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1.2 1982 : « Valley Girl » le titre de Frank & Moon Zappa

2.1 Le Valspeak, parler Valley Girl

2.3.2 Perception sociale du HRT 18

Le lieu exact et la période d’origine du HRT ne font pas consensus (Warren : 2016, 103). Il est néanmoins admis que, concernant le monde anglophone, le contour intonatif a émergé dans le Pacifique. Les premières descriptions du phénomène se font en Australie, comme chez Mitchell & Delbridge (1965) ou Benton (1966), qui en fait état dans son étude portant sur des écoliers maoris. D’autres sources indiquent que le HRT est présent dans cette variété d’anglais dans les années 1980 (Guy & Vonwiller : 1984 ; Guy

et al. : 1986), tout comme des articles de presse plus récents, comme dans un article non

signé du Daily Mail Online (2014) ou du Guardian (McClintock & Earl : 2014). Holmes & Bell suggèrent aussi en 1996 que l’intonation est présente dans l’anglais maori de Nouvelle-Zélande.

L’âge des utilisateurs du HRT semble plus clair. La plupart des études évoquent que les locuteurs les plus jeunes sont ceux qui utilisent le plus cette intonation. Mitchell & Delbridge (ibid.) l’évoquent au sujet du parler adolescent, Guy et al. (ibid.) indiquent qu’elle est davantage utilisée par les locuteurs les plus jeunes. Horvath (1985) ainsi que Fletcher & Harrigton (2001) font le même constat en Australie, et il en va de même pour Warren & Britain (2000) en Nouvelle-Zélande. Coates (2016, 183-184) note que le HRT est un phénomène grandissant chez les jeunes en Australie, mais aussi au Canada, aux États-Unis, et en Grande-Bretagne. Bradford (1997,  29) indique que son utilisation transcende les catégories d’âge bien qu’elle soit particulièrement remarquée chez les jeunes adultes et les trentenaires. Ce constat est en partie partagé par Shokeir (2008) qui ne trouve pas de différence d’utilisation du contour selon l’âge du locuteur dans une étude dans la province de l’Ontario.

Plus consensuel encore semble être le fait que les (jeunes) femmes sont celles qui utilisent le plus le HRT (Warren : 2016). Une inflection montante est en effet perçue de manière stéréotypique comme une pratique féminine (Edelsky  :  1979  ;  Davies

Une partie de notre étude de perception dialectale porte sur la perception du HRT par les participants

18

(cf. section 4.4), et nos trois études de cas analysent également des effets de sens pouvant être associés à ce contour (cf. sections 6.4.1, 7.3.2 et 8.2.2).

et al. : 2015, 124 ; Hancock et al. : 2014). Linneman (2013) ajoute même que le HRT peut

contribuer à la construction du genre au sein des interactions sociales. Lakoff circonscrit même la présence du contour aux pratiques linguistiques des femmes (1972, 49-50) :

There is a peculiar intonation pattern, found in English as far as I know only among women, which has the form of a declarative answer to a question, and is used as such, but has the rising inflection typical of a yes-no question […].

Certaines études ultérieures ne cantonnent pas l’utilisation du HRT aux seules jeunes femmes (Guy & Vonwiller : 1984 ; Conn : 2006, 154), mais la majorité d’entre elles insistent tout de même sur la disparité d’utilisation entre hommes et femmes. Ainsi les études montrent que le HRT est davantage utilisé par les femmes au Royaume-Uni (Bradford : 1997, 35) ou au Canada (Shokeir : 2008). Barry (2007) fait le même constat, et ajoute que les locuteurs et locutrices sud-californiens y ont davantage recours que les Londoniennes et Londoniens. Ritchart & Arvaniti (2014) soulignent dans leur étude en Californie du Sud que les femmes l’utilisent deux fois plus que les hommes, particulièrement pour garder la parole pendant les échanges, mais aucune différence n’est constatée concernant l’utilisation du HRT dans les énoncés déclaratifs. Enfin, une étude portant sur le jeu télévisé américain Jeopardy! (Linneman  :  2013) montre que l’utilisateur typique du HRT est une jeune femme blanche. L’auteur ajoute que plus les hommes ont du succès dans le jeu, moins ils utilisent ce contour intonatif, alors que dans la même situation, les femmes, particulièrement les plus jeunes, y ont davantage recours. Ritchart et Arvaniti (2014) suggèrent que les femmes utilisent davantage le HRT que les hommes car elles sont plus souvent interrompues, et qu’utiliser ce contour signale le désir de garder la parole (les auteures parlent dans ce contexte de «  high plateaux »).

Au HRT sont en effet associés un certain nombre d’effets de sens socio-pragmatiques. Une intonation montante indique traditionnellement qu’un énoncé est une question (Warren  :  2016, 14) même quand la syntaxe utilisée est celle des phrases déclaratives (Ayers 1994 : 28). Une fréquence fondamentale plus élevée et/ou montante est en effet universellement utilisée pour poser des questions dans la communication humaine (Ohala : 1994, 326). Mais la signification sociale du HRT est également souvent

centrale dans les études menées. Les avis sont cependant loin d’être unanimes sur l’interprétation sociale de ce contour (Ginésy : 2004, 212). Cruttenden (1981, 81) indique par exemple :

The various dimensions of meaning which we have extracted from typically lexical, grammatical, discoursal and attitudinal uses of [rising] intonation are: 

-

Limiting

-

Question

-

Continuity

-

Open-listing

-

Non-conducive

-

Statement with reservations

-

Conciliatory

Warren (2016, 56) esquisse un tableau similaire :

A range of interactional functions have been claimed for uptalk. These include checking, seeking a response, sharing, qualifying, connecting, floor holding, showing surprise, signaling information structure and committing the interlocutors to the truth value of the content.

De plus, la signification donnée au HRT peut varier en fonction des dialectes (Cameron : 2001, 114) et/ou des époques (Warren : 2016, 49). Notons que le contour est phonémique dans un certain nombre de langues, comme le mandarin. Malgré la multiplicité des interprétations, un consensus semble exister  :  le HRT aurait trait à la « relation entre interlocuteurs » (speaker hearer relationship) (Leitner : 2004, 117).

Il a en effet été suggéré qu’il peut être utilisé pour mettre en relief les informations essentielles qu’un locuteur souhaite communiquer (Warren : 2016, 14 ; Bradford : 1997, 34). De façon similaire, il peut signaler une information nouvelle en discours (Bradford : 1997, 35). Dans son étude d’une sororité texane, McLemore (1991) note que le HRT est davantage utilisé pour signaler de nouveaux événements que pour rappeler ceux précédemment évoqués. Edelsky (1979) indique en outre que les locuteurs utilisent peu le HRT pour répondre à des questions dont ils connaissent la réponse .19

Le contour est également souvent interprété comme un moyen de s’assurer de la bonne compréhension de l’interlocuteur (Sacks & Schegloff  :  1979, 19). Tomlinson & Richardson (2007) parlent de «  confirmation contour.  » Allan (1990, 126) rapporte par

Par exemple quand on leur demande où ils sont nés.

exemple dans son étude qu’un tiers des énoncés prononcés avec le HRT sont suivis de réponses minimales, comme «  yeah.  » Tannen (1991, 253) fait le même constat avec «  uh huh » et ajoute que ce type d’énoncé peut inviter l’interlocuteur à hocher de la tête. Plusieurs sources mentionnent également que plus un énoncé comporte de complexité sémantique, plus le HRT a de chance d’être utilisé, vraisemblablement pour s’assurer de la bonne compréhension de l’interlocuteur (Guy & Vonwiller : 1989, 25 ; McGregor : 2005, 175).

Enfin, le HRT est très fréquemment cité comme marque de lien, ou de solidarité entre interlocuteurs (Britain  :  1992b, 79). Danesi (1997, 458) suggère qu’il est utilisé par les adolescents pour s’assurer de la pleine participation de l’interlocuteur à l’échange. D’autres y voient le signe d’une dimension affective, d’une volonté (pour les hommes) de ne pas paraître agressifs (Bradford : 1997, 35) ou une demande de « reconnaissance » (acknowledgment) (Stirling & Manderson : 2011, 1593). McCOnnell-Ginet (1975, 45) suggère à ce propos que les femmes ont davantage recours au HRT dans ce contexte en raison de leur socialisation :

[…] personal interaction is probably a more important behavioral goal for most women than for most men.

Bolinger (1989  :  138) dit enfin que le HRT peut être utilisé pour faire répéter l’interlocuteur afin d’exprimer son incrédulité dans des cas de «  questions miroirs  » (reclamatory questions) qui sont pour la plupart des questions en wh- sans inversion de l’ordre des constituents (par exemple «  He told you what?, They did it how?, She got there when? »). Warren (2016, 14) le conçoit également comme un signe d’inclusion conversationnel. Le HRT permettrait aussi de solliciter l’interlocuteur et de maintenir l’interaction avec lui, comme s’il lui était demandé de répondre à une question, bien que l’énoncé soit syntaxiquement déclaratif, tout comme les «  tag questions » (Coates : 2016, 184).

Outre ces effets de sens, le HRT a pour particularité d’être explicitement associé au Valspeak aux États-Unis (Fought, dans MacNeil  :  2005  ;  Wilhelm  :  2015  ;  Eckert & McConnell-Ginet  :  2003, 175-176  ;  Lowry  :  2011  ;  Podesva  :  2011). Eckert (2000, 216) souligne que le Valspeak est en grande partie reconnaissable à cette intonation, qui, après le dialecte Valley Girl, s’est répandu à l’ensemble de la Californie, puis plus généralement chez de nombreux jeunes locuteurs américains (Wolfram &

Schilling  :  2006, 124). Des articles de presse associent aussi volontiers ce contour intonatif aux Valley Girls (Lipton : 1992 ; Quenqua : 2012 ; Fendrich 2010). L’article de Gorman dans The New York Times (1993) montre comment ce contour intonatif à l’origine australien devient associé à un stéréotype américain :

It might have come from California, from Valley Girl talk. It may be an upper-middle-class thing, probably starting with adolescents.

Le HRT est enfin un marqueur prosodique extrêmement stigmatisé. Nombreux sont les articles de presse à le décrier. Le contour est souvent présenté comme une maladie (Gorman  :  1993) ou une épidémie (Davis  :  2010)  —  ces deux articles mentionnent d’ailleurs explicitement les Valley Girls  —  et certains se désolent que les hommes puissent l’utiliser (Dale : 2014). Warren (2016, 129-149) donne de très nombreux exemples de critiques du HRT dans les médias. Il indique que la moitié des 91 éditoriaux qu’il a analysés sont explicitement critiques envers le « uptalk, » la moitié des lettres de lecteurs, et la totalité des rubriques conseils des sites internet (celle de Diresta [2018] en est un bon exemple). Les chercheurs suggèrent également que le HRT peut être négativement perçu (Cameron  :  2001, 112), particulièrement par les médias (Eckert & McConnell-Ginet  :  2003, 175-176). Le HRT peut même entraver la recherche d’emploi (Spindler  :  2003). Une étude citée (mais non référencée) dans Levy (2014) menée auprès de 700 chefs d’entreprises britanniques indique que 71% d’entre eux trouvent le HRT « particulièrement agaçant » et que 85% pensent que cela traduit « le manque de confiance en soi ou une faiblesse émotionnelle » ce qui pourrait diminuer les chances d’obtenir une promotion. Le Fèvre-Berthelot (2015, 61) souligne également que les sociétés françaises de doublage peuvent demander de rejouer les prises présentant un contour intonatif montant (en français). Il est paradoxalement possible que ces interprétations négatives aient été partiellement légitimées par la recherche scientifique. Tannen (1991, 253) suggère que le HRT peut être une marque d’insécurité (bien qu’elle ajoute qu’il s’agit plutôt d’une marque de lien entre interlocuteurs). Lakoff (1972) y voit une marque d’hésitation ou d’ « impuissance » (powerlessness) des femmes, ce que réfute d’ailleurs McLemore (1991) qui constate que le HRT est utilisé par les membres les plus influents de la sororité qu’elle a étudiée.