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1.2 1982 : « Valley Girl » le titre de Frank & Moon Zappa

2.5 Syntaxe & marqueurs de discours

2.5.1 Le cas LIKE 25

Le titre de cette section soulève deux questions. Premièrement, pourquoi faire état d’un marqueur syntaxique pour définir un dialecte ? Les recherches dialectales étudient généralement des variables phonologiques ou lexicales (Labov : 1966), au détriment de la syntaxe (Trudgill & Chambers : 1991, 291). Il a en effet été suggéré que les variables syntaxiques ne contribuent pas à distinguer les groupes sociaux dans les mêmes proportions que les variables phonologiques (Hudson 1996 : 45 ; Winford 1996 : 188). Au sujet de l’intersection entre genre et langage, Lakoff (1972, 47) fait par exemple le constat qu’il n’existe pas de règle syntaxique propre au parler des femmes.

LIKE, qui comme nous l’avons évoqué peut être fortement associé au vocabulaire Valley Girl, peut néanmoins occuper un grand nombre de fonctions syntaxiques. D’Arcy (2007, 392) donne une typologie grammaticale de ses emplois classiques :

a. VERB: I don’t really LIKE her that much.

b. NOUN: He grew up with the LIKES…of all great fighters.

c. ADVERB: It looks LIKE a snail; it just is a snail.

d. CONJUNCTION: It felt LIKE everything had dropped away. e. SUFFIX: I went, ‘[mumbling]’ or something like stroke-LIKE. […]

À ces emplois s’ajoutent celui de LIKE comme «  marqueur d’énonciation rapportée » (quotative be like), dans des structures de type [sujet] + [BELIKE] + [discours direct rapporté], comme par exemple  :  «  She was like ‘no way!’.  » Cette construction, mentionnée pour la première fois par Schourup & Butters (1982, 149) , déclenche bien 26 des contraintes syntaxiques (Haddican et al.  :  2015) et relève pour Romaine & Lange (1991) d’un cas de grammaticalisation en cours, qui n’est pas sans rappeler que « genre » en français connaît une évolution similaire (Dufaye : 2014).

Les petites capitales sont utilisées pour faire référence à toutes les fonctions syntaxiques et de discours

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du marqueur.

Cette première mention du marqueur d’énonciation rapportée BE LIKE dans un article scientifique

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intervient donc la même année que la sortie du titre des Zappa, dans lequel ce marqueur est présent, et qui a fortement contribué à populariser le dialecte Valspeak aux États-Unis (cf. section 1.2.1).

La seconde interrogation concerne l’association, au sein d’une même section, d’une problématique concernant la syntaxe et le discours. Ce qui constitue un marqueur de discours ne fait pas consensus et un certain nombre d’étiquettes cohabitent pour désigner ce type de marqueur (Fraser  :  1999, 932), telles que «  connecteur discursif,  opérateur de discours,  » ou encore «  particule de discours.  » Jucker & Ziv (1998) disent ainsi utiliser «  marqueur de discours  » comme terme générique. Ces divergences induisent nécessairement des désaccords taxinomiques. Schiffrin (1987) considère par exemple «  oh!  » comme un marqueur de discours, ce que réfute Fraser (1999). De plus, certaines définitions circonscrivent la portée des marqueurs de discours au non-syntaxique. Brinton (1996) affirme par exemple que ces marqueurs interviennent en dehors de la structure syntaxique (ou qu’ils y sont liés de manière lâche). Cependant, d’autres auteurs incluent justement dans la classe des marqueurs de discours ceux qui ont trait à la syntaxe des énoncés. Fraser (1999, 946), les conçoit uniquement comme des connecteurs discursifs (de type «  and, but, so, furthermore, after all, however…  ») et indique qu’il s’agit d’expressions ayant des fonctions syntaxiques  :  conjonctions, syntagmes adverbiaux ou prépositionnels. La frontière entre marqueurs syntaxiques et de discours ne semble donc pas étanche, ce qui explique sans doute pourquoi LIKE est considéré par certains comme un marqueur de discours (par exemple par Siegel : 2002). Si cette catégorie de marqueurs n’est pas censée affecter le sémantisme de la prédication (Brinton  :  ibid.  ;  Hölker  :  1991, 78-79), Miller (2009), indique que LIKE peut néanmoins dans certains cas colorer la validation d’une prédication en raison de sa valeur d’approximation. Jucker & Ziv (1998, 7) décrivent également LIKE comme un marqueur de discours, mais estiment qu’il n’est pas prototypique. D’Arcy (2007, 392) regroupe quant à elle quatre emplois de 27 LIKE au sein d’une même catégorie qu’elle appelle « fonctions vernaculaires, » et qui comprend des utilisations syntaxiques et de discours :

Elle indique que d’autres emplois, marginaux en anglais nord-américain, sont attestés en anglais

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QUOTATIVECOMPLEMENTIZER

a. And we WERELIKE, ‘Yeah but you get to sleep like three-quarters of you life.’ He WASLIKE, ‘That’s an upside.’

b. I WASLIKE, ‘Where do you find these people?’ APPROXIMATIVEADVERB

a. It could have taken you all day to go LIKE thirty miles.

b. You-know, it was LIKE a hundred and four [degrees], but it lasted for about two weeks.

DISCOURSEMARKER

a. Nobody said a word. LIKE my first experience with death was this Italian family.

b. I love Carrie. LIKE Carrie’s like a little like out-of-it but LIKE she’s the funniest.

LIKE she’s a space-cadet. DISCOURSEPARTICLE

a. Well you just cut out LIKE a girl figure and a boy figure and then you’d cut out LIKE a dress or a skirt or a coat, and like you’d color it.

b. And they had LIKE scraped her.

c. She’s LIKE dumb or something. Like I love her but she’s LIKE dumb.

Utilisé en tant qu’adverbe d’approximation, LIKE peut alterner avec «  about  » ou «  approximately.  » Cette utilisation de LIKE permet d’atténuer la force d’un énoncé (Coates : 2016, 89) ou d’indiquer que le locuteur ne le prend que partiellement en charge et s’en distancie (Irwin : 2002, 171, dans Coates : 2016, 89). LIKE peut aussi montrer que ce que le locuteur vient de dire (ou va dire) n’est pas exactement ce qu’il a en tête (Schourup : 1985, 141). Il peut également être utilisé par le locuteur pour montrer qu’un terme ou une expression ne fait pas pleinement partie de son vocabulaire, ce qu’Andersen (2000  :  243-244), qui emprunte la notion à Stubbs (1986, 4), appelle « engagement lexical réduit » (reduced lexical commitment).

D’Arcy distingue également « marqueur » et « particule » de discours. La première utilisation intervient en tête de proposition et signale un lien logique avec la proposition précédente. LIKE intervient alors dans ce cas après une conjonction de type « but. » Le

LIKE particule se situe au sein même d’une proposition. Il n’exprime alors pas de lien logique mais est utilisé afin de créer un «  terrain d’entente  » (common ground) (D’Arcy : 2017, 132 ; Cheshire : 2005, 487) et un sentiment de solidarité. Les particules de discours sont en effet fondamentalement interpersonnelles en cela qu’elles établissent une sorte d’intimité entre locuteurs (D’Arcy : 2017, 15). Cette fonction de LIKE rappelle ce

que Jakobson (1960, 355) nomme la fonction phatique de la langue, c'est-à-dire un échange de formules rituelles dont le but est d’établir ou prolonger la communication. Notons qu’un autre marqueur du Valspeak, le HRT, peut être utilisé pragmatiquement dans un but similaire (cf. section 2.3.2).

Un grand nombre d’études laissent penser que les différents emplois de LIKE sont privilégiés par les jeunes (et les) femmes. Coates (2016, 89) indique par exemple qu’il est davantage utilisé par les jeunes. Haddican et al. (2015) font le même constat pour la structure BELIKE. Cette construction est censée être la marque d’émotions ressenties par le locuteur (Graham : 2016 ; Ranger : 2012, 3), ce qui n’est pas sans rappeler qu’un fort engagement émotionnel est une caractéristique du Valspeak (cf. section 2.6.1). Elle est aussi souvent l’objet de commentaires méta-linguistiques. Tagliamonte (2012, 248) dit par exemple :

The rise of be like is possibly the most vigorous and widespread change in the history of human language.

Cette structure est davantage utilisée par les femmes que par les hommes (Barbieri  :  2007, 41) et la plupart des études font spécifiquement référence aux jeunes femmes ou aux adolescentes (Romaine & Lange : 1991, 228 ; Eckert : 2003 ; Barbieri : 2007, 40  ;  Andersen  :  2000, 291) et plus particulièrement aux adolescentes nord-américaines (Tagliamonte & D’arcy  :  2009, 75) ou états-uniennes (Siegel  :  2002, 36). La structure BE LIKE est également perçue comme étant davantage utilisée par les jeunes femmes. Buchstaller (2006, 369-370) signale par exemple que la structure est associée aux femmes (de la classe ouvrière au Royaume-Uni et de la classe moyenne aux États-Unis) et aux jeunes. Une étude non publiée de Lange (1986), dans Romaine & Lange (1991, 255), indique que des adolescents et adolescentes jugent les énoncés contenant LIKE comme caractéristiques d’un parler féminin, alors même que les énoncés utilisés pour l‘étude avaient été produits par des femmes et des hommes. Dailey-O’Cain (2000) montre également que LIKE est majoritairement perçu comme féminin. Ranger (2012, 6) dit que le marqueur d’énonciation rapportée est à l’origine associé aux adolescentes de la côte ouest des États-Unis. D’Arcy (2017, 142) suggère que LIKE est davantage associé aux

jeunes (bien que cette population ne soit pas la seule à utiliser ce marqueur) car ce sont eux qui y ont le plus recours :

The approximate adverb, the quotative, the complementizer, the epistemic parenthetical, the marker, and the particle have all increased in frequency in recent decades. The consequence is that the frequency of LIKE is higher among younger speakers than it is among older ones. […]. [Adolescents] are not the only member of the community using these forms, but they use them the most, both in terms of frequency and in terms of probabilistic frequency. This makes them noticeable.

Malgré le fait que beaucoup s’accordent à dire que les jeunes femmes ont récemment popularisé les multiples fonctions de LIKE, d’autres études sont plus nuancées. D’Arcy (dans McWhorter : 2017) suggère par exemple que l’utilisation du mot

LIKE remonte à 200 ans. Le marqueur d’énonciation rapportée est selon elle une innovation de la fin du 20ème siècle (2017, 146-147) et il a probablement évolué dans les années 1960 ou 1970. Cette utilisation aurait ultérieurement été associée aux Valley Girls (ibid., 145). La plupart des autres fonctions de LIKE circulaient également avant l’apparition de cette persona (D’Arcy : 2007). D’autres études montrent que BE LIKE est également utilisé au Canada et en Angleterre (Tagliamonte & Hudson : 1999) et que la construction n’est d’ailleurs pas particulièrement perçue comme californienne ou même américaine en Grand-Bretagne (Buchstaller  :  2006, 375). LIKE n’est également pas, ou plus, uniquement l’apanage des jeunes. Le marqueur d’énonciation rapportée est utilisé par toutes les classes d’âge en anglais américain (Barbieri  :  2007, 39) et D’Arcy (2007) souligne que les utilisations de LIKE en tant que marqueur, particule et adverbe d’approximation étaient en augmentation avant les Valley Girls. Enfin, certains affirment que LIKE n’est pas nécessairement plus utilisé par les femmes. Dans leur étude au Texas, Ferrara & Bell (1995, 277) disent par exemple que les individus hommes et femmes entre 16 et 39 ans utilisent BELIKE de manière approximativement égale. Dans une conférence, Podesva (2015) va jusqu’à dire qu’il n’existe pas de différence significative dans l’utilisation de BELIKE par les hommes et les femmes. La différence notable est selon lui l’âge  :  les plus jeunes emploient davantage BE LIKE comme marqueur d’énonciation rapportée et les plus âgés « say. » Les analyses plus fines prenant en compte la typologie

de LIKE mettent en relief l’utilisation de ce marqueur par les hommes. Ainsi Blyth et al. (1990, 221) indiquent que, contrairement au stéréotype, BELIKE est davantage utilisé par les hommes. Barbieri (2007, 26) contredit ce résultat (cet emploi est privilégié par les jeunes femmes), mais son utilisation décline fortement chez les femmes après 20 ans et augmente sensiblement chez les hommes qui ont la vingtaine ou la trentaine. D’Arcy (2017, 137) indique enfin que si le marqueur d’énonciation rapportée et le marqueur de discours sont davantage utilisés par les femmes, ce n’est pas le cas pour l’adverbe d’approximation, et que le LIKE particule est davantage utilisé par les hommes. Elle résume les différences observées ainsi (ibid., 147) :

The discourse functions of LIKE are not simply a girl thing, a teenager thing, or some combination of the two (e.g. a Valley Girl thing), nor can it be said that they are strictly an American thing. By and large, these forms are everybody’s thing— and they have been for quite some time.