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CHAPITRE I : Les Dystrophies Myotoniques

2. Les dystrophies myotoniques : des chiffres et des lettres

2.2. Les mécanismes moléculaires à l’origine des dystrophies myotoniques

2.2.4. La perte de fonction des protéines MBNL

En 2000, l’équipe de Maurice Swanson a découvert une nouvelle protéine grâce à des tests de liaison à des ARNs contenant de longues répétitions CUG. Cette protéine, nommée MBNL1 « Muscleblind like 1 », se lie spécifiquement aux ARNs contenant des répétitions CUG (Miller et al., 2000). Puis, des expériences d’ARN-FISH couplées à une immunofluorescence ont montré que MBNL1 colocalise parfaitement avec les agrégats d’ARN CUG et CCUG chez les patients DM1 et DM2 (figure 8) (Fardaei et al., 2001 ; Mankodi et al., 2001 ; Cardani et al., 2006 ; Holt et al., 2009 ; Perdoni et al., 2009). La séquestration de MBNL1 par les ARNs contenant les longues répétitions CUG et CCUG a été alors mise en évidence par des tests d’épissage et des expériences de FRAP (Dansithong et

al., 2005 ; Ho et al., 2005 ; Hino et al., 2007 ; Goers et al., 2010). De plus, la génération de

souris invalidées pour le gène Mbnl1 (Mbnl1-/-) reproduisant la plupart des symptômes musculaires et oculaires des DM, a confirmé le rôle important de la séquestration de MBNL1 dans la pathogénèse des DM (figure 9) (Kanadia et al., 2003 ; Matynia et al., 2010). Enfin, la surexpression de MBNL1 dans les muscles d’un modèle murin exprimant 200 répétitions CUG et mimant la DM (HSALR) permet de diminuer la myotonie (Kanadia et al., 2006). La séquestration de MBNL1 par des ARNs contenant des répétitions CUG ou CCUG s’apparente donc à une perte de fonction de cette protéine, ce qui conduirait au phénotype des dystrophies myotoniques.

MBNL1 est une protéine d’environ 42 kDa régulant l’épissage alternatif d’ARNs pré-messagers spécifiques. Cette protéine appartient à une famille de trois membres : MBNL1,

A

B

Figure 10 : Représentation schématique et structure de MBNL1.

A. Les quatre doigts de zinc (ZnF) présents à l’extrémité N-terminale sont représentés par des rectangles verts. Les chiffres 14 et 16 correspondent au nombre d’acides aminés séparant les doigts de zinc ZnF1 et ZnF2 et les doigts de zinc ZnF3 et ZnF4, respectivement. Le motif d’adressage nucléaire (NLS), codé par l’exon 5, est représenté par un rectangle rose et n’est présent que dans les isoformes 37, 38, 42 et 43 de MBNL1 (Tran et al., 2011).

B. Structure cristalline des domaines à doigts de zinc ZnF3 et ZnF4 de MBNL1 en complexe avec l’ARN r(CGCUGU). Sur les deux représentations, ZnF3 et ZnF4 interagissent avec les ribonucléotides GC. Les atomes de zinc sont représentés par des boules roses, et les molécules d’ARN sont représentées en rose et orange (Teplova and Patel, 2008).

MBNL2 et MBNL3, dont les expressions sont régulées selon le type tissulaire et le stade de développement. Ainsi, MBNL1 est principalement exprimé dans les muscles squelettiques et cardiaque, MBNL2 est principalement exprimé dans le cerveau et le cœur, alors que MBNL3 est principalement exprimé dans le placenta et au stade embryonnaire (Fardaei et al., 2002 ; Kanadia et al., 2003). De plus, alors que l’expression de MBNL1 et MBNL2 augmente au cours du développement, celle de MBNL3 diminue (Kanadia et al., 2003b). D’autre part, la localisation subcellulaire de MBNL1 est tout d’abord cytoplasmique puis devient majoritairement nucléaire au cours du développement du muscle squelettique (Lin et al., 2006). Enfin, l’épissage alternatif de MBNL1 donne naissance à plusieurs isoformes de cette protéine comprises entre 35 et 43 kDa (Kino et al., 2004). Ainsi, la région codée par l’exon 3, située entre les doigts de zinc Znf2 et Znf3, est importante pour la liaison de MBNL1 à l’ARN (Kino et al., 2004), et la région codée par l’exon 5 semble être impliquée dans la localisation nucléaire de MBNL1 (figure 10A) (Lin et al., 2006 ; Terenzi et al., 2010 ; Fernandez-Costa et

al., 2010 ; Tran et al., 2011). MBNL1 possède quatre domaines à doigts de zinc de type

CCCH (3 cystéines et 1 histidine) dans son domaine N-terminal (Miller et al., 2000). Chacun de ces doigts de zinc reconnaît un motif UGC (figure 10B) (Teplova and Patel, 2008), ainsi chaque molécule de MBNL1 peut reconnaître quatre motifs UGC. Ces motifs sont retrouvés dans les répétitions CUG ou CCUG des patients DM, et dans les ARNs pré-messagers dont l’épissage alternatif est régulé par MBNL1 (Ho et al., 2004 ; Yuan et al., 2007 ; Warf et al., 2009a ; Goers et al., 2010 ; Wang et al., 2012). En conséquence, chez les patients DM, la séquestration de MBNL1 dans les agrégats de répétitions CUG ou CCUG conduit à une diminution de la concentration de protéine MBNL1 libre, conduisant à des altérations de l’épissage alternatif des transcrits régulés par MBNL1 (Ho et al., 2004 ; Lin et al., 2006 ; Warf and Berglund, 2007 ; Yuan et al., 2007 ; Kino et al., 2009 ; Fugier et al., 2011). Enfin, plus de 80% des altérations d’épissage sont communes entre le modèle murin HSALR exprimant 200 répétitions CUG, et le modèle Mbnl1-/- confirmant ainsi le rôle de la perte de fonction de MBNL1 dans la maladie (Du et al., 2010).

Toutefois, des données récentes ont remis en question l’importance de MBNL1. En effet, le séquençage à haut débit d’ARN provenant de cerveau, de cœur et de muscle de souris

Mbnl1-/- montre que si plus d’une centaine d’évènements d’épissage alternatif sont altérés dans le muscle squelettique, très peu d’épissages sont altérés dans le cœur et le cerveau de ces souris (Wang et al., 2012). Ces résultats ont été confirmés par une étude qui montre que les altérations d’épissage sont plus faibles dans le cerveau des souris Mbnl1-/- que dans le cerveau de patients DM1, suggérant ainsi que d’autres facteurs pourraient réguler ces épissages

Figure 11: L’invalidation de Mbnl2 chez la souris reproduit certains symptômes neurologiques des patients DM1.

(Charizanis et al., 2012).

A. Comparaison de la taille des souris. Les souris Mbnl2-/- sont plus petites que les souris

Mbnl2+/+.

B. Analyse des troubles du sommeil. Le nombre de mouvements oculaires rapides (MOR) est plus important chez les souris Mbnl2-/- que chez les souris Mbnl2+/+.

C. Mesure de l’amplitude de potentiel post-synaptique excitateur (EPSP) dans les souris

alternatifs (Suenaga et al., 2012). Ces résultats sont à mettre en perspective avec la faible expression de MBNL1 dans le cerveau comparée à l’expression de son paralogue MBNL2. Ainsi, des souris invalidées pour le gène Mbnl2 (Mbnl2-/-) développent des altérations spécifiques de l’épissage de plus d’une centaine d’exons conduisant à une diminution de la transmission synaptique médiée par le récepteur NMDAR et à des altérations du système nerveux central tels que l’hypersomnie, les mouvements oculaires rapides (REM) et des déficits de la mémoire spatiale (figure 11) s’apparentant aux symptômes neuronaux des dystrophies myotoniques (Charizanis et al., 2012).

Concernant le troisième membre de la famille MBNL, MBNL3, son expression est détectable chez l’embryon et dans les cellules satellites du muscle mais diminue au cours de la différenciation. Une première étude de la fonction de MBNL3 montre que sa surexpression entraîne l’activation de la différenciation de cellules C2C12 (Lee et al., 2010). Plus récemment, l’équipe du Dr Swanson a montré que la déplétion de Mbnl3 dans des myoblastes de souris (C2C12) entraîne un retard de leur différenciation (Poulos et al., 2013). De même, des souris invalidées pour l’exon 2 de Mbnl3 présentent une diminution de la capacité de régénération du muscle suite à une blessure (Poulos et al., 2013). Ces études suggèrent que MBNL3 serait impliqué dans la différenciation des cellules satellites musculaires et pourrait donc être impliqué dans le retard de développement observé chez les nouveaux nés CDM. Toutefois, il est à noter que la perte de l’exon 2 de Mbnl3 ne conduit pas à une perte totale de l’expression de ce gène et ne permet donc pas de conclure définitivement sur la fonction de MBNL3.

L’ensemble de ces études suggère donc pour les dystrophies myotoniques, un mécanisme dans lequel les expansions de répétitions CUG ou CCUG séquestrent les différents membres de la famille MBNL, principalement MBNL1 dans le muscle squelettique, MBNL2 dans le cerveau et peut être MBNL3 dans l’embryon, conduisant ainsi à des altérations spécifiques de l’épissage alternatif. Je vais décrire dans la partie suivante les conséquences cellulaires et/ou physiologiques de ces altérations de l’épissage.