna)
North Anna fait donc figure d'exception et il conviendra de se deman- der ce qui lui permet de réaliser u n arrêt de tranche sans avoir recours à une organisation temporaire.
R É S U M É
Trois centrales sur quatre mettent en place une structure temporaire.
Les membres de ces structures proviennent de tous les services impli- qués dans u n arrêt. Charge à eux d'établir des relations avec leurs ser- vices d'origine de manière à satisfaire les besoins importants en matière de coordination. La mise en place de ces structures laisse à penser que les organisations habituelles ne pourraient faire face aux exigences de coordination rapide que suppose u n arrêt de tranche. L'objectif serait donc de pallier le cloisonnement des services, en sortant de leurs lignes hiérarchiques un certain nombre de personnes sélectionnées. D u moins est-ce l'hypothèse que l'on peut faire à ce point de notre réflexion.
O n a pu constater q u ' e n France, des bouleversements importants concernant l'emploi des prestataires ont amené les sites à modifier leurs organisations, au point que l'arrêt de tranche devient un vaste champ d'expérimentations organisationnelles. Ces dernières semblent avoir déjà des répercussions sur l'organisation permanente des sites. Nous y revien- drons dans les chapitres suivants.
North Anna continue à cultiver son originalité et on essaiera de com- prendre ce qui lui permet de se passer de la mise en place d'une struc- ture temporaire. Alors que les dirigeants des trois autres centrales sem- blent faire grand cas de ces structures temporaires, qui seraient à l'origine de la réussite des arrêts de tranche, le « business as usual» de North Anna peut surprendre.
La mise en place de ces structures temporaires aboutit à créer de nou- velles organisations adossées aux organisations matrices, censées leur fournir ressources et moyens. Dans le même temps, les organisations per- manentes vont voir leur fonctionnement se modifier par l'existence même de ces dipositifs temporaires. C'est pourquoi on ne pouvait les étudier séparément, car elles sont liées les unes aux autres.