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1.2 1982 : « Valley Girl » le titre de Frank & Moon Zappa

1.3 Un stéréotype de genre qui perdure

1.3.3 Les néo-valley girls

Si ce stéréotype a été popularisé dans les années 1980, les représentations médiatiques des Valley Girls ont perduré et évolué. Ces « néo-Valley Girls » présentent de nombreuses similitudes avec le prototype popularisé par les Zappa. Bien que les stéréotypes soient sujets au changement (Lakoff : 1990, 85), les représentations des néo-Valley Girls restent similaires à celle de Moon Zappa en cela qu’elles sont encore

Cf. sections 3.2 et 3.3.

majoritairement parodiques, voire ouvertement stigmatisantes et visent spécifiquement les jeunes femmes.

Cher Horowitz, l’héroïne du film Clueless (Rudin et al.  :  1995), qui est pourtant sorti treize ans après la chanson, est par exemple très fréquemment citée comme représentative des Valley Girls ou du dialecte Valspeak (Crotty  :  1997, 166-167  ;  Podesva  :  2011  ;  Suh  :  2011, 174  ;  Kennedy & Grama  :  2012) en raison par exemple de la présence d’un contour intonatif montant en fin d’énoncé déclaratif (cf. section 2.3.1). L’intrigue se déroule à Beverly Hills, non loin de San Fernando, et certaines scènes sont tournées dans un centre commercial. Le personnage principal est une jeune fille superficielle, extrêmement riche et populaire dans son lycée. La réalisatrice du film, Amy Heckerling, qui est aussi celle de Fast Times at Ridgemont High, dit (dans Chaney  :  2015, 69) avoir intégré au script de nombreuses expressions innovantes (à l’époque) comme « whatever » (qui exprime le souhait de terminer une conversation) et «  as if,  » (même pas en rêve) qui, même si elles n’avaient pas cours dans les années 1980, sont devenues associées au Valspeak . D’autres variations du 17 personnage de néo-Valley Girl sont portées à l’écran dans les années 2000 dans des films tels que Legally Blonde (Platt et al. : 2001) ou Mean Girls (Michaels & Waters : 2004), qui a aussi son lot de scènes au centre commercial, bien que leur intrigue ne se déroule pas en Californie. Des personnages secondaires des films In a World… (Bell et al. : 2013) et Inside Out (Rivera & Docter : 2015) font également penser à ce stéréotype.

C’est cependant à la télévision que l’on compte le plus grand nombre d’incarnations de néo-Valley Girls. Dès 1993, les scénaristes de Saturday Night Live! (Michaels  :  1976b) mettent en scène des comédiens hommes qui incarnent des jeunes filles dans un centre commercial dans une série de sketchs intitulée Gap Girls. L’on retrouve des marqueurs du (néo)Valspeak (cf. chapitre 2) comme le marqueur d’énonciation rapportée BE ALL, la centralisation des voyelles postérieures ou le marqueur de discours  «  whatever.  » La série d’animation Totally Spies

Cf. section 2.8 consacrée au « néo-Valspeak. »

Demersay et al.  :  2001), dont le titre comporte un adverbe prototypique du Valspeak, joue sur le même stéréotype (les héroïnes évoluent à Beverly Hills), et l’un des créateurs du feuilleton, David Michel, indique dans une interview (Brzoznowski  :  2012) s’être inspiré du film Clueless. De nombreuses autres séries comiques mettent en scène des personnages secondaires rappelant les Valley Girls  :  Lumpy Space Princess dans

Adventure Time (Ward & Leichliter  :  2010), Shoshanna Shapiro dans Girls

(Dunham : 2012), Tynnyfer dans Parks and Recreation (Karas & Cary : 2009), Jillian dans 18

Family Guy (Colton & Callaghan  :  1999), Dalia dans Suburgatory (Kapnek  :  2011) ou 19 encore un personnage de The Catherine Tate Show au Royaume-Uni (Tate & Anderson : 2004). Les Late Shows contribuent également à perpétuer le stéréotype dans des interviews d’invités comme dans le Jimmy Kimmel Live! (Kimmel : 2003), ou dans des séries de sketchs récurrents  :  The Californians dans Saturday Night Live! 20 (Michaels  :  1976c) ou encore Ew! dans The Tonight Show Starring Jimmy Fallon 21

(Fallon : 2014).

Cette profusion de représentations médiatiques suggère que la Valley Girl est un stéréotype qui n’est pas resté cantonné aux années 1980 et est toujours reconnu par le publique américain. Les représentations les plus récentes apportent des variations au stéréotype originel (la néo-Valley Girl n’est par exemple plus nécessairement perçue comme une adolescente vivant dans la vallée de San Fernando), si bien que des marqueurs linguistiques innovants ont été amalgamés aux marqueurs prototypiques du Valspeak (cf. section 2.8).

Conclusion

Si l’expression «  Valley Girl  » est popularisée dans les années 1980, elle perd rapidement la connotation avec cette décennie et avec la vallée de San Fernando. Les

Cet exemple est analysé dans le chapitre 6.

18

Cet exemple est analysé dans le chapitre 7.

19

L’article de Pratt & D’Onofrio (2017) traite de ce sujet de façon détaillée.

20

Cet exemple est analysé dans le chapitre 8.

représentations médiatiques des années 1990 et 2000 sont la preuve qu’une Valley Girl peut être perçue comme telle peu importe son lieu de résidence. Le terme est en ce sens polysémique, bien qu’une Valley Girl soit, par définition, un fille. Les représentations stigmatisantes de ce groupe sont donc nécessairement dirigées contre des jeunes femmes. Il est difficile de caractériser la mesure dans laquelle ce stéréotype sexiste a reflété une quelconque réalité sociologique  ;  ce n’est pas l’objet de cette thèse. Il s’agit d’étudier comment ce stéréotype est perçu, et plus précisément quels marqueurs linguistiques peuvent être associés à la persona Valley Girl, et quels effets de sens peuvent leur être attribués.

Chapitre 2  —  Marqueurs linguistiques du Valspeak

& significations sociales

While Moon characterized her portrayal as “Valley lingo,” and while her portrayal does present several unique slang terms/ phrases […], it clearly extends beyond the lexicon;  the character also encompasses unique features of prosody […], phonology […], and discourse […]. Moreover, Moon’s spoken-word monologues convey a carefree, aloof privilege via their content […]. In other words, the song offers listeners a place-linked speech register, prepackaged with an image of its typical speakers and how listeners should feel about them—not to mention a convenient label by which this stereotype could circulate.

Daniel J. Villarreal. (2016b, 43).

The Construction of Social Meaning: A Matched-Guise Investigation of the California Vowel Shift.

Introduction

Si la persona de la Valley Girl implique un certain nombre de caractéristiques sociales, elle est également définie par sa manière singulière de s’exprimer, perçue dans les années 1980 comme innovante. Ceci est souligné par Moon Zappa dans le titre au moyen d’un commentaire épilinguistique (une évaluation sur des pratiques langagières) :

I do not talk funny I am sure

[…]

What's'a matter with the way I talk?

Ce parler, popularisé dans les années 1980, s’est cristallisé et est devenu un ensemble de ressources linguistiques pouvant être utilisées pour projeter une persona sociale (section 2.1). Nous avons à plusieurs reprises parlé du Valspeak comme d’un « dialecte, » car il entre pleinement dans la définition donnée par Crystal (2008) :

A regionally or socially distinctive variety of language, identified by a particular set of words and grammatical structures. Spoken dialects are usually also associated with a distinctive pronunciation, or accent.

Le Valspeak est en effet à l’origine un lecte régional (californien), social (de classe moyenne/moyenne supérieure) et distinctif par son lexique, certaines structures grammaticales (de manière plus marginale), et sa prononciation. La presse contemporaine se fait d’ailleurs l’écho de ces variations phoniques. Alexander (1982) donne ce qu’il perçoit comme les caractéristiques du dialecte :

[…] a bubbling breathlessness, a stretched-out emphasis on words with ''o'' sounds like ''totally,'' soft ''a'' sounds, a trace of preppy lockjaw, long rolling ur's, as in ''fer suuuurrre.’

Cette description linguistique populaire (Visser  :  2018) laisse entrevoir la multiplicité des marqueurs associés au Valspeak. Ce dernier, qui a parfois été étudié par les linguistes en tant que dialecte à part entière, est néanmoins la plupart du temps étudié au travers de marqueurs individuels, analysés séparément. Ce chapitre a donc pour but de caractériser le Valspeak en tant que véritable entité dialectale en examinant l’ensemble des marqueurs linguistiques qui y sont traditionnellement associés.

Ces marqueurs, qui ne lui sont pas (ou plus) nécessairement spécifiques, se situent sur différents paradigmes. Nous avons fait le choix de les décrire de la plus petite à la plus grande échelle. Au niveau segmental, le Valspeak comporte un changement vocalique californien, ou California Vowel Shift, mesurable grâce aux valeurs formantiques des voyelles (section 2.2). Il a également des caractéristiques prosodiques (ou suprasegmentales)  :  principalement la présence d’un contour intonatif montant appelé High Rising Terminal (section 2.3). Il présente également un lexique foisonnant, résultat d’innovations et d’appropriations linguistiques (section 2.4). S’il est difficile de parler de syntaxe Valspeak, le marqueur de discours LIKE (section 2.5), bien souvent perçu comme l’épitomé du dialecte, peut déclencher l’utilisation de certaines structures syntaxiques. La question du sémantisme sera également prise en compte (section 2.6). Le Valspeak est en effet un langage d’émotions, et présente des traces de désémantisation des énoncés. L’on évoquera aussi brièvement des marqueurs paralinguistiques  :  la gestualité Valley Girl (section 2.7) qui implique des mouvements spécifiques du corps et de la mâchoire.

Le Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (Brown et al.  :  2002) insiste sur la dimension diachronique de l’utilisation du Valspeak :

Valspeak, noun (Youth Culture) : A variety of US slang which originated among teenage girls from the San Fernando valley in California and was later taken up more widely by youngsters in the US. [C’est nous qui soulignons].

Nous évoquerons donc ce que nous appelons le « néo-Valspeak » (section 2.8), qui comporte des marqueurs prosodiques, comme par exemple la voix craquée. Ce dialecte est en effet selon nous une étiquette sociolinguistique sous laquelle de nouveaux marqueurs sont continuellement amalgamés.

Enfin, notons que les marqueurs linguistiques du Valspeak sont rarement perçus de façon neutre. Aussi, dans chaque section, nous définirons (si besoin) le marqueur étudié, expliquerons en quoi il se rapporte au Valspeak, et mettrons l’accent sur la perception sociale et les idéologies pouvant y être associé. Si la définition du terme « idéologie linguistique » (language ideology) ne fait pas consensus (Woolard : 1998), nous l’entendons au sens de Cameron (2003) :

[…] sets of representations through which language is imbued with cultural meaning for a certain community.

En raison de ces idéologies linguistiques, chaque marqueur du Valspeak peut convoquer un certain nombre d’effets de sens sociaux, qui peuvent en outre varier d’un point de vue diachronique, diatopique, diaphasique, diastratique ou diagénique . Ces 1 idéologies linguistiques sont parfois mentionnées dans les travaux universitaires, mais apparaissent le plus souvent dans des sources populaires (articles de presse, reportages télévisés, entrées de blog…) sur lesquelles nous nous appuyons pour évoquer la perception sociale de certains marqueurs.

C’est-à-dire selon le lieu, l’époque, la situation d’énonciation, la classe sociale ou le genre du locuteur.