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L’influence de la publicité directe des médicaments d’ordonnance sur la teneur et la fréquence des ordonnances

1. Les acteurs de la publicité directe des médicaments d’ordonnance

1.3 Les professionnels de la santé

1.3.2 L’influence de la publicité directe des médicaments d’ordonnance sur la teneur et la fréquence des ordonnances

Actuellement, les patients n’ont pas le choix de consulter un professionnel de la santé afin de se procurer les produits annoncés par la PDMO. Cette mesure a été mise en place pour protéger ces personnes et s’assurer que le produit qu’elles désirent consommer est le plus approprié à leur état de santé. Mais cette mesure de protection est-elle aussi efficace qu’elle le devrait? Malheureusement, les patients qui visitent un professionnel de la santé s’attendent à recevoir une ordonnance219, et ces consommateurs de médicaments sont rarement déçus220. En effet, en 2007, 420 millions d’ordonnances ont été traitées dans les

218 P. SULLIVAN, préc., note 215.

219 «Public and Physician Views of Direct-to-Consumer Prescription Drug Advertising», préc., note 173, p.12. 220 Il faut toutefois tenir compte de facteurs démographiques quand l’on aborde le sujet des variations du

nombre d’ordonnances. Premièrement, le vieillissement de la population a un effet direct sur l’augmentation du nombre d’ordonnances émise dans une année. Les gens plus âgés développent plus de conditions et de maladies chroniques et doivent prendre une médication évoluée afin de les traiter. Deuxièmement, à chaque année, l’on diagnostique chez de nouvelles personnes des conditions et des maladies chroniques. Le nombre d’ordonnances émises chaque année comprend donc les gens qui étaient déjà atteints, ainsi que les nouveaux diagnostiqués. Par exemple, au Canada en 2006-2007 la prévalence ajustée du diabète a augmenté de 4 % par rapport à l'année précédente et de 21%, de 2002-2003 à 2006-2007. Cette augmentation a eu un impact corrélatif sur le nombre d’ordonnances émises pour cette population de malades chroniques. AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA, « Le diabète au Canada : Rapport du Système national de

surveillance du diabète, 2009 », 2009, en ligne : http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/2009/ndssdic-snsddac- 09/2-fra.php (page consultée le 29 novembre 2011).

pharmacies canadiennes, ce qui équivaut à 12,6 ordonnances par personne221. L’industrie

pharmaceutique a réussi à modifier les attentes lors de la visite chez le médecin en faisant passer le « est-ce que le médecin t’a prescrit un médicament? » à « quel médicament le médecin t’a-t-il prescrit? »222. Dorénavant, une ordonnance va de soi lorsqu’un patient voit son médecin.

Face à ce constat, en 2008, la Fondation Henry J. Kaiser Family a publié une étude exhaustive sur la PDMO aux États-Unis223. Cette Fondation s’est interrogée, entre autres,

sur la relation entre le consommateur et le professionnel dans le cadre d’une rencontre motivée par la PDMO. La première partie de l’étude s’adressait directement aux professionnels de la santé et a été menée en 2006224. On a vérifié auprès de professionnels de la santé ce qui, selon eux, influençait les consommateurs à parler d’une maladie ou d’un traitement précis. Tel que l’illustre la figure 9, la famille et les amis viennent en premier lieu : une discussion arrivait fréquemment dans 37% des cas et parfois dans 52% des cas. La PDMO s’est classée au deuxième rang : 28% des professionnels ont dit parler fréquemment à des patients de maladie ou de traitement mentionnés dans une PDMO, et que cela arrivait parfois dans 52% des cas. Les autres sources suggérées dans l’enquête comprenaient les médias en général, l’internet et les émissions de divertissement à la télévision225.

221 Canadian Health Coalition, « Big Pharma », p.2, en ligne : http://healthcoalition.ca/main/issues/big-pharma

(page consultée le 29 juin 2011)

222 B. MINTZES, préc., note 66, p.32.

223 «Public and Physician Views of Direct-to-Consumer Prescription Drug Advertising», préc., note 173, p.12. 224 « Public Views on Direct-to-Consumer Prescription Drug Advertising », préc., note 15, p.16.

Figure 9.

Toujours dans le cadre de cette même étude, la Fondation Henry J. Kaiser Family a interrogé des professionnels de la santé afin de savoir quelles actions ils posaient quand ils se faisaient demander un médicament ciblé dans une PDMO226. Tel qu’illustré à la figure 10, dans 5% des cas, les professionnels prescrivaient fréquemment le médicament demandé, et dans 52% des cas, cela se produisait parfois. À l’opposé, dans 76% des cas c’est un autre médicament qui était fréquemment ou parfois prescrit. Les modifications des habitudes de vie étaient également une recommandation habituelle (92% des professionnels de la santé le recommandent fréquemment ou parfois) ainsi que l’absence de traitement ou la prise d’un médicament en vente libre.

Figure 10.

La deuxième partie de l’étude, visant les consommateurs, a été menée en 2008. Il est intéressant de constater que les réponses aux questions posées sont similaires même si elles ne s’adressent pas aux mêmes personnes et qu’elles ont été posées à 2 ans d’intervalle. Ainsi, tel qu’illustré à la figure 11, 32% des consommateurs ont répondu avoir parlé à leur médecin d’un médicament précis qu’ils avaient vu dans une PDMO. De ce nombre, 82% ont dit que le professionnel de la santé leur avait prescrit un médicament227. Cependant, 44% ont reçu le médicament demandé alors que 54% ont reçu une ordonnance pour un autre médicament228. Les professionnels de la santé consultés ont de plus fait d’autres

227 Soit 26% de tous les répondants. 228 Soit 14% et 17% de tous les répondants.

recommandations telles un changement d’habitudes de vie (exercice, alimentation, etc.) ou suggérer la prise d’un médicament en vente libre229.

Figure 11.

Dans le même ordre d’idées, mais au Canada cette fois-ci, une étude de 2002 menée à Vancouver a révélé que la PDMO avait eu un effet sur le nombre et le choix des ordonnances230. Cette influence était toutefois moins marquée qu’aux États-Unis et les auteurs de l’étude ont attribué cette différence à une exposition moins grande des Canadiens à la PDMO. Cette étude auprès des professionnels de la santé canadiens a

souligné que 67% des omnipraticiens ont signalé subir, parfois ou souvent, des pressions pour prescrire des médicaments visés par de la PDMO. En 2006, des publicités sur le Tégasérod, produit thérapeutique devant traiter le syndrome du côlon irritable, ont été diffusées à la télévision américaine231. Cette publicité montrait, entre autres, des femmes de tous âges et races ce qui faisait croire à un usage généralisé du produit et le ton employé laissait sous-entendre une utilisation pour des maux superficiels. Cependant, l’information relative à la sécurité, à l’efficacité limitée et à la population pouvant bénéficier du produit était manquante. Ce médicament a été retiré du marché par Santé Canada et la FDA en mars 2007 en raison de risques cardiovasculaires. Ce qu’il est intéressant de constater dans cet exemple est que le nombre d’ordonnances pour le Tégasérod a augmenté de 56% aux États-Unis et de 42% chez les Canadiens anglophones suite à la campagne de PDMO diffusée en sol américain232. La corrélation entre la PDMO et l’augmentation du nombre d’ordonnances est, dans ce cas, sans équivoque.

Il n’est pas suffisant de constater que la PDMO a un effet sur le nombre d’ordonnances; il est également opportun de considérer l’effet de cette publicité sur la qualité de ces dernières. Selon l’Association médicale canadienne, une ordonnance optimale comporte quatre éléments-clés : elle convient le plus à l'état du patient sur le plan clinique, est sécuritaire et efficace, s'inscrit dans un plan de traitement complet et offre le meilleur rapport coût-efficacité pour répondre le mieux possible aux besoins du patient233.

Selon une étude de 2003 menée aux États-Unis et au Canada, à la fois auprès de professionnels de la santé et de patients, il a été démontré que la PDMO avait une influence

230 Barbara MINTZES, « Le Canada devrait-il autoriser la publicité directe des médicaments d’ordonnance?

NON », Canadian Family Physician février 2009, Vol. 55, No. 2, p.135 – 138, en ligne : http://www.cfp.ca/cgi/content/full/55/2/135 (page consultée le 11 juin 2011)

231 Id. 232 Id.

sur la justesse des ordonnances234. En effet, 7,2% des Américains ont fait une demande

pour une ordonnance de médicament vu dans une PDMO alors que ce pourcentage n’était que de 3,3% au Canada. De ce nombre, 78% des Américains et 72% des Canadiens ont reçu l’ordonnance désirée. Notons que les professionnels de la santé ont jugé que 50% de ces nouvelles ordonnances, demandées suite à une PDMO, seraient des options pharmaceutiques qualifiées de « possibles » ou « improbables » pour d’autres patients ayant un problème ou une condition similaire. Ce pourcentage n’est que de 12,4% pour les patients n’ayant demandé aucun médicament précis. Ce que l’on doit retenir de cette étude est que les patients qui ont fait ces demandes avaient plus de chance de se faire prescrire un nouveau médicament que les patients qui n’avaient rien demandé.

Toutes les études exposées dans la présente section démontrent clairement que la PDMO a une influence quantitative et qualitative sur les ordonnances émises par les professionnels de la santé. Cette tendance est inquiétante puisque la PDMO présente au Canada augmente continuellement. Le dernier volet de l’influence de la PDMO que nous examinerons dans cette section est à la base même du système de santé moderne : la relation entre le patient et son professionnel de la santé.