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III.1. Modifications épigénétiques des HCAEC

Comme discuté précédemment, la durée d’exposition à une hyperthermie, même modérée, a un impact sur la réponse cellulaire. Au-delà de la durée d’exposition à 40°C, il serait également intéressant de déterminer si les cellules endothéliales ont la capacité de stocker en mémoire les événements hyperthermiques qu’elles subissent, et ce en jouant sur la fréquence d’exposition. Par exemple, il serait envisageable de soumettre les HCAEC pendant 6h à 40°C, de les replacer à 37°C pendant 24h avant une nouvelle exposition à 40°C pendant 6h. Cela nous permettrait d’évaluer si, après plusieurs expositions à 40°C, la réponse cellulaire mise en place par les HCAEC est exactement la même ou si certains paramètres varient, notamment le temps nécessaire à déclencher chaque étape de la signalisation. Cela ouvrirait des perspectives d’analyse des modifications épigénétiques induites par la température.

Page | 151 À cet égard, les analyses des résultats de microarray ont révélé une modulation transcriptionnelle de plusieurs gènes codant pour des histones. Ils sont modulés à 6h et plus fortement après 12h et 24h à 40°C (Cf. Annexe II, Tableau 30). Les histones sont des protéines s’associant à l’ADN afin de former la structure de base de la chromatine. Elles jouent donc un rôle important dans sa condensation et dans sa décondensation, en ouvrant ou en fermant des loci, les rendant respectivement transcriptionnellement actifs ou inactifs (Hammond et al., 2017). C’est sans doute parce que les histones sont ubiquitaires et interviennent dans plusieurs voies de signalisation que le logiciel IPA ne les a pas identifiées formellement malgré le fait qu’elles soient fortement modulées par la température. Néanmoins, la modulation de leur expression permet de formuler de nouvelles hypothèses.

Tout d’abord, cette modulation peut signifier que les cellules endothéliales s’apprêtent à dupliquer leur ADN à 40°C. Or, en comparant la prolifération des HCAEC à 37°C et à 40°C, aucune différence significative n’a été mise en évidence (Cf. Annexe II, Figure 74), suggérant que la modulation transcriptionnelle des histones n’est pas liée à une augmentation de la prolifération cellulaire.

À l’instar de ce que font les HSP avec les protéines, la liaison des histones à l’ADN pourrait constituer un mécanisme de protection du matériel génétique. Cette hypothèse n’a encore jamais été explorée mais que le stress thermique puisse avoir un impact sur la condensation de la chromatine nous semble être une piste à explorer.

Enfin, nous avons vu que les facteurs de transcription HSF1 et XBP1 étaient les principaux régulateurs de la transcription au sein des voies de signalisation activées par la température dans nos cellules. Cependant, l’adaptation au stress thermique pourrait également être un système de régulation multicouche comprenant non seulement des facteurs de transcription, mais aussi des régulateurs épigénétiques. Cela pourrait impliquer les histones et leurs modifications post-traductionnelles, qui fonctionneraient comme une forme de mémoire au stress thermique. Il existe en fait plusieurs indices dans la littérature montrant que la température peut imprimer des modifications épigénétiques. Par exemple, une étude menée sur les plantes a récemment montré qu’après un choc thermique, la méthylation de l’histone H3 sur sa lysine 4 (H3K4) est liée à l’expression soutenue des gènes inductibles par le choc thermique (Ohama et al., 2017). Cette étude a également montré l’hyper-induction de ces gènes lors de l’application répétée du choc thermique. Un autre exemple de modification épigénétique thermo-dépendante est celui de la détermination du sexe gonadique chez certaines tortues. En effet, il a été montré que la protéine Forkhead L2 (FoxL2) et le facteur de transcription Dmrt1 sont impliqués dans la transduction du signal de température ambiante en un signal biologique qui détermine par la suite le sexe gonadique chez certaines espèces de tortue (Matsumoto and Crews, 2012). Des

Page | 152 mécanismes épigénétiques thermo-dépendants semblent être également impliqués dans le déterminisme gonadique de l’alligator (Yatsu et al., 2016) et de certains poissons (Navarro-Martín et

al., 2011). Ainsi donc, l’augmentation du niveau d’expression des histones que nous avons mis en

évidence à 40°C doit nous inciter à regarder également si elles subissent des modifications post-traductionnelles tant il semble évident que les signaux thermiques convergent vers cette famille de protéines qui pourrait inscrire une mémoire persistante dans le transcriptome des cellules endothéliales suite à un stress hyperthermique.

III.2. Spécificité de la réponse thermique des cellules

endothéliales

Lorsque la température du sang augmente, les cellules endothéliales font partie des premières cellules capables de percevoir les variations thermiques. Au cours de ce projet, nous avons étudié la réponse cellulaire mise en place par les HCAEC à 40°C et nous avons montré qu’elle mettait en jeu plusieurs voies de signalisation ainsi que différents régulateurs géniques. Or, nous avons vu que les perturbations hémodynamiques retrouvées au sein des vaisseaux sanguins étaient capables d’augmenter le transfert thermique entre le sang et la paroi vasculaire (Wei and Luo, 2003; Attia et al., 2012), suggérant que les cellules de la paroi – notamment les cellules musculaires lisses et les fibroblastes – pourraient également être capables de ressentir les variations thermiques. Il est donc légitime de se questionner sur le degré de spécificité de la réponse étudiée.

Pour commencer à répondre à cette question, nous avons réalisé une expérience préliminaire nous permettant d’identifier les différences d’expression génique entre les HCAEC et des CML issues d’artères coronaires humaines, sur un panel de 91 gènes (Cf. Annexe I, Tableau 19). Au sein de ce panel, nous avons observé que 29% des gènes sont sur-exprimés à 40°C dans les CML dont quasiment tous sont également sur-exprimés dans les HCAEC (Cf. Annexe II, Figure 75A). À l’inverse, 24% des gènes sont sous-exprimés à 40°C dans les CML dont 77% sont en commun avec les gènes sous-exprimés dans les HCAEC (Cf. Annexe II, Figure 75B). De plus, nous avons constaté que les HSP et CIRBP font partie respectivement des gènes les plus exprimés et réprimés à 40°C par les CML. Ces données, encore préliminaires, révèlent de nombreuses similitudes d’expression génique entre les deux types cellulaires mais mettent aussi en lumière que la modulation de certains gènes est spécifique aux CML ou aux HCAEC. Ces expériences nécessitent d’être étendues afin de déterminer s’il existe une signature de réponse thermique spécifique à chaque type de cellule vasculaire. Il faut noter ici qu’il a été rapporté que l’activation de HSF1 n’est pas la même selon les espèces (Tomanek and Somero, 2002), entre les différents types cellulaires et entre les différents organes ou tissus (Sarge, 1998; Gothard et

Page | 153 al., 2003). Étant donné qu’il existe une multitude de type de cellules endothéliales, spécifiques des

organes ou des vaisseaux sanguins dans lesquels elles sont présentes (Ait-Oufella et al., 2008), toutes les étapes de la signalisation devraient être étudiées en parallèle sur différents types cellulaires afin d’établir ce qui est propre aux cellules vasculaires, ce qui est propre aux cellules endothéliales, ce qui est propre aux cellules endothéliales coronaires et déterminer ce qu’elles ont en commun avec d’autres types cellulaires dans leur réponse à l’hyperthermie.

III.3. Perception de la température par les cellules

endothéliales

Les cellules endothéliales sont capables de détecter et de réagir de diverses façons face à des variations thermiques. Tout d’abord, elles sont capables de changer leur métabolisme (Reynolds and Casterlin, 1980; Schulte, 2011), pouvant entrainer une modification de leur activité enzymatique mais également une modification de la dynamique intracellulaire, notamment en termes de mobilité moléculaire et de vitesse des réactions biochimiques.

Ce que nous montrons dans ce travail de thèse, c’est qu’en réponse à un changement thermique, les cellules endothéliales sont également capables de mobiliser des senseurs intracellulaires leur permettant de percevoir les repliements inappropriés des protéines, aussi bien dans le compartiment cytosolique (avec le facteur de transcription HSF1) que dans le compartiment du réticulum endoplasmique (avec la voie UPR). Cette mobilisation peut d’ailleurs être une des conséquences des changements métaboliques qui s’opèrent à la suite d’un stress thermique, conduisant à des altérations, notamment de la glycosylation.

Enfin, en réponse à des variations thermiques, les cellules endothéliales sont également capables d’activer des récepteurs thermiques de surface : les TRP (Sullivan and Earley, 2013). Nous avons montré que les TRP les plus exprimés par les HCAEC sont ceux de la famille des vanilloïdes, sélectifs pour le Ca2+ (notamment TRPV1, TRPV2 et TRPV4) et ceux de la famille des mélastatines (notamment TRPM3). TRPV1 peut être activé à partir de 42°C, TRPV2 à partir de 52°C, TRPV4 à partir de 27°C et TRPM3 à partir de 40°C (Patapoutian et al., 2003). Dans nos expériences, nous n’avons observé aucune différence significative d’expression des TRP entre 37°C et 40°C. Cela est en accord avec le fait qu’aucun TRP n’a été identifié lors de nos analyses de microarray. Toutefois, l’activation des TRP ne requiert pas de régulation transcriptionnelle. L’analyse de l’effet de la température sur l’influx calcique des HCAEC en présence d’agonistes et d’antagonistes spécifiques de chaque TRP serait à cet égard plus pertinent.

Page | 154 Il est important de noter que certains thermo-TRP sont également des mécanorécepteurs (Pedersen, Owsianik and Nilius, 2005; Köhler and Hoyer, 2007; Zhang and Gutterman, 2011). Cela rend leur analyse et la compréhension de leur fonctionnement difficiles étant donné qu’un même TRP pourrait être capable de détecter à la fois une variation thermique et une variation mécanique. Le stress thermique et le stress mécanique convergent donc vers les mêmes systèmes moléculaires pour informer la cellule. Il découle de cela qu’il est complexe de découpler les deux fonctions dans notre contexte où nous soupçonnons que les variations hémodynamiques sont à l’origine des variations thermiques.