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La misogynie : une problématique également linguistique

prises pour cible

3.2 La domination des femmes par la langue

3.2.2 La misogynie : une problématique également linguistique

La misogynie est un processus complexe qui se manifeste de différentes manières, et qui peut s’exprimer linguistiquement. Nous nous proposons de définir ce terme car il fait partie intégrante du concept de « misogynie linguistique » que nous allons évoquer (cf. section 3.3.2).

Le Nouveau Petit Robert (Rey-Debove & Rey  :  2002) définit la misogynie comme

« Haine ou mépris des femmes. » Cette définition nous semble demander davantage de précision, d’autant plus que les mots « sexisme » et « misogynie » ont des sens proches, comme le note Wolf (2012) dans un article dans lequel elle interroge des féministes sur leurs définitions de ces deux termes. Daumas (2017, 17) établie une différence claire entre « sexisme » et « misogynie » ; il définit le premier en ces termes :

Sexisme, emprunté à l’anglo-américain vers 1960, est le mot le plus en usage pour désigner l’animosité masculine envers les femmes. […] Mais le mot est devenu unisexe  :  il s’applique aujourd’hui aussi bien aux femmes qu’aux hommes, même si l’on précise généralement que ce sont plutôt les femmes qui en sont victimes. Sexiste est celle ou celui qui privilégie son sexe dans une situation ou devrait prévaloir l’équité. Sexiste est celle ou celui qui colporte des stéréotypes dégradants sur l’autre sexe. Sexiste est celle ou celui qui refuse la mixité, la parité, l’égalité des sexes. 

Il indique ensuite ce qu’il entend par « misogynie » (ibid., 18) : 

Misogynie, en revanche, désigne clairement quelque chose qui est du ressort du masculin. Au sens courant, il rend compte de la détestation individuelle ou collective des femmes : la haine, l’hostilité, le mépris, la moquerie, l’ignorance… Dans le sens étendu que nous lui donnons pour signifier l’agent responsable de la domination masculine, la misogynie désigne toute attitude, comportement ou situation discriminatoires à l’égard des femmes, recouvrant des faits intentionnels ou involontaires, conscients ou inconscients, réalisés par des acteurs sociaux individuels ou collectifs. 

Nous souhaitons ici expliquer notre point de vue sur l’utilisation de ces termes, car l’usage que nous souhaitons en faire diffère partiellement de celui de Daumas. Le sexisme, nous l’avons dit, est pour nous une idéologie, et se place alors sur le plan des

idées. Nous considérons que la misogynie est un processus qui se place sur le plan des

actions et attitudes des individus,  qu’ils soient hommes ou femmes. C’est là l’un des points de désaccord que nous avons avec Daumas ; tout individu peut selon nous faire preuve de misogynie. Les femmes peuvent, dans un acte de violence symbolique, stigmatiser ou discriminer d’autres femmes. Nous partageons cependant l’analyse de Daumas quand il indique qu’un acte misogyne est nécessairement conscient (ibid., 40) : 

[…] toutes les formes [qu’un homme misogyne] adopte possèdent quelques traits communs, à commencer par la conscience de l’acte.

En plus d’être conscient, un acte misogyne a selon nous pour but de dénigrer un individu, et de faire du mal, comme l’explique Romaine (1999, 3) :

Within the approach I take here, I would claim […] that speaking about as well as to women in a misogynistic way is equivalent to doing something harmful to them.

Nous souscrivons pleinement à cette idée et utiliserons donc dans cette thèse le terme de « misogynie » afin de faire référence à :

Tout processus qui s’appuie sur une idéologie sexiste et dont le but est de stigmatiser ou discriminer une femme en raison de son genre afin de lui nuire volontairement.

Ce processus peut trouver écho dans le domaine linguistique et s’appuyer sur l’utilisation d’items sexistes ou non. Dès lors, contrairement à la langue sexiste qui a trait aux paradigmes du lexique ou la syntaxe, la misogynie a trait aux paradigmes sémantiques et pragmatiques, c'est-à-dire au sens donné aux énoncés dans un contexte social. Illustrons cette différence avec trois exemples :

1. She’s such a bitch.  2. Women just can’t drive. 3. Look babe, it’s a man’s job.

L’exemple 1. est misogyne en ce sens qu’il vise à dénigrer un individu femme. Il s’appuie sur une caractéristique sexiste de la langue anglaise, à savoir le fait que l’item lexical «  bitch  » est négativement connoté et est de surcroît associé à une femme. L’exemple 2. est également misogyne mais n’utilise pas d’item sexiste de la langue. En effet, le lexique ou la syntaxe utilisés ne sont pas intrinsèquement sexistes, c’est l’utilisation générique de «  women,  » et donc le sens donné à cet énoncé dans un contexte social, qui le rend misogyne. Enfin, l’exemple 3. mêle items sexistes et non sexistes de la langue afin de proférer une remarque misogyne. Le mot «  babe  » a une connotation infantilisante et est associé à une femme  ;  il s’agit d’un exemple d’item lexical sexiste. La proposition « it’s a man’s job » n’utilise en revanche pas d’item lexical ou syntaxique sexiste, mais est néanmoins misogyne en raison de l’emploi générique du génitif avec le nom « man. » Notons qu’aucun de ces trois exemples ne prend pour cible les pratiques linguistiques d’autrui, ce qui est spécifique à ce que nous appelons la « misogynie linguistique » (cf. section 3.3.2).

La misogynie est donc une problématique éminemment sociale, qui s’appuie sur la langue pour propager une idéologie sexiste. Il s’agit d’un processus qui concerne donc également le domaine linguistique. Si une idéologie sexiste est ancrée dans les langues française et anglaise, c’est parce qu’elles ont été et sont toujours dans une certaine mesure pensées par et pour les hommes.