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2. Cadre théorique

2.5 Recommandations de la littérature

2.5.2 Pistes d’interventions pour l’enseignement spécialisé

Les adaptations des interventions pour contrer le harcèlement en enseignement spécialisé n’en sont encore qu’à leur balbutiement. En 2011, Rose & al. alarmaient la communauté scientifique par ces mots : « no studies incorporated or investigated interventions for students with disabilities who were victimized or engage in bullying perpetration » (p.127). Même son de cloche en 2015 par Hartley & al. qui affirmaient : « there is a pressing need for research on the effectiveness of antibullying programs to increase inclusiveness and belonging for youth with disabilities » (p.190).

Depuis 2011, quelques chercheurs se sont toutefois prononcés sur la thématique des interventions, que nous allons à présent passer en revue. Avant de commencer, il faut savoir que l’Office médico-pédagogique, qui s’occupe de l’enseignement spécialisé à Genève, ne donne pas de recommandations spéciales par rapport au harcèlement scolaire. De plus, la formation obligatoire destinée aux employés des écoles ordinaires ne l’est à priori pas pour les enseignants spécialisés.

Au niveau de la littérature, Sciutto, Richwine, Mentrikoski & Niedzwiecki (2012) annoncent d’entrée que les enseignants peuvent faire une énorme différence, positive ou négative, dans la manière dont les autres élèves considèrent ceux qui ont un trouble du spectre autistique ; qui rappelons-le, représentent le plus gros pourcentage de victimes. Ainsi, un enseignant qui fait preuve de tolérance, d’empathie et d’encouragement envers ce profil d’élève, augmente l’acceptation des pairs envers celui-ci. Humphry & Hebron (2015) parlent plus généralement du climat scolaire qui doit être axé sur le respect de la diversité et de la différence sous toutes ses formes. Son & al. (2014) conseillent d’allouer le maximum de ressources envers les jeunes enfants à besoins éducatifs particuliers, de manière préventive, afin que ces derniers puissent développer au mieux leur compréhension verbale et apprendre à gérer d'éventuels problèmes de comportements. Le partenariat entre l’enseignant et un logopédiste est indiqué pour l’amélioration des facultés langagières, qui à leur tour vont faciliter le développement des facultés sociales ; celles-ci constituant un facteur protecteur au harcèlement scolaire.

McNamara (2013) propose un modèle un peu plus complet, qui commence avec l’évaluation du harcèlement scolaire via un questionnaire, de manière à prendre conscience de l’ampleur du phénomène et ainsi permettre la mise en œuvre d’un programme d’intervention1. Cependant, une grande partie des élèves avec des besoins éducatifs particuliers vont rencontrer des obstacles pour remplir un questionnaire standard, et il est donc nécessaire de

1 McNamara propose ces adaptations en rapport avec le contexte scolaire états-unien où, pour rappel, l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers est la norme.

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l’adapter aux spécificités de chaque profil d’élèves. Pour des enfants ou adolescents présentant des difficultés de lecture, l’auteur suggère de faciliter le vocabulaire et d’épurer la présentation. Il est aussi possible d’utiliser des images pour illustrer les questions ou les réponses. Pour des enfants présentant des troubles de l’attention, il est conseillé d’administrer le questionnaire en plusieurs fois, si possible dans un environnement calme et pendant le moment de la journée où ils sont le plus attentifs, tout en renforçant positivement les moments de concentration. Les réponses sous formes verbales sont alors privilégiées. Lorsqu’il y a des difficultés de compréhension, il est proposé d’utiliser une vidéo comme support, et d’employer des exemples concrets de la vie courante. Pour les troubles de la vision, il faut imprimer en grand format, lire à la place de l’élève, utiliser une synthèse vocale ou un téléagrandisseur. Si l’enfant est non-voyant, le recours au braille est envisagé. Concernant à présent les difficultés d’écriture et d’expression écrite, il est indiqué d’avoir recours aux questions à choix multiples, permettre les réponses orales ou éventuellement picturales.

Une fois que le harcèlement scolaire a été mesuré au sein de l’école, il convient d’adapter le contenu du programme anti-harcèlement pour les élèves à besoins éducatifs particuliers.

Quelques pistes sont données à cet effet. Pour commencer, McNamara (2013) annonce qu’un enseignement particulièrement explicite est nécessaire pour que ces élèves apprennent à identifier les harceleurs et les victimes, et sachent comment se comporter face aux harceleurs.

Des instructions claires doivent également être fournies concernant la manière de signaler des cas de harcèlement. Pour cela il convient de modifier les modalités de présentation, qui doivent être basées sur les préférences des élèves, de façon à faciliter l’accès aux informations. Ainsi, certains d’entre eux sont plus à l’aise avec les entrées visuelles, auditives, tactiles ou kinesthésiques.

Les enseignants peuvent aussi adapter les livres pédagogiques qui illustrent le harcèlement. La traduction des livres en braille, de même que l’accès à des livres audio, peuvent être requis pour les élèves non-voyants. De même, des textes simples sont souhaitables pour les élèves présentant des difficultés de lecture. Les enseignants peuvent également créer leur propre livre afin de représenter au mieux des situations de harcèlement, en y ajoutant des photos des élèves ainsi que les situations et endroits familiers. Ce procédé est particulièrement recommandé pour les enfants à troubles du spectre autistique ou avec une déficience mentale.

McNamara (2013) conseille par ailleurs d’introduire une différenciation entre les élèves lors des activités, ces derniers n’ayant pas tous les mêmes capacités pour comprendre et approfondir le concept du harcèlement scolaire. Lorsqu’il est possible d’avoir deux enseignants dans une même classe, les modalités de co-intervention les plus pertinentes pour

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aborder le harcèlement scolaire sont l’enseignement en ateliers et l’enseignement avec groupe différencié. Dans le premier cas, la classe est divisée en trois groupes si possible hétérogènes, et ceux-ci travaillent sur un poste qui comporte une activité de nature différente par rapport aux deux autres postes. Après un certain laps de temps, une rotation doit être effectuée. Dans la deuxième configuration, un des deux enseignants prend un petit groupe d’élèves à part et renforce des notions qu’ils n’ont pas réussi à acquérir. Il est de plus préférable de privilégier les présentations concrètes du harcèlement, plutôt qu’abstraites, en partant des expériences des élèves et de leur environnement proche. Le langage utilisé doit être simple ; et les photos, vidéos ainsi que les jeux de rôles sont des éléments riches de sens. Cependant, les élèves à besoins éducatifs particuliers ont besoin d’activités répétées sur ce même thème, de façon à ce que cet enseignement s’ancre dans la pratique.

Afin de garder l’attention de ces élèves qui ont souvent tendance à décrocher rapidement, notamment ceux qui ont un trouble de l’attention avec hyperactivité, il est recommandé de varier les modalités des activités, d’être enthousiaste, et de faire des leçons courtes.

Enfin, ce même chercheur insiste sur le fait qu’il est important d’enseigner des stratégies pour faciliter la mémorisation des contenus d’enseignement, en l’occurrence ici les activités en lien avec le harcèlement scolaire. L’utilisation des moyens mnémotechniques est d’ailleurs particulièrement efficace. McNamara donne comme exemple les six actions qu’un élève peut entreprendre lorsqu’il est la cible de harcèlement ; que l’on peut retenir avec les lettres HA HA SO, qui en anglais signifient : Help (aide) Assert yourself (affirmation de soi) Humor (humour) Avoid (évitement) Self-Talk (parler à soi-même) Own it (posséder ça). La première mesure consiste à expliciter comment et à qui il est possible de demander de l’aide en cas de problème, à savoir les parents, les enseignants, et autres employés de l’établissement. La deuxième mesure implique de montrer à l’agresseur une certaine assurance, par des injonctions courtes mais claires, tout en élevant la voix, comme : « Arrête ! » ou « Ça suffit ! ». Il est aussi conseillé de rester droit, de marcher avec la tête haute et d’un pas décidé.

Etant donné qu’il peut s’agir d’une attitude très difficile à adopter pour certains élèves, un entraînement régulier est nécessaire. L’humour peut ensuite être utilisé à l’encontre du harceleur, mais seulement avec les élèves qui ont des facilités à le percevoir et le manier, sinon l’effet peut être nul ou même négatif. La quatrième mesure consiste cette fois à indiquer clairement aux élèves les endroits, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école, qui sont moins bien surveillés et où les harceleurs ont tendance à se réunir, de manière à les éviter. La technique suivante implique quant à elle d’apprendre à « se parler à soi-même », de façon à réduire l’anxiété et réfléchir calmement à l’élaboration d’une solution. Ainsi, si un élève voit en

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entrant dans le bus un groupe de jeunes qui ont tendance à le prendre pour cible, celui-ci peut se dire à lui-même : « Je vais m’asseoir à l’avant du bus près du conducteur qui pourra me voir et m’aider si je me fais embêter ». La dernière action est celle de faire semblant d’être d’accord avec les propos du harceleur. En effet, si la victime lui donne l’impression d’être d’accord avec ce qu’il dit, le « jeu » perd de son intérêt et le harceleur se détourne plus rapidement de sa proie. Une réplique possible pour la victime serait de dire : « Oui je les hais aussi » si un élève se moque régulièrement de ses lunettes. Cependant, comme pour l’utilisation de l’humour, cette dernière stratégie n’est pas possible à mettre en place avec tous les profils d’élèves, spécialement pour ceux qui présentent un trouble du spectre autistique ou une déficience mentale.

McNamara (2013) rappelle que ces diverses techniques doivent être entraînées de préférence chaque semaine et mises en scène dans des scénarios de la vie de tous les jours, pour ainsi permettre d’automatiser les réactions et apprendre à reconnaître laquelle de ces stratégies est la plus pertinente dans une situation donnée.

Pour finir, Humphrey & Hebron (2015) suggèrent d’agir également sur les camarades des élèves à besoins éducatifs particuliers, lorsque ces derniers sont intégrés dans une classe ordinaire. En effet, il a été remarqué que l’attitude des pairs au développement typique est améliorée, quand ceux-ci reçoivent des informations sur les particularités du trouble de l’élève à besoins éducatifs particuliers et les manières dont il faut interagir avec lui.

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