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5. Présentation des résultats

5.4 Interventions mises en place

5.4.2 Détection

Parmi les moyens de détection efficaces au niveau de l’établissement, nous en avions identifié deux dans la revue de littérature, à savoir le questionnaire anonyme (et sa version adaptée pour les élèves à besoins éducatifs particuliers) et le fil d’écoute permettant de parler à un professionnel autre que l’enseignant titulaire. Il s’avère pour commencer qu’aucun cycle ne

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fait passer des questionnaires, mais un fil d’écoute appelé Abus Ecoute est bel et bien actif depuis janvier 2018. Le site de la République et canton de Genève (2018) explique le concept en ces mots : « Le département de l'instruction publique, de la culture et du sport (DIP) ouvre, en partenariat avec le centre LAVI-Genève, un numéro gratuit à destination des (anciens) élèves souhaitant témoigner en toute confidentialité des situations d'abus sexuels et de harcèlement dont ils auraient été victimes ou témoins dans le cadre scolaire et extrascolaire ».

La seule certitude est que la circulaire associée à ce projet a été transmise aux enseignants, mais il n’est pas possible de savoir s’ils l’ont présentée et explicitée à leurs élèves. Seule Claire en parle: « Oui ils sont au courant, on a expliqué etc., après de là à savoir s’ils l’utilisent, quel est le numéro ; parce que du coup le document est quand même donné aux parents. Ce numéro je sais pas où il faudrait l’inscrire, dans leur agenda ou… qu’ils aient accès » (lignes 244-246).

Parmi les signes qu’un enseignant peut utiliser pour détecter une situation de harcèlement scolaire, nous en avions identifié plusieurs dans la revue de littérature, catégorisés par Olweus (1999) en signes primaires et secondaires. Les signes primaires incluent les marques physiques, les coups ou moqueries manifestes ; ils sont donc étroitement liés à du harcèlement. Les signes secondaires sont quant à eux de nature variée. L’élève peut sembler triste, être souvent seul ou rejeté, tenter de rester près du surveillant pendant les pauses et avoir des performances scolaires et une concentration en baisse. Romano (2015) identifie deux signes supplémentaires que sont les problèmes somatiques et un absentéisme plus important qu’à l’ordinaire.

Quatre professionnels sur neuf - Sandrine, Claire, Nicolas et Virginie – avouent spontanément avoir de la difficulté à repérer les signes de harcèlement. Pourtant, ces professionnels-là ne sont pas ceux qui nient la présence de harcèlement au sein de leur classe malgré des signes relativement évidents, comme c’est le cas pour Patrick, Roland et Sophie. Cette constatation peut paraître surprenante au premier abord, mais elle trouve son fondement dans le raisonnement suivant : reconnaître sa difficulté à identifier le harcèlement c’est admettre que ce dernier existe et donc attribuer aux victimes le statut qui leur est dû, ce que ces enseignants ne sont pas en mesure de faire.

Tous les professionnels mentionnent entre 1 et 3 signes auxquels ils disent prêter attention, et aucun d’entre eux ne semble donc se démarquer. Parmi les signes de détection primaires et secondaires décrits plus haut, chacun d’entre eux n’est cependant cité qu’une fois ; à l’exception de la tristesse de l’élève qui est évoquée par deux professionnels, et que le fait de

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rester près du surveillant pendant les pauses qui n’est mentionné par personne. Sur un total de neuf professionnels interrogés, ces résultats sont donc passablement faibles. Quatre enseignants parlent toutefois d’un changement d’humeur ou d’attitude, soulignant ainsi l’importance d’une différence observée survenant soudainement. Patrick l’exprime en ces termes : « ce que je trouve génial quand bosse avec des enfants tous les jours c’est qu’il y a ce qu’on appelle la constance. L’enfant on sait comment il est, comment il arrive le matin. Il y a des enfants ils sont de mauvais poil le matin mais ils sont tous les matins de mauvais poil, donc on le sait. Dès qu’un enfant commence à changer d’attitude on est tout de suite en alerte » (lignes 400-403). Ces enseignants-là affirment ainsi être capables de repérer un comportement inhabituel du fait qu’ils connaissent bien leurs élèves. Leurs propos font sens si l’on pense à ce qui différencie les classes ordinaires du cycle d’orientation et les classes intégrées. Dans ces dernières, le nombre d’élèves et d’enseignants est en effet beaucoup plus restreint, permettant par conséquent une meilleure connaissance de chaque élève.

Parmi les autres signes évoqués par les participants à l’étude, c’est-à-dire les indices qui n’apparaissent pas dans la revue de littérature, la maladresse relationnelle est nommée une fois, ainsi que l’asymétrie des interactions. Virginie illustre ce dernier terme par l’exemple suivant : « tu le sens s’ils rigolent vraiment ensemble. Quand l’autre il dit [une insulte] et l’autre [répond une autre insulte] et qu’ils rigolent les deux, tu sens que c’est ok, c’est d’un commun accord on va dire (…). Tu vois quand je les ai vus se taper la tête etc., je le voyais rigoler, mais je le voyais pas retaper la tête de l’autre » (lignes 226-234). Cette même enseignante, ainsi que Sophie, utilisent également une technique plus proactive qui est celle de demander directement à l’élève s’il y a un problème. Grâce au cas de Virginie, nous pouvons cependant en déduire que ce moyen n’est cependant pas toujours suffisant, car nous savons par la description de son collègue Roland que l’élève dont elle parle est en effet harcelé par certains de ses camarades. Pourtant, lors de l’entretien l’enseignante nous affirme ceci : « j’ai (…) dit « attends deux secondes je veux juste te poser une question. J’ai vu ce jeu, tu me dirais hein s’ils t’embêtent ? Enfin tu leur dis à eux ou… », il fait « non mais c’est un jeu » » (lignes 168-169).

Pour finir, il est intéressant de relever une particularité dans les propos de Claire qui vient confirmer son manque d’investissement pour les problèmes de harcèlement scolaire au sein de la classe (cf. chapitre sur l’identification de cas de harcèlement scolaire), malgré la bonne conception qu’elle en a et ses moyens de prévention plus nombreux que plusieurs autres participants de l’étude. En effet, son collègue éducateur explique qu’il a pris conscience du caractère harcelant d’un élève quand quatre autres élèves sont venus se plaindre du premier

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lors d’une permanence. Or, Claire n’a pas la même version : c’est l’éducateur qui a mené une activité. Je sais pas il a regardé une vidéo sur le harcèlement je crois justement, et du coup les élèves ressortaient systématiquement le prénom de l’élève. Et du coup on s’est dit « mais il faut qu’on reprenne justement cet élève en question. C’est pas normal qu’autant d’élèves se plaignent de lui ». C’est comme ça que c’est ressorti en fait. C’est une activité qui a permis de faire ressortir ça » (lignes 279-283). L’éducateur ayant été le seul à vivre cette situation, il est légitime d’accorder plus de crédit aux affirmations de ce dernier. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que Claire estime son travail fini lorsque la prévention est faite, mais que la prise en charge des situations problématiques relève du rôle de l’éducateur. Le fait que son collègue n’ait d’ailleurs aucun moyen de prévention mais une bonne connaissance de la situation de harcèlement et qu’il met en place, comme nous allons le voir, certaines techniques d’intervention, vient renforcer ce postulat.

En conclusion, et selon les propos des professionnels, nous pouvons constater que ceux-ci ont dans l’ensemble peu de moyens de détection. De plus, le nombre d’outils de détection utilisé par chaque participant n’est pas en corrélation apparente avec une autre variable de l’étude.