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La peur de la maladie et la découverte de symptômes

1. Les acteurs de la publicité directe des médicaments d’ordonnance

1.2 Les consommateurs

1.2.3 La peur de la maladie et la découverte de symptômes

La PDMO amène les consommateurs à ressentir différents types d’émotions. L’idée principale est de répondre à leurs besoins psychologiques et sociaux pour les porter à consommer le produit publicisé185. Comme nous l’avons observé précédemment lors de l’étude des tactiques publicitaires employées par l’industrie pharmaceutique, les stimulations positives et les récompenses sont de bonnes motivations et aident finalement à la vente de médicaments186. Une étude américaine de 2001 a démontré que 67% de la PDMO aux États-Unis faisait référence aux émotions ressenties par les consommateurs. De toutes les émotions étudiées dans ce contexte, celle qui faisait le plus appel à ces consommateurs était « le retour à la normalité »187. Donc la PDMO présente surtout des gens positifs et heureux pour qui le retour à la normalité représente la récompense à la prise de médicaments.

Cependant, les émotions ressenties par les consommateurs ne sont pas toutes positives. Certaines campagnes publicitaires sont essentiellement axées sur la peur et l’industrie pharmaceutique ne se gêne pas pour démontrer quelles sont les conséquences possibles si le consommateur ne prend pas ledit médicament. Celui-ci se retrouve alors au centre d’un cycle d’anxiété principalement stimulé par la peur188. Il devient alors aisé au promoteur du

185 Élizabeth Ann ALMASI, « The Relationship between Direct-to-Consumer Prescription Drug Advertising

and Prescription Rates », mai 2006, Faculté d’économie, Université de Stanford, p. 19, en ligne : http://economics.stanford.edu/files/Theses/Theses_2006/Almasi.pdf (page consultée le 28 juin 2011)

186 Voir la sous-section 1.1.2.

187 E. ALMASI, préc., note 185, p.20. 188 Id.

médicament de proposer une solution et ainsi aider à diminuer ce sentiment d’angoisse189.

Le consommateur peut donc se dire « l’ostéoporose est une maladie redoutable et incapacitante. Je reconnais certains des symptômes. Si mon médecin me confirme que j’en suis atteint, je suis chanceux puisqu’il existe un médicament pour me soigner ». De cette façon, la perception qu’a le consommateur du médicament est positive, et de plus, le résultat de soulagement produit par la PDMO lui procure un bien-être psychologique et social190.

Un bon exemple de cette tendance alarmiste est une campagne publicitaire lancée par Pfizer en 2003 pour le Lipitor, médicament pour le contrôle du cholestérol191. Les publicités

imprimées destinées au marché canadien présentaient la photo des pieds d’un cadavre, arborant une étiquette d’identité. La publicité télévisée présentait le cas d’un homme jeune et en santé, mort subitement d’une crise cardiaque, laissant sa famille au désespoir. Dans les deux cas, ni le nom du fabricant ou du médicament n’étaient indiqués. Mais il est bon de savoir qu’en 2003, le Lipitor était le médicament le plus vendu au monde avec un revenu annuel frôlant le 8 milliards de dollars pour Pfizer et une part de marché de 42% pour cette catégorie de médicament (statines)192. La publicité-choc de Pfizer pouvait pousser les consommateurs à croire que des tests de dépistage du cholestérol et un traitement médicamenteux permettaient d’éviter les décès prématurés dus à des crises cardiaques chez les personnes en bonne santé. Ce qui est dérangeant, c’est que ce message allait toutefois à l’encontre des données de recherches disponibles en 2003193. Pourtant, plusieurs consommateurs inquiets au sujet de leurs taux de cholestérol et se renseignant auprès de

189 Id., p.21. 190 Id.

191 Fédération Canadienne de la recherche sur les services de santé, préc., note 101.

192 John SIMONS, « The $10 Billion Pill Hold the fries, please. Lipitor, the cholesterol-lowering drug, has

become the bestselling pharmaceutical in history. Here’s how Pfizer did it », CNN Money, 2003, en ligne : http://money.cnn.com/magazines/fortune/fortune_archive/2003/01/20/335643/index.htm (page consultée le 28 juin 2011).

193 « Do statins have a role in primary prevention? », Therapeutics initiative, avril, mai et juin 2003, en ligne :

leurs médecins se sont sans doute fait prescrire du Lipitor compte tenu de la part de marché de ce produit.

Les compagnies pharmaceutiques rendent parfois accessibles des outils d’autodiagnostic afin d’inciter les consommateurs à consulter leur médecin et à aborder des problèmes de santé précis. Ces publicités qui interrogent les consommateurs, ou des questionnaires, sont disponibles en quantité industrielle sur l’internet194, mais également dans les médias écrits et parfois même à la télévision. À défaut de créer la peur chez les consommateurs, ces outils peuvent tout de même engendrer une certaine forme d’angoisse et de curiosité. Voici un exemple de questionnaire pour le médicament Zoloft de Pfizer, un antidépresseur, paru dans le magazine People195.

Figure 6.

194 Par exemple, le site de Lipitor permet d’auto-évaluer les risques d’avoir une maladie cardiovasculaire :

http://www.lipitor.com/assessYourRisk.aspx

195 « Pfizer Launches 'Zoloft For Everything' Ad Campaign », The Onion, mai 2003, issue 39-18, en ligne :

http://www.theonion.com/articles/pfizer-launches-zoloft-for-everything-ad-campaign,297/#enlarge (page consultée le 25 novembre 2011)

Il ne fait aucun doute que ces instruments d’autodiagnostic peuvent être utiles dans certaines circonstances et pousser des individus à se questionner sur un problème de santé véritable. Mais il arrive aussi que ces instruments soient trop imprécis pour bien guider le consommateur. Cette situation peut créer de l’anxiété inutile chez le patient et une perte de temps pour le médecin consulté.

L’exemple suivant date de 1997 et illustre bien que cette tendance est bien ancrée dans la culture de la PDMO. Aux États-Unis, Astra Merck a produit une publicité télévisuelle énonçant « people who have heartburn two or more times a week probably do not have ordinary heartburn, but the potentially serious condition of gastro-oesophageal reflux disease »196. Les consommateurs étaient ensuite invités à consulter leur médecin à propos du médicament produit par Astra Merck, Prilosec, et à appeler un numéro 1-800 afin de recevoir gratuitement une brochure énonçant les symptômes de la maladie et un questionnaire à remettre au médecin lors de leur visite197. Tel que mentionné, le danger d’une telle pratique est que plusieurs personnes se reconnaissent dans la description proposée et aillent consulter leur médecin afin de recevoir un médicament traitant une maladie qu’ils n’ont pas. En 2007, la campagne publicitaire télévisuelle de Zoloft, produit par Pfizer, illustrée à la figure 7, était basée sur le même modèle. Pour ce médicament traitant la dépression, on énonçait des symptômes tels l’anxiété, des états de panique et stress intense persistant pour des périodes de plus de deux semaines. Le consommateur était invité à consulter son médecin s’il se reconnaissait dans cette description198.

196 B. MINTZES, préc., note 66, p. 10. 197 Id.

198 Publicité de Zoloft (Pfizer), 2007, en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=6vfSFXKlnO0 (page

Figure 7.

“You know when you feel the weight of sadness. You may feel exhausted, hopeless and anxious. Whatever you do, you feel lonely and don’t enjoy the things you once loved. Things just don’t feel like they used to. These are some symptoms of depression, a serious medical condition affecting 20 million Americans.”

En plus d’essayer de rejoindre d’éventuels utilisateurs du médicament en présentant des symptômes d’une potentielle maladie, les compagnies pharmaceutiques utilisent aussi la PDMO afin d’interpeller des consommateurs qui se savent déjà atteints d’une maladie spécifique. Par exemple, depuis 1997, l’Association Américaine PhRMA produit des brochures sur des maladies telles le SIDA, le cancer et l’Alzheimer qu’elle a distribuées dans différentes éditions du Time, du Reader’s Digest, du Newsweek et dans d’autres publications. Ces publicités semblent être du matériel éducatif, même si une discrète mention « Special Informational Advertisement » apparaît à chaque page des brochures199.

Cette même compagnie a produit en 2010 des brochures intitulées « AIDS Products in Development », « Cancer Products in Development » et « Cardiovascular Products in Development »200. Les gens qui se savent souffrir d’une condition ou d’une maladie se tiennent généralement au courant des avancées de la science en ce qui a trait à leur état de santé. Le risque ici est que la PDMO puisse créer de l’incertitude quant au choix du traitement approprié et inciter les consommateurs à modifier leur médication uniquement parce qu’on leur présente un produit dit « nouveau ». Or, comme nous l’avons vu antérieurement, ce qui est nouveau dans le domaine pharmaceutique n’est pas nécessairement meilleur…201

Ce souhait légitime des consommateurs malades de correspondre à la normalité sous-tend la tension existante entre le droit à l’information et les procédés publicitaires. Il faut que l’information soit de qualité afin d’être profitable aux consommateurs, mais quand l’argument mis de l’avant afin de capter leur attention est surtout de nature émotionnelle, il est permis d’avoir des doutes quant aux bienfaits escomptés de la PDMO.

199 B. MINTZES, préc., note 66, p. 17.

200 « Produits en développement pour le SIDA », « Produits en développement pour le cancer » et « Produits

en développement pour les maladies cardiovasculaires ». UNITED STATES DEPARTMENT OF HEALTH & HUMAN SERVICES, « Pharmaceutical Research and Manufacturers of America – PhRMA », septembre 2010, en ligne : http://www.healthfinder.gov/orgs/HR0658.htm (page consultée le 28 juin 2011)

Le consommateur de médicaments d’ordonnance est fragile et vulnérable. Il est la cible d’une industrie très puissante et ses connaissances ne lui permettent pas toujours de bien absorber et traiter l’information qui lui est transmise par la PDMO. De plus, l’industrie censée participer à son processus de guérison ne se prive pas pour manipuler ses émotions. La relation industrie pharmaceutique / consommateur de médicaments, dans le contexte de la PDMO, serait inconditionnellement malsaine si un troisième joueur n’était pas impliqué. Le professionnel de la santé est l’intermédiaire nécessaire entre l’industrie et le consommateur, et il sera le sujet de la prochaine section.