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Chapitre I : Introduction – Les infections bactériennes

B. Les défenses de l’hôte

B.4. c La phagocytose chez D. discoideum

Bien que D. discoideum ne soit pas un métazoaire (Figure 4), de nombreuses fonctions cellulaires fondamentales ont été conservées au cours de l’évolution et ce modèle peut être utile pour l’étude des fonctions typiques des métazoaires (Annesley and Fisher, 2009). Par exemple, la cytokinèse, l’adhésion et la motilité mettent en jeu le cytosquelette d’actine et un grand nombre de protéines telles que la myosine, la taline ou encore les intégrines, et ces processus ainsi que les molécules mises en jeu ont été extrêmement bien conservés au cours de l’évolution (Nagasaki et al., 2001, Kessin, 2001). Comme je l’ai décrit précédemment, D.

discoideum est capable de chimiotactisme, ce qui permet aux cellules d’une part de migrer les unes vers les autres pour se développer en un organisme multicellulaire (Chapitre I : B.4.a), et d’autre part de se diriger vers une source de nutriments (bactéries par exemple). Cette fonction met en jeu la même voie de signalisation chez D. discoideum et chez l’homme (King and Insall, 2009). La macropinocytose, l’endocytose et l’exocytose sont eux aussi des processus fonctionnant de manière très similaire et impliquant les mêmes protéines chez D.

discoideum et dans les cellules de mammifères (Amyere et al., 2002, Maniak, 2002).

L’adhésion, la phagocytose et l’élimination des bactéries chez D. discoideum sont les

mécanismes que je présente ici de façon plus détaillée puisqu’ils sont au cœur des interactions entre amibes et bactéries.

D. discoideum est un phagocyte professionnel pour qui la phagocytose de microorganismes est le moyen de se nourrir. L’amibe est capable d’ingérer, de tuer et de digérer les bactéries. Comme chez les mammifères, la phagocytose chez Dictyostelium consiste en trois étapes successives : (1) la reconnaissance et l’adhésion à la particule, (2) l’internalisation de la particule, et (3) la maturation du phagosome conduisant à la destruction de la bactérie (Bozzaro et al., 2008, Cosson and Soldati, 2008). La photographie de microscopie électronique réalisée par Pierre Cosson illustre très bien les différentes étapes de la phagocytose des bactéries par D. discoideum (Figure 10).

Figure 10 : Phagocytose de bactéries par D. discoideum.

Microscopie électronique d’une cellule de D. discoideum phagocytant des bactéries bouillies. Les 3 étapes successives de la voie de phagocytose sont visibles : (1) adhésion à la bactérie, (2) formation d’une coupe phagocytique conduisant à l’internalisation de la bactérie et (3) dégradation de la bactérie à l’intérieur du phagosome (photo : Pierre Cosson).

Dictyostelium est capable de phagocyter des particules inertes (billes de polystyrène par exemple), des bactéries et des levures. Il doit exister chez l’amibe comme chez les mammifères des systèmes de reconnaissance du « soi » et du « non-soi » puisque, les amibes Dictyostelium sont capables de distinguer leurs congénères et de ne pas les phagocyter. Une exception à la règle est l’amibe cannibale Dictyostelium caveatum. Cette amibe est capable de distinguer les différentes espèces de Dictyostelium pour ne pas phagocyter les cellules de sa propre espèce, et ingère spécifiquement les cellules d’espèces différentes (Waddell and Duffy, 1986, Nizak et al., 2007). Aujourd’hui les récepteurs du « soi » et du « non-soi » n’ont pas été identifiés chez D. discoideum.

Plusieurs études ont mis en évidence chez D. discoideum des protéines membranaires qui jouent un rôle indispensable dans l’adhésion à un substrat ou à des cellules (lors du développement multicellulaire par exemple (Chapitre I : B.4.a)). Je m’intéresse ici particulièrement aux protéines impliquées dans l’adhésion à un substrat et la phagocytose. En 1980, Vogel et al. ont mis en évidence par mutagenèse chimique de D. discoideum, l’existence de récepteurs membranaires de surface impliqués spécifiquement dans la phagocytose de E. coli B/r et la phagocytose de billes de latex hydrophiles (Vogel et al., 1980). Les résultats de cette étude suggèrent que D. discoideum possède un récepteur de type lectine interagissant avec le glucose terminal des lipopolysaccharides de E. coli et un second récepteur reconnaissant les particules hydrophiles. D’autres études ont confirmé ce résultat par la suite et ont montré qu’il existe chez D. discoideum 3 récepteurs de surface capables de lier les glucosides, le mannosides et les N-acétylglucosaminides (Bozzaro and Roseman, 1983) et que le récepteur aux glucosides est nécessaire pour la phagocytose de E. coli (Ceccarelli and Bozzaro, 1992). Malheureusement les mutagenèses chimiques de D.

discoideum réalisées dans ces études ne permettent pas d’identifier le gène muté et donc de connaitre la protéine impliquée.

Plus tard les techniques de mutagenèse dirigée ou de mutagenèse aléatoire par REMI (« Restriction Enzyme-Mediated Integration ») (Chapitre II : B.1.a) ont permis d’identifier des protéines jouant un rôle dans ces mécanismes d’adhésion et de phagocytose. Au moins quatre protéines membranaires sont impliquées : SibA (Cornillon et al., 2006), SadA (Fey et al., 2002), Phg1a (Cornillon et al., 2000) et Phg1b (Benghezal et al., 2003).

La protéine SibA est un homologue des intégrines β des mammifères, d’où son nom SibA qui signifie « similar to integrin β » (Cornillon et al., 2006). SibA présente un domaine

extracellulaire VWA et un domaine cytoplasmique très conservé caractéristiques des intégrines. Le domaine cytoplasmique est impliqué dans la liaison à la taline et la myosine VII, dont les homologues en mammifères interagissent avec les intégrines et jouent un rôle dans l’assemblage du cytosquelette d’actine et l’internalisation. Le mutant sibA KO de D.

discoideum présente des défauts sévères d’adhésion au substrat (zone d’adhésion 4 fois moins importante chez le mutant) et de phagocytose de billes de latex (-90% de billes internalisées) (Cornillon et al., 2006).

SadA, dont le nom signifie « substrate adhesion-deficient mutant », est une protéine à 9 domaines transmembranaires localisée au niveau de la membrane plasmique de D.

discoideum (Fey et al., 2002). Le mutant sadA KO est incapable d’adhérer au substrat et est 2 fois plus mobile que le WT. Ce défaut d’adhésion est à l’origine d’un défaut de cytokinèse, ce qui se traduit par un taux important de larges cellules multinuclées (Fey et al., 2002).

Les deux protéines homologues Phg1a et Phg1b appartiennent à la famille des protéines à 9 domaines transmembranaires. Les cellules phg1a KO ont été obtenues dans notre laboratoire par mutagenèse aléatoire et sélectionnées pour leur défaut de phagocytose (-90% de phagocytose pour les billes de latex et E. coli, -30% pour K. aerogenes) (Cornillon et al., 2000). Le mutant phg1b a été généré par mutagenèse dirigée (Benghezal et al., 2003).

Dans cette étude, les auteurs ont analysé en parallèle les deux mutants phg1a et phg1b, le double KO phg1a-phg1b et les complémentations phg1a+Phg1a et phg1a+Phg1b. Les mutants phg1a et phg1b présentent des défauts de phagocytoses similaires à 25°C, ainsi que des défauts d’adhésion, qui pourraient être à l’origine des défauts de phagocytose. Le double mutant phg1a-phg1b montre des défauts de phagocytose et d’adhésion accentués en comparaison aux simples mutants. La complémentation du mutant phg1a par l’expression de la protéine Phg1a elle-même restaure totalement les phénotypes alors que la complémentation par la protéine Phg1b ne restaure que partiellement les phénotypes (Benghezal et al., 2003).

Phg1a et Phg1b jouent donc un rôle synergique mais pas redondant dans le contrôle de l’adhésion et de la phagocytose.

Récemment dans notre laboratoire, Romain Froquet a étudié en parallèle les trois mutants phg1a, sibA et sadA. Ces mutants présentent des défauts similaires d’adhésion et de phagocytose des billes de latex ou de E. coli. Cette étude a permis de découvrir un lien entre les trois protéines Phg1a, SibA et SadA. Dans les mutants phg1a KO et sadA KO, la quantité de protéine SibA en surface est quasi nulle. Ceci s’explique par le fait que la stabilité de SibA est affectée dans ces mutants. De plus des expériences de RT-PCR ont montré que l’ADN

sibA est beaucoup moins transcrit dans le mutant phg1a que dans la souche sauvage. Les résultats de cette étude (article en préparation) indiquent que les protéines Phg1a et SadA participent aux mécanismes d’adhésion et de phagocytose, en contrôlant le niveau de la protéine d’adhésion SibA à la surface de la cellule.

L’internalisation implique les mêmes réarrangements du cytosquelette d’actine chez D. discoideum que chez les cellules phagocytaires de mammifères (Rupper and Cardelli, 2001). La polymérisation de l’actine à partir du site de liaison de la particule provoque l’extension de la membrane plasmique sous forme de pseudopodes autour de la particule qui est totalement internalisée dans le phagosome une fois la coupe phagocytique fermée. Ensuite le phagosome mature en fusionnant avec les compartiments d’endocytose. Les voies de signalisation via les protéines G, la PI3K, la PLC, et les protéines impliquées tout au long de la phagocytose chez D. discoideum, comme l’actine, les myosines, la coronine, Rab7, sont conservées chez les mammifères (Chapitre I : B.2) (Rupper and Cardelli, 2001). Comme chez les cellules de mammifères, le phagosome de D. discoideum mature par fusion et fission avec les différents compartiments de la voie d’endocytose (Rupper and Cardelli, 2001, Maniak, 2003). Ces mécanismes permettent au phagosome d’acquérir ou de perdre des protéines spécifiques à chaque étape de maturation (Gotthardt et al., 2002, Duhon and Cardelli, 2002).

Les premières protéines détectées au niveau du phagosome naissant sont l’actine, la myosine, la coronine et les vacuolines A et B. Ces protéines sont ensuite remplacées par la GTPase Rab7, les glycoprotéines lysosomales Lamp. Puis la cystéine protéase CP-p34, l’α-mannosidase et la H+-ATPase s’accumulent au niveau du phagosome précoce, et enfin la cathepsine D se concentre au niveau du phagosome tardif. Le pH du phagosome varie au cours de la maturation. Le transport de protons dans le phagosome par la H+-ATPase (Chapitre I : B.3.a), se traduit au niveau du phagosome précoce par une acidification du compartiment qui atteint chez D. discoideum un pH minimal inférieur à 3,5 (Annexes A.1 : (Marchetti et al., 2009)). La disparition de la H+-ATPase du phagosome a pour conséquence la neutralisation progressive du phagosome tardif.

La souche DH1-10 de D. discoideum que nous utilisons dans le laboratoire, a l’avantage de posséder de grands compartiments visibles au microscope et nous disposons de marqueurs protéiques qui nous permettent de distinguer les différentes structures et compartiments de la voie de phagocytose (Figure 11A) (Charette and Cosson, 2008). La protéine crac-GFP et l’actine sont spécifiques des coupes phagocytiques (1) et des

phagosomes naissants (compartiments non représentés sur la Figure 11). Ces protéines disparaissent et sont remplacées par la H+-ATPase et la protéine p80 au niveau des phagosomes précoces (2). La H+-ATPase disparait peu à peu alors que le niveau d’expression de p80 augmente au cours de la maturation du phagosome et atteint son maximum au niveau des phagosomes tardifs (3) (Figure 11A et B). Une différence majeure entre les amibes et les cellules classiques de mammifères est que les amibes sont capables d’exocyter le contenu de leur phagosome. Ce processus nécessite le cytosquelette d’actine et cela se traduit par l’apparition d’actine au niveau du phagosome tardif, suivie de l’apparition de patch p80 (4) au niveau de la membrane plasmique (Charette and Cosson, 2008).

Figure 11 : Les marqueurs de la voie de phagocytose chez D. discoideum.

A. Ce schéma représente les différentes structures de la voie de phagocytose (coupe phagocytique, phagosome précoce, phagosome tardif, patch d’exocytose) et les marqueurs protéiques utilisés pour les différencier (crac, p80, H+-ATPase, actine). (VC : vacuole contractile.)

B. L’intensité de signal p80 en immunofluorescence permet de distinguer aisément les différents compartiments phagocytiques. Ici l’étape d’exocytose n’est qu’à son début, le phagosome fusionne avec la membrane plasmique, et ce n’est que lorsqu’il sera totalement intégré à la membrane que le patch d’exocytose sera visible.