• Aucun résultat trouvé

La « langue standard » : étalon de la norme linguistique

prises pour cible

3.1 La langue : instrument de domination des individus

3.1.1 La « langue standard » : étalon de la norme linguistique

Parler la même langue, c’est semble t-il avoir le même système langagier pour communiquer avec d’autres individus. L’ensemble des personnes qui parlent la même langue forment une «  communauté linguistique  » (Labov  :  1972, 120-121) ce qui implique, selon Baggioni et al. (1997, 218) de pouvoir :

[…] communiquer avec un certain nombre d’individus et peut-être parler (entre autre) une langue commune à une partie de cette communauté.

Une communauté linguistique est donc composée d’individus qui parlent une même langue, et qui partagent un même système de communication fondé sur des règles phonologiques, lexicales ou grammaticales qui leur permettent de comprendre et se faire comprendre par autrui. Cependant, cette communauté linguistique est composée d’individus qui ont recours à des lectes (des variétés linguistiques) communs uniquement à un sous groupe, à une partie de la communauté linguistique. Les différents parlers qui se côtoient au sein d’une même communauté linguistique sont communément appelés « dialectes » ou « accents. » En réalité, un dialecte est une somme de variétés, c'est-à-dire de formes différentes, d’ordre phonétique (par exemple la valeur des voyelles), prosodique (des contours intonatifs particuliers), mais également lexicales (argot ou jargon) ou syntaxiques (par exemple utiliser une double forme de négation). C’est pourquoi le terme « accent » semble réducteur dans la mesure où il sous-entend des variations uniquement d’ordre phonétique ou prosodique.

Généralement, un accent est considéré comme tel si un individu utilise ce qui est perçu comme une somme de variations linguistiques. Une variation implique qu’une forme est différente d’une norme à laquelle on se réfère  :  une langue standard, ou devrait-on dire la langue standard, qui est aussi bien orale qu’écrite (Eckert : 2011, 57) :

Standard pronunciations are part of the standard language  —  the variety of language that is associated with education, central government, and other institutions of national or global power.

L’on note qu’Eckert indique que la langue standard est une variété linguistique, ce qui sous entend qu’il s’agit d’une variété parmi d’autres, mais qui se trouve être utilisée

par un groupe de locuteurs particuliers, que nous appellerons les « dominants, » c'est-à-dire des individus en position de domination au sein d’une société. Dans le cas des États-Unis, il s’agit principalement (et ce n’est pas un hasard selon elle) de la classe moyenne (supérieure) blanche du midwest (Lippi-Green : ibid., 62). Considérer la langue standard comme une variété parmi d’autres implique deux choses selon Trudgill (1999), qui écrit à propos de l’anglais :

1. Standard English is thus not the English language but simply one variety of it. 2. Standard English is a dialect.

C’est parce qu’elle est utilisée par les dominants que cette variété est considérée comme la norme, c'est-à-dire la variété qui possède une légitimité sociale. Cette variété de langue se doit d’être écrite, mais également prononcée d’une certaine manière pour être perçue comme standard, « pure, » ou non marquée. Bien qu’elle soit une variété de langue, c'est-à-dire qu’elle n’est intrinsèquement ni «  meilleure  » ni  «  plus  mauvaise  » qu’une autre, elle sert de ce que Knecht (1997) qualifie de véritable «  étalon de correction  » servant à apprécier tout autre variété, c'est-à-dire toute variation par rapport à cette norme. En d’autres termes, la langue standard caractérise un dialecte considéré par les agents sociaux comme normal, mais aussi idéal. En effet, cette variété de langue est socialement valorisée et est empreinte de prestige. C’est le dialecte qui se doit d’être utilisé dans les contextes formels, que Lippi-Green (1994, 167) appelle le «  bloc dominant  »  :  l’institution scolaire, les médias nationaux, l’industrie du divertissement et le système judiciaire par exemple.

Considérer un dialecte comme standard est profondément arbitraire ; les sons qui constituent la langue orale sont interprétés subjectivement selon une construction sociale (Giles & Niedzielski  :  1998, 91). Aucun accent n’est en effet fondamentalement plus déplaisant qu’un autre, c’est l’interprétation sociale des variables qui influe sur la perception (Williams : 2016). Lippi-Green (1997, 55) donne l’exemple de la prononciation proposée par les dictionnaires :

Perhaps there is no way to write a dictionary which is truly descriptive in terms of pronunciation; perhaps it is necessary to choose one social group to serve as a

model. Perhaps there is even some rationale for using the ‘educated’ as this group. But there is nothing objective about this practice.

Lippi-Green (1994, 170  ;  1997, 53) et Milroy & Milroy (1991, 22-23) vont même jusqu’à avancer que la langue standard est un concept qui tient de l’abstraction. Pour preuve, une même langue peut être utilisée pour définir deux langues standards au sein de deux groupes sociaux distincts : c’est le cas de l’anglais, où coexistent la « Received Pronunciation  » britannique et le  «  General American.  » Ce dernier tient lui même du fantasme pour Preston (1986, 232  ;  1996b, 297) et Falk (1978, 289) tant les accents régionaux sont perçus comme le standard au niveau local. Bourdieu (1983, 103) indique en effet que peuvent exister ce qu’il appelle des « marchés francs » (qui sont des espaces propres aux classes dominées) au sein desquels existe une échelle de prestige linguistique différente (une «  contre-légitimité linguistique  ») qui ne prend pas le dialecte standard comme étalon. Bauvois (1997b, 103) explique ce phénomène en rappelant que deux types de prestiges peuvent coexister :

Le prestige des classes sociales dominantes étant clairement reconnu par tous, on parle dans ce cas de prestige apparent (overt prestige), auquel on associe des valeurs telles que le statut, le succès et l’ascension sociale. On ne voit pas cependant que les variantes stigmatisées soient toujours abandonnées au profit des variantes prestigieuses. Le prestige apparent est contrebalancé par un prestige latent, attaché aux variétés pratiquées par les groupes sociaux dominés. […] C’est le prestige latent qui explique pourquoi les langues ou variétés peu prestigieuses ne disparaissent pas  :  elles sont investies par les locuteurs de valeurs différentes, complémentaires à celles de la langue prestigieuse.

L’appellation « prestige apparent » (overt prestige) et son pendant « prestige latent, » (covert prestige) (Trudgill : 1972), a d’abord été utilisée par Labov (1966) dans son étude de la prononciation du phonème /r/ à New York . Les mêmes marqueurs peuvent être 1 perçus comme plus ou moins prestigieux selon le contexte social de la production d’un énoncé. Il existe des hierarchies de prestige différentes et concurrentes, que KiesUng (2003) appelle la «  hiérarchie de l’ordre établi  » (establishment hierarchy) à laquelle est indexé le prestige apparent, et la « hiérarchie contestataire » (anti-establishment hierarchy) à laquelle est indexé le prestige latent. En d’autres termes, utiliser un marqueur qui

Cf. section 2.1.2.

dévie de la norme peut être considéré comme prestigieux dans un contexte social donné précisément parce qu’il dévie de la hiérarchie de l’ordre établi.

Ce que l’on appelle la langue standard est donc une norme linguistique promulguée à ce rang par une partie de la communauté. Le Grand Robert de la langue

française (Rey & Robert : 1988) définit une « norme » comme :

[…] ce qui doit être, en tout ce qui admet un jugement de valeur  :  idéal, règle, but, modèle suivant les cas. [C’est nous qui soulignons].

Comme une norme implique un  «  jugement de valeur,  » chaque variante linguistique, chaque dialecte considéré comme non-standard, est placé sur une échelle, en fonction de son prestige social, au sommet de laquelle se trouve la norme linguistique  :  la langue standard, c’est-à-dire le dialecte des dominants. Le standard permet de juger son interlocuteur en fonction de la présence (ou l’absence) de certaines formes linguistiques au sein de son discours. Ces formes linguistiques peuvent être de natures diverses (Bourdieu & Boltanski : 1975, 15) :

[…] dans une société divisée en classes, les variations prosodiques et articulatoires […] ou les variations lexicologiques ou syntaxiques […] sont objectivement marquées socialement […] et marquent celui qui les adopte.

Les auteurs empruntent aussi le terme de « marché » au vocabulaire économique et le transposent au domaine linguistique, car les variables (phonétiques, lexicales, syntaxiques) sont en concurrence et possèdent une valeur, attribuée par les agents sociaux (Agha : 2003). Ces valeurs concourent à établir ce que les anglophones appellent volontiers des « mœurs linguistiques » (linguistic folkways) c'est-à-dire des appréciations au sujet de comportements linguistiques qui sont jugés « bons » ou « mauvais » selon la situation sociale dans laquelle se trouve le locuteur (Preston : 1996b). Dès lors, utilisation de variables linguistiques et jugement des individus sont intimement liés, car utiliser telle ou telle variable assigne une valeur sociale à son utilisateur (Bauvois : 1997a) :

[…] les variations de langue, parce qu’elles sont directement liées aux normes sociales, acquièrent une fonction sociale. Tout échange de parole se base sur une économie sociolinguistique où locuteur et récepteur s’inter-évaluent par rapport à un certain nombre de facteurs conjugués (l’âge, le sexe, l’origine sociale, le degré de scolarisation, la profession, le contexte socioculturel…) […].

Les variations langagières sont donc des manifestations linguistiques d’une appartenance à tel ou tel groupe social, qui peut se définir en termes socio-économique, d’âge, géographique… Y avoir recours (consciemment ou non) projette donc une certaine image sociale de l’individu qui les prononce. En cela, les variations linguistiques peuvent être des instruments de domination des individus car toute variation par rapport au standard peut potentiellement être socialement dévalorisée. En effet, le dialecte standard est d’abord considéré comme tel par les individus qui l’utilisent, c'est-à-dire les dominants, qui attribuent à leur variété linguistique une légitimité (Francard : 1997) :

La légitimité/illégitimité attribuée à une forme linguistique ou, plus généralement, à une variété linguistique est, dans certains cas, la traduction symbolique d’une stratification sociale : les groupes qui détiennent la maîtrise du capital culturel imposent leur « style » (au sens ou Labov et Bourdieu entendent ce mot) comme étalon de référence pour hiérarchiser l’ensemble des productions langagières en concurrence au sein du marché linguistique. […] Dès qu’une variété est imposée comme légitime par un groupe dominant, cela entraîne une marginalisation des autres variétés concurrentes et, partant, des locuteurs qui les pratiquent.

L’idée que la langue standard puisse être un instrument de domination des individus paraît difficilement contestable si l’on prend l’exemple d’institutions qui se chargent de prescrire les normes linguistiques, comme l’Académie française en France, dont les statuts (article 24) indiquent que sa principale mission est :

[…] de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possible, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure [sic], éloquente et capable de traiter les arts et les sciences .2

Si aucun équivalent n’existe aux États-Unis , la domination linguistique y est 3 toutefois tout aussi présente car en plus d’éventuelles institutions, les membres d’une communauté linguistique (dominés comme dominants) contribuent à perpétuer la ségrégation des variétés linguistiques en fonction du prestige qu’ils leur attribuent.

L’on prête cependant à l’Académie, particulièrement dans le monde anglophone, une influence parfois

2

démesurée comparativement à son statut d’ « acteur relativement mineur de la politique linguistique. » Estival & Pennycook (2011) proposent une discussion détaillée à ce sujet.

Il existe cependant d’autres moyens de fixer la norme, notamment les dictionnaires ou manuels de style.

Blanchet (2016, 70) qualifie ce processus de «  glottopolitique.  » Selon lui, il est assuré

conjointement par les institutions dominantes et les locuteurs :

Pour qu’une action glottopolitique soit efficace, y compris quand elle provient des instances collectives (institutions politiques, sociales, culturelles, etc.), il faut que les individus (les agents) acceptent, par loyauté, par opportunisme, par soumission, par conviction, etc., de la mettre en œuvre.

Chaque communauté linguistique exerce donc un auto-contrôle en ce sens que chaque membre peut participer, consciemment ou non, à la valorisation ou la stigmatisation de telle ou telle variété linguistique. Chaque locuteur peut donc se faire l’écho de la norme linguistique, ce qu’il faut dire, même s’il ne l’utilise pas lui-même. Ces comportments que l’auteur appelle « épilinguistiques  » (du grec ancien epí-  : « sur, au 4 dessus ») peuvent prendre différentes formes (ibid., 107) :

[…] reprendre un enfant, réagir à une forme linguistique par le rire ou une mimique admirative, faire semblant de ne pas comprendre ou faire l’effort de comprendre une autre langue, choisir telle forme linguistique ou privilégier l’usage d’une langue, etc.

L’on note que l’auteur indique qu’un comportment épilinguistique peut stigmatiser une forme linguistique, ou au contraire lui attribuer un prestige social. Les comportements qui contribuent à donner une valeur à une variété linguistique sont l’oeuvre des dominants, qui veulent maintenir l’ascendant linguistique, mais aussi des dominés, ce qui peut sembler contradictoire. Pourquoi ces derniers participeraient-ils à un système qui perpétue leur propre domination linguistique  ? Bourdieu & Passeron (1970, 18) caractérisent ce phénomène de «  violence symbolique.  » Il s’agit d’un processus de soumission qui contraint les dominés à intégrer la norme des dominants, qui apparaît alors naturelle à l’ensemble de la société, dominants comme dominés :

Tout pouvoir de violence symbolique, i.e tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force, ajoute sa force propre, i.e. proprement symbolique, à ces rapports de force.

La violence symbolique, qui peut donc se manifester dans le domaine linguistique, est particulièrement insidieuse en ce sens qu’elle empêche les dominés de concevoir la

Cette définition est donc différente de celle de Culioli, qui différencie comportements épilinguistiques et

4

métalinguistiques. L’activité métalinguistique est pour Culioli nécessairement consciente, alors qu’il qualifie l’activité épilinguistique d’ « activité métalinguistique non consciente » (1999a, 19).

domination qu’ils subissent comme telle, ce qui explique en partie le fait qu’ils contribuent à leur propre domination, et utilisent autant que faire se peut la langue standard dans les situations sociales qui l’exigent. Tout comme les dominants, les dominés peuvent alors être persuadés que toute variation qui dévie de la norme est inférieure à la « langue standard » car cette idée est partagée par l’ensemble des agents sociaux. Ces derniers s’influencent mutuellement jusqu’à créer ce que Festinger et al. (1950, 168) appellent le concept de «  réalité sociale,  » c'est-à-dire le fait que les convictions (en l’occurence d’ordre linguistique) d’un individu soient indexées sur sa réalité sociale immédiate, c'est-à-dire sur la perception des variétés de langue par les autres locuteurs : 

The hypothesis may be advanced that the ‘social reality’ upon which an opinion or an attitude rests for its justification is the degree to which the individual perceives that this opinion or attitude is shared by others. An opinion or attitude which is not reinforced by others of the same opinion will become unstable generally.

La justification du fait que la langue standard soit « correcte » tient en partie au fait que cette dernière est considérée comme normale par tous, et ce en raison de deux arguments principaux. Le premier prend appui sur un ensemble de règles grammaticales, syntaxiques ou lexicales. Les institutions ou individus ayant pour but de prescrire une pratique linguistique invoquent des critères dits « objectifs » : les variantes stigmatisées sont «  fautives, agrammaticales,  » ou «  ne se disent pas.  » En d’autres termes, elles peuvent entraver la compréhension. La légitimité de telles remarques repose sur les prescriptions établies par les instances dominantes (académies, dictionnaires, professeurs, instances médiatiques…). L’argument de «  règles  » est particulièrement efficace pour réguler les variations syntaxiques ou lexicales, mais l’est moins pour les variations phonétiques ou prosodiques. En effet, la régulation de la prononciation fait appel à un autre argument, qui est plus insidieux car il se place sur le plan esthétique. Il s’agit de stigmatiser les variations phonético-prosodiques des dominés non pas par ce que « cela ne se dit pas, » mais parce que « ce n’est pas joli. » Ces normes, que l’on appelle parfois normes subjectives, sont appelées «  normes évaluatives » par Moreau (1997b), qui indique :

[Elles] consistent à attacher des valeurs esthétiques affectives ou morales aux formes : ainsi, quand la priorité va au capital symbolique, les formes préconisées sont jugées belles, élégantes, etc., les stigmatisées étant perçues comme dysphoniques, relâchées, vulgaires … 5

Nous le verrons, si le dialecte Valspeak (ou plus généralement un parlé perçu comme féminin) peut être stigmatisé, c’est qu’il dévie de normes évaluatives masculines. Par exemple, dans le cas des Valley Girls, certains marqueurs prosodiques, comme le

High Rising Terminal, peuvent être négativement perçus, de manière tout à fait arbitraire,

si bien que l’on attribue aux locuteurs qui les emploient des effets de sens allant de la bêtise au manque de professionnalisme, etc.

Dominants et dominés contribuent donc à perpétuer une domination linguistique dont la langue standard est la variante prestigieuse et désirable. Cependant, bien que dominants et dominés renforcent ce système de valeurs, seuls les dominants le créent. Goffman développe cette idée et explique que les individus qu’il appelle les «  normaux  » définissent les normes en ce sens qu’ils sont la norme  ;  la norme linguistique est indexée sur leurs propres pratiques linguistiques. Cette dernière est donc particulièrement difficile à remettre en question tant elle paraît aller de soi pour tous les membres de la société (1963, 12) :

Society establishes the means of categorizing persons and the complement of attributes felt to be ordinary and natural for members of each of these categories. [C’est nous qui soulignons].

La variété de langue des dominants est considérée comme naturelle, légitime et prestigieuse, et également supérieure aux autres variétés. Ceci est donc la preuve que la langue standard fait partie d’une idéologie linguistique, terme que Hodge (1979, 6) définit en ces termes :

[…] a systematic body of ideas, organized from a particular point of view. 

Le fait qu’une idéologie dominante soit liée aux groupes et instituions en position de domination est développé par Fairclough (1995, 27), qui indique :

I view social institutions as containing diverse ‘ideological-discursive-formations' (IDFs) associated with different groups within the institution. There is usually one IDF which is clearly dominant. […] A characteristic of a dominant

Au sujet de la vulgarité en linguistique, cf. section 6.1.

IDF is the capacity to ‘naturalize’ ideologies, i.e. to win acceptance for them as a non-ideological ‘common sense’. 

La norme linguistique des dominants obtient alors un statut hégémonique car l’ensemble des acteurs sociaux acceptent sa légitimité. La langue standard est donc en réalité bien plus qu’un simple étalon de correction linguistique ; il s’agit d’un instrument idéologique qui vise à asseoir l’autorité linguistique des individus en position de pouvoir, comme l’écrit Fairclough (ibid., 18):

In claiming that a discursive event works ideologically […] one is claiming that it contributes to the reproduction of relations of power. [C’est nous qui soulignons].

Il n’y a en effet rien d’intrinsèquement plus « normal » ou de plus « esthétique » à utiliser une forme linguistique plutôt qu’une autre. Si une forme est jugée fautive, ou vulgaire, c’est qu’elle ne correspond tout simplement pas au standard créé par les institutions dominantes. Dès lors, tout comme la norme, la déviance (par rapport à la norme), c'est-à-dire dans le domaine linguistique les variations dites non standards, est, pour paraphraser Berger & Luckmann (1966), le fruit d’une «  construction sociale » (social construct.)

Les groupes sociaux qui ne détiennent en général pas le pouvoir au sein d’une société (les plus pauvres, les non blancs, les jeunes, les femmes) sont donc potentiellement plus sujets à la stigmatisation de leurs variétés linguistiques. Rien d’étonnant donc à constater que les Valley Girls, groupe constitué selon le stéréotype de jeunes femmes (deux groupes dominés), puissent catalyser le mépris.