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ORGANISATION DE L'ARRÊT AVANT 1990 : LE CAS DU BUGEY

La première différence de taille concerne la mise en place au Bugey, à Nogent et à Diablo Canyon d'« organisations temporaires destinées

A. ORGANISATION DE L'ARRÊT AVANT 1990 : LE CAS DU BUGEY

Avant 1990, c'est-à-dire avant l'application effective de l'arrêté qua- lité de 1984 et avant le changement du Code du travail en matière d'em- ploi des prestataires, la préparation d ' u n arrêt de tranche ne mobilisait pas de moyens très particuliers : elle était courte, trois mois, et unique- ment polarisée autour de la constitution des dossiers d'intervention et de la coordination avec la Conduite.

Préparateurs et prestataires : de vieilles connaissances

Une fois que les travaux et les visites ont été étudiés, les préparateurs et les contremaîtres passent c o m m a n d e à des prestataires en fixant dans les grandes lignes les travaux à faire. 70 % des travaux au Bugey sont confiés à des prestataires. Ils représentent u n flux de 1 500 personnes tout au long des 145 jours que va durer l'arrêt décennal. La passation des commandes se fait sans rédaction formelle de cahiers des charges, ni d'ap-

pels d'offre. Il s'agit davantage de partager u n gâteau entre plusieurs entreprises avec lesquelles les agents d ' E D F ont l'habitude de travailler.

En général les mêmes entreprises, accréditées par E D F , reviennent chaque année pour effectuer les travaux d'arrêt de tranche. Les sous- traitants arrivent en masse durant les premiers jours de l'arrêt. Certains, les mieux lotis, louent une chambre dans u n hôtel de la région, parfois en compagnie de leur femme et de leurs enfants. Beaucoup s'installent dans les campings municipaux à bord de caravanes dont ils sont pro- priétaires. En France, plus de 20 000 salariés extérieurs assurent l'en- tretien des sites de production nucléaires. Leurs compétences couvrent tous les métiers, des plus classiques (électriciens, mécaniciens, tuyau- teurs) aux plus ingrats (décontaminateurs et hommes de ménage) en pas- sant par les plus qualifiés (automaticiens, électroniciens). Cette popula- tion transhumante voyage de site en site, surtout en période d'arrêt de tranche, entre mars et octobre (Pozzo di Borgo, 1996).

Certaines de ces entreprises ont une couverture nationale, d'autres sont plus locales. Elles sont regroupées en trois catégories : le « cas 1 », lorsque ce sont des constructeurs - cette appellation indique que les prestataires interviennent en se conformant au manuel qualité de leur propre entre- prise (c'est le cas par exemple de Framatome) ; le « cas 2 », lorsqu'il s'agit d'entreprises dont le personnel travaille avec les gammes et les procé- dures d ' E D F ; le «cas 3 », lorsqu'il s'agit de personnels prestataires employés à titre de conseillers techniques. La majorité des prestataires intervient en « cas 2 ». Le personnel des entreprises prestataires en « cas 2 » est alors placé sous la direction des contremaîtres et des agents d ' E D F chefs de travaux.

Pour les préparateurs, le travail est alors terminé, car ils ne sont pas détachés à la « Structure d'arrêt ».

La mise en place de la Structure d'arrêt : tisser les liens avec la Conduite

Puis deux mois avant le début de l'arrêt, une organisation temporaire, appelée « Structure d'arrêt » se met en place. La « Structure d'arrêt » est localisée dans le « champignon », bâtiment à part constitué d'algécos en préfabriqué, ni vraiment dans les bâtiments de la centrale, ni véritable- ment dans ceux de la Sous-Unité Technique, en terrain neutre. Il s'agit là d'une localisation symbolique dont on peut penser qu'elle permet de dépasser les inimitiés entre les deux organisations, la Sous-Unité Tech- nique d ' u n côté et la Sous-Unité Centrale de l'autre. Au départ elle est

composée du chef d'arrêt et de son adjoint, tous deux ingénieurs de ser- vice de la S U T , et d'une cellule de Conduite détachée, dirigée par u n ingénieur de Conduite, et qui comprend deux chefs de quart et deux adjoints au chef de quart.

La cellule de conduite détachée et deux techniciens planificateurs réa- lisent le « chemin critique » de l'arrêt décidant des grandes phases de l'ar- rêt en accord avec le chef d'arrêt ; ils établissent les consignations mères.

« La première phase c'est l'arrêt, on baisse la puissance, on découple, on refroidit le réacteur, on a beaucoup de fonctions à assurer ; la deuxième phase, on décharge, c'est là où un maximum de travaux peuvent se faire, il faut juste un peu d'eau ; après, troisième phase, on recharge, il faut avoir tout requali- fié. » (Un chef de quart détaché du Bugey)

Une fois le « chemin critique » établi, l'ingénieur de conduite en accord avec le chef d'arrêt introduit quelques marges de façon à donner de la flexibilité à l'ensemble. Au Bugey, la conception du planning prévoit des temps libres au cas où des travaux déborderaient.

U n e très forte collaboration s'établit entre les deux techniciens de la planification et la cellule de conduite détachée. Les deux techniciens de planification ne sont utilisés au Bugey que lors des arrêts de tranche, puis- qu'il n'existe pas de planification des travaux hors arrêt de tranche. Ils réceptionnent les demandes de régimes et préparent les « retraits d'ex- ploitation » qui seront faits par la cellule de conduite détachée.

« La "planif", elle dit on peut ou on peut pas, elle demande ce qu'on va faire, où on va travailler, si on démonte alors il faut tout consigner et on a des gammes appropriées, s'il n'y a pas de gamme alors il faut la créer... est-ce que le circuit nécessite d'être refroidi, tout dépend du fluide, le tech-planif il rentre tout ça dans l'Assistance Informatique à la Consignation (AIC), il me ramène le tout pour vérifier, pour faire le retrait d'exploitation, on a la signa- ture de l'ingénieur de conduite, il me faut "accord planif" ; et "accord exploit", je revérifie dans l'AIC, si je suis bloqué dans l'AIC, c'est souvent qu'ils [les chefs de travaux] ont pas rendu leur bon. » (Adjoint chef de quart détaché à la structure d'arrêt, Bugey)

Les membres de la Structure d'arrêt

Trois semaines avant le début de l'arrêt, l'ensemble de la « Structure d'arrêt » est « activée ». Au troisième étage du « champignon », les ordi- nateurs personnels sont branchés, le manque d'espace oblige à se serrer et à cohabiter mais chacun entre malgré tout rapidement en possession

d ' u n bureau, d ' u n téléphone et d ' u n bip, outil indispensable des employés d ' u n site nucléaire. T o u s les dossiers d'intervention ne sont pas prêts mais en principe les premiers travaux planifiés peuvent compter sur les leurs.

La « Structure d'arrêt » fonctionne 5 jours sur 7, et 10 heures par jour.

Le reste du temps des « astreintes sont montées ».

Les responsables d'activités (activités mécaniques primaires, activités mécaniques secondaires, électricité, automatismes, services, chimie, radioprotection, services généraux...) prennent place. S'installent éga- lement le chef de la maintenance mécanique de la centrale, qui s'occu- pera des fiches d'anomalies et de la déclaration d'éventuels incidents significatifs et un Ingénieur Sûreté Qualité, chargé de surveiller toutes les opérations réalisées par l'Ingénieur de Conduite détaché. Le chef d'ar- rêt, encore appelé « ingénieur d'arrêt », n'a pas de pouvoir de recrute- ment. Ce sont les chefs des différents services qui décident du choix des responsables d'activité. O n veille par ailleurs à mélanger gens de S U T et gens de centrale.

« On nous demande depuis trois ans les gens que l'on aurait à mettre, c'est toujours des contremaîtres, rarement des contremaîtres principaux d'exécu- tion. » (Ingénieur de maintenance, centrale, Bugey)

La fonction de «responsable d'activité» est tenue par des Contre- maîtres Principaux d'Exécution, avec des contremaîtres pour adjoints.

Les responsables d'activité sont également les « correspondants E D F » des prestataires. Avant le démarrage de l'arrêt, ils rencontrent les diffé- rentes entreprises qu'ils ont choisies, affectent les chantiers, vérifient l'en- semble des habilitations, de manière à signer u n procès-verbal, confir- m a n t le début de chantier, au cours de la « levée des préalables ».

Le chef d'arrêt ne dispose pas de ressources propres. Il doit compter sur la collaboration des chefs de service, dont il n'est pas l'égal hiérar- chique, puisqu'il n ' a pas rang de chef de service. Lorsqu'il est n o m m é

« chef d'arrêt », son interlocuteur privilégié en cas de problème n'est plus le chef de la S U T mais le chef de la centrale 4/5, qui est clairement le décideur en dernier ressort pour tous les points épineux de l'arrêt.

Quant aux prestataires, ils travaillent dans un cadre relativement lâche, où les commandes sont uniquement définies dans leurs grandes lignes, à l'initiative et sous la responsabilité des agents d ' E D F . La contrainte budgétaire est lâche et les responsables d'activités s'apprêtent, sans état d'âme, à signer bon nombre d'avenants aux commandes.

« Le budget est connu, les servitudes c'est ce qui coûte le plus cher, je gère toutes les commandes mais j'en suis à 145 jours alors que j'avais 138 jours,

il me faut 7 jours supplémentaires, je fais un avenant mais c'est pas un pro- blème. » (Responsable d'activité, CPE, Servitudes, Bugey)

En résumé, la préparation au Bugey est avant tout centrée sur le calage des travaux par rapport aux activités de Conduite. L'essentiel de la pré- paration est consacré à la détermination du « chemin critique » et à l'éta- blissement des consignations mères. Le temps consacré à la préparation des travaux est court (trois mois), à tel point que l'ensemble des dossiers d'intervention n'est pas entièrement disponible lorsque l'arrêt est lancé.