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Per belli civilis occasionem : les ressorts possibles de la fondation coloniale

B. La réorganisation sévérienne

1. Per belli civilis occasionem : les ressorts possibles de la fondation coloniale

La victoire de Septime Sévère sur Pescennius Niger en 194 ouvre une série de punitions en Orient, d'autant plus marquantes (donc mentionnées par les auteurs) qu'elles frappent des cités célèbres et qu'elles procèdent du même désordre que celui des guerres civiles. Ainsi en est-il de la capitale provinciale, Antioche, qui, réduite au rang de simple kômè, est incorporée au territoire de Laodicée, sa rivale, tout comme Byzance est remise à Périnthe :

Il envoya de surcroît des troupes pour assiéger Byzance, car la ville lui restait fermée depuis que les généraux de Niger y avaient trouvé refuge (elle fut prise plus tard par la famine et la cité entière fut détruite ; privée de ses théâtres, de ses bains et de tout ce qui lui donnait de l’éclat et de la valeur, Byzance fut alors accordée, en guise de présent, aux Périnthiens afin qu’ils en devinssent maîtres comme Antioche l’avait été aux habitants de Laodicée). Sévère expédia aussi des sommes considérables aux cités endommagées par l’armée de Niger pour leur reconstruction653.

Chez Dion Cassius ou dans l'Histoire Auguste, l'évocation de la répression illustre la cruauté du prince et contribue à façonner l'image d'un empereur vindicatif654. Les sources ne mentionnent le sort que de peu de cités d'Orient655, mais invitent à penser que l'ensemble des cités favorables à Pescennius Niger ont été châtiées656. Le parallèle établi par Hérodien entre Laodicée et Tyr, qui ont pris le parti de Septime Sévère moins par conviction que pour s'opposer à leurs rivales respectives Antioche et Berytus, a donc incité les historiens à voir dans la fondation d'Héliopolis, une de ces mesures prises par Septime Sévère dans le feu de l'action de la guerre civile657:

Pendant que ces évènements se déroulaient en Cappadoce, les cités se dressaient les unes contre les autres : en Syrie, Laodicée s’opposa à Antioche, qu’elle haïssait, et en Phénicie Tyr à Berytos, qu’elle détestait. Ces deux cités, dès qu’elles apprirent la fuite de Niger, entreprirent d’abolir les honneurs qu’il y avait reçus et

653 Hérodien, III, 6, 9 : ἔπεμψε δὲ καὶ τοὺς τὸ Βυζάντιον πολιορκήσοντας· ἔμενε γὰρ ἔτι κεκλεισμένον, τῶν στρατηγῶν τοῦ Νίγρου ἐκεῖσε καταφυγόντων. ὅπερ ἑάλω ὕστερον λιμῷ, πᾶσά τε ἡ πόλις κατεσκάφη, καὶ θεάτρων τε καὶ λουτρῶν παντός τε κόσμου καὶ τιμῆς ἀφαιρεθὲν τὸ Βυζάντιον κώμη δουλεύειν Περινθίοις δῶρον ἐδόθη, ὥσπερ καὶ Ἀντιόχεια Λαοδικεῦσιν. ἔπεμψε δὲ καὶ χρήματα πλεῖστα ἐς ἀνοικισμὸν τῶν πόλεων ἃς ἦν λυμηνάμενος ὁ Νίγρου στρατός. 654 CHRISTOL1997, p. 19. 655

Neapolis en Samarie (SHA, Sev. IX, 5), Byzance et Antioche (Hérodien, III, 6, 9).

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Dion Cassius, Histoire romaine, LXXV, 8, 3-4 ; SHA, Sev. IX, 7 : « de nombreuses cités également qui avaient pris son parti [i.e. celui de Pescennius Niger] subirent injustices et dommages ». On peut citer la Palestine également (SHA, Sev. XIV, 6) : « Il releva les Palestiniens du châtiment qu’ils avaient encouru pour avoir soutenu Niger ».

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Par ex. ZIEGLER1978, p. 497-498, MILLAR1990, p. 33, SARTRE2001b, p. 125 et GUERBER2009, p. 387, n. 66.

acclamèrent Sévère. Quand Niger, parvenu à Antioche, fut informé de ces mesures, cet homme qui, d’ordinaire, auparavant, était de caractère bienveillant, en la circonstance s’indigna, et à juste titre, de la défection et des excès de ces deux cités et expédia contre elles les Maures lanceurs de javelots dont il disposait ainsi qu’une partie de ses archers, avec ordre de massacrer tous les habitants qu’ils rencontreraient, de piller ces cités et de les incendier. Les Maures, gens assoiffés de carnage et que le mépris qu’ils affichent aisément pour la mort et le danger pousse en désespérés à toutes les audaces, fondirent sur les habitants de Laodicée, qu’ils prirent au dépourvu, et anéantirent par tous les moyens possibles la population de la cité. Après quoi ils coururent à Tyr, mirent le feu à la ville entière et s’y livrèrent à de nombreux pillages et massacres658.

Pour les tenants actuels d'une fondation sévérienne d'Héliopolis, la perte d'une partie du territoire colonial constitue pour Berytus le pendant, à première vue moins radical, de la punition subie par Antioche. Cette affirmation ne repose toutefois que sur un raisonnement par analogie puisque les sources littéraires n'évoquent aucune punition pour Berytus. Malgré sa vraisemblance, elle appelle cependant quelques remarques, car mettre sommairement en parallèle le sort de Berytus ou d'Antioche conduit à négliger la singularité du cas héliopolitain. La plupart des mesures punitives prises par Septime Sévère ont été, en effet, rapidement annulées, tant elles allaient à l'encontre des équilibres locaux et de la logique municipale. Il s'agissait d'impressionner dans un contexte de prise de pouvoir, car la guerre civile est loin d'être terminée et la politique dynastique de Septime Sévère commence tout juste à se mettre en place659. Antioche et Byzance retrouvent rapidement leur statut de cités, probablement en 197-198, à l'occasion de l'expédition parthique, au plus tard en 202 pour Antioche qui redevient à cette occasion capitale provinciale660. La fondation coloniale, assortie du ius italicum, engage autrement l'avenir et l'on peut légitimement se demander si elle faisait aussi naturellement partie de l'arsenal des

658 Hérodien, III, 3, 3-5 : κατὰ μὲν δὴ Καππαδοκίαν ταῦτα ἐπράττετο, ἐστασίασαν δὲ πρὸς ἀλλήλους τῷ αὐτῷ ζήλῳ καὶ [μίσει] Λαοδικεῖς μὲν κατὰ Συρίαν Ἀντιοχέων μίσει, κατὰ δὲ Φοινίκην Τύριοι Βηρυτίων ἔχθει· μαθόντες τε τὸν Νίγρον πεφευγότα τὰς μὲν τιμὰς ἐκείνου καθελεῖν ἐπειράθησαν, τὸν δὲ Σεβῆρον εὐφήμησαν. ὡς δὲ γενόμενος ἐν Ἀντιοχείᾳ ταῦτα ὁ Νίγρος ἐπύθετο, ἄλλως μὲν τὸ ἦθος πρότερον χρηστὸς ὤν, ἀγανακτήσας δὲ τότε εἰκότως ἐπὶ τῇ ἀποστάσει αὐτῶν καὶ ὕβρει, ἐπιπέμπει ταῖς πόλεσιν ἀμφοτέραις Μαυρουσίους τε ἀκοντιστὰς οὓς εἶχε καὶ μέρος τοξοτῶν, φονεύειν τε τοὺς ἐντυγχάνοντας κελεύσας καὶ διαρπάζειν τὰ ἐν ταῖς πόλεσιν, αὐτάς τε ἐμπιπράναι. οἱ δὲ Μαυρούσιοι ὄντες φονικώτατοι, καὶ διὰ τὸ θανάτου καὶ κινδύνων ῥᾳδίως καταφρονεῖν πάντα τολμῶντες μετὰ ἀπογνώσεως, ἐπιπεσόντες τοῖς Λαοδικεῦσιν οὐ προσδοκῶσι παντὶ τρόπῳ τόν τε δῆμον καὶ τὴν πόλιν ἐλυμήναντο, ἐκεῖθέν τε σπεύσαντες ἐπὶ τὴν Τύρον πᾶσάν τε ἐνέπρησαν καὶ πολλὴν ἁρπαγὴν καὶ φόνον εἰργάσαντο. 659 ZIEGLER1978, p. 497. 660

On sait que Byzance est réhabilitée en 197 (Hesychius de Milet, FGrH 390 F1, 38 et SHA, Carac. I, 7) ; pour Antioche la date de 202 est le plus souvent avancée ; comme le signale ZIEGLER1978, p. 496, il ne s’agit que d’un terminus ante quem donné par le consulat commun de Septime Sévère et de Caracalla inauguré à Antioche (SHA, Sev. XVI, 8) ainsi que par la frappe d’un tétradrachme.

punitions et récompenses qui était à la disposition du vainqueur que l'affirme Fergus Millar661.

En précisant que Laodicée obtint la cité romaine assortie du ius italicum « ob belli civilis merita », Ulpien semble faire explicitement de cette distinction une récompense liée à la guerre civile662. Hérodien et Malalas s'en tiennent pourtant à l'agrandissement territorial dont elle bénéficie663 et au titre de métropole664 : par une sorte ‘d'effet miroir’, Laodicée est récompensée à la hauteur de la punition d'Antioche qui perd son titre et son statut665. Dans un article, X. Dupuis insiste ainsi sur le décalage chronologique entre la fin de la guerre civile et la colonisation : Laodicée ne devient colonie romaine qu'en 197-198, c'est-à-dire dans un contexte apaisé, lors du deuxième voyage en Orient de l'empereur. Pour l’historien, cet exemple « montre donc que ... même les cités qui avaient pris le parti de Septime Sévère pendant la guerre civile n'obtinrent pas immédiatement, et de façon quasi automatique, le statut de colonie ou le droit italique » et il pense « que la ville dut longuement argumenter en rappelant à l'empereur le soutien qu'elle lui avait accordé »666. Comme Laodicée, Tyr ne devient que tardivement colonie romaine667; Sidon, malgré son soutien au prince, ne bénéficie pas du même bienfait impérial que sa voisine668. Même si elles sont certainement liées au comportement des cités proche-orientales durant la guerre civile, ces promotions coloniales s'insèrent aussi dans une politique municipale d'ensemble. Ainsi que l’ont montré R. Ziegler pour Laodicée et A. Kushnir-Stein pour Sebastè, l’élévation au statut colonial pourrait bien correspondre, respectivement, à la réhabilitation d’Antioche669et de Néapolis de Samarie670qui privait les cités de revenus substantiels. La fondation d’Héliopolis est souvent décrite par les modernes comme une récompense, en

661 MILLAR1990, p. 31. 662 Digeste, 50, 15, 1, 2. 663 Hérodien III, 3, 3-5 et 3, 6, 9. 664

Malalas, Chronographie, XII, 21. Cf. CABOURET 2006, p. 179 : l’empereur « attribua le statut de métropole à la cité pour le temps de son règne et lui seul ».

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SARTRE 2001b, p. 125, n. 147, en déduit le prestige du titre de métropole à la suite de Millar. SEYRIG

1963, pour la chronologie établie à partir d’un poids de Laodicée.

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DUPUIS1996, p. 64. Les sources rabbiniques évoquent le cas d’une cité qui sollicite l’empereur pour obtenir le statut de colonie : MILLAR1990, p. 31, et SARTRE2001b, p. 126, n. 150.

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Pas avant 198, car elle est fondée sous les auspices de Septime Sévère et de Caracalla, ainsi que le signale Ulpien. Digeste, 50.15.1.2.

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SARTRE 2001b, p. 125, n. 148, signale un cippe actuellement au Louvre qui montre que la cité a eu à souffrir de la répression de Pescennius Niger. Cf. Liban, l’autre rive 1998, p. 305.

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ZIEGLER1978, p. 496-497, propose la date de 197-198 pour Antioche, calée sur celle de la réhabilitation de Byzance.

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dépit du fait qu’Héliopolis, si notre raisonnement antérieur est juste, ne renvoie qu’au sanctuaire ; ce n’est ni une entité civique ni même une entité administrative671.

Qu'en est-il de la fondation d'une colonie comme punition ? Notons la différence entre les deux formules utilisées par Ulpien lorsqu'il évoque Héliopolis puis Laodicée (per belli ciuilis occasionem / ob belli ciuilis merita) que leur parallélisme a quelque peu masqué672. La formulation d’Ulpien n’incite pas à en faire un facteur explicatif comme dans le cas de Laodicée. Certes, M. Christol montre bien qu'avec cette insistance, Ulpien dénigre subtilement ces fondations coloniales dont il rappelle qu'elles sont nées dans le désordre d'une guerre civile673. Le juriste met ainsi implicitement en valeur celle de Tyr que, suivant Hérodien, nous associons pourtant au même événement. Mais la mention de la guerre civile permet surtout aux lecteurs d'Ulpien de situer chronologiquement l'élévation d'Héliopolis au rang de colonie : la fondation coloniale, probablement intervenue en 194- 195674, a bien eu lieu au moment de la guerre civile, lors du premier séjour de l'empereur. Par ailleurs, M. Christol rappelle à quel point la guerre civile est le temps du « renversement des valeurs »675. Sous Auguste, Horace évoquant les campagnes de Drusus et de Tibère décrivait ainsi la guerre civile : « ... on ne verra point le calme banni par la fureur civile ou par la violence, ni par la colère qui forge les épées et pousse à la discorde les villes malheureuses »676. Ce « renversement des valeurs » est aussi illustré, temporairement, par l’action du prince qui peut dessaisir une prestigieuse cité comme Antioche de son autonomie municipale. En regard, la fondation d'une colonie romaine est désormais un honneur recherché par les cités levantines. Sous les Sévères, elle n'entraîne plus les mêmes bouleversements qu'à l'époque augustéenne et ne peut renvoyer à un mauvais comportement durant la guerre civile.

Il ne s'agit pas de remettre en cause l’interprétation par les guerres civiles, mais de prendre en compte d'autres éléments explicatifs. Certes, l'empereur peut d'autant plus facilement démanteler le vaste territoire de Berytus qu'elle a pris position contre lui et la promptitude avec laquelle il prend cette mesure – Héliopolis est la seule colonie fondée lors du premier séjour de l'empereur – est un argument en faveur de cette idée. La

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Par exemple, SMALLWOOD 1976, p. 487, ou, récemment, GUERBER 2009, p. 400 : « Puis elle [la cité d’Héliopolis] prit parti en faveur de Septime Sévère dans la guerre qui l’opposa à Pescennius Niger. En retour, la cité obtint le titre de colonie de droit italique ». MILLAR 1990, p. 33, envisage une pétition des habitants d’Héliopolis auprès de l’empereur.

672 Digeste, 50, 15, 1, 2. 673 CHRISTOL2003. 674 SAWAYA1998. 675 CHRISTOL2003. 676

fondation d'Héliopolis n'en a pas moins une autre dimension : à la différence des mesures punitives signalées, elle s'inscrit dans la durée677. Pour compléter le tableau des motivations possibles de l’empereur, il convient d’évoquer ce que l’on a appelé la ‘politique de la cité’ des Sévères. La politique municipale de l’empereur a, en effet, été particulièrement riche et novatrice, enregistrant des évolutions essentielles au sein de l'Empire. Elle est marquée notamment par la valorisation de la vie municipale – dont l'exemple le plus frappant est l'accession des métropoles égyptiennes à la quasi autonomie civique678 –, mais également par un tournant dans la politique coloniale des empereurs : l'acquisition de la culture latine n'est plus l'étape indispensable de la promotion coloniale679, ce dont témoigne la multiplication des colonies proche-orientales. Ce n'est pourtant pas ce contexte qui permet le mieux de comprendre la fondation d'Héliopolis. La comparaison avec Carthage, colonie qui offre un certain nombre de points de contact avec celle de Berytus, ouvre quelques pistes pour mieux cerner les intentions de Septime Sévère. Mieux documentée sur ces questions municipales, elle fournit un modèle d’explication analogue pour comprendre le processus à l'œuvre à Héliopolis. Si l'on s'en tient au strict déroulement chronologique, c'est le ‘modèle héliopolitain’ toutefois qui a pu être appliqué à Carthage.

Partie intégrante du projet césarien de colonisation de l'Afrique, Carthage fait partie de ces colonies qui voient le jour après la mort de César. Elle reçoit le titre de colonia Concordia Iulia Karthago en 44 avant notre ère. En 27, Auguste installe de nouveaux vétérans et agrandit son territoire. Celui-ci franchit la fossa regia et s'étend désormais sur une centaine de kilomètres vers l’intérieur des terres. Le territoire de Carthage a ainsi au moins deux caractéristiques qui le rapprochent de celui de Berytus : il est très vaste et Auguste l'affranchit des frontières historiques. Le territoire colonial a, cependant, ses spécificités dues en partie à la provincialisation intervenue sous la République encore : une colonisation viritane précoce (dès Marius) explique la présence de communautés de citoyens romains sur tout le territoire africain. Au territoire de Carthage sont donc rattachés des pagi éloignés qui se trouvent à proximité de civitates pérégrines. Les remaniements opérés par Septime Sévère ne s'inscrivent pas dans le cadre des guerres civiles et ne reflètent pas une quelconque ‘hostilité’ de l'empereur à l'égard de Carthage : l'alternative

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De ce point de vue, on ne peut comparer, sans précaution, la fondation d’Héliopolis à l’élévation de Laodicée au statut de colonie romaine.

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JACQUES& SCHEID1990, p. 280.

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punition / récompense avancée pour le Proche-Orient n'a pas lieu d'être dans ce cas680. Or l’empereur n'a pas hésité à réduire le territoire colonial de Carthage et à promouvoir de nouvelles entités autonomes, puisqu’à la suite de ce remodelage, des pagi périphériques, rattachés aux civitates, ont formé des municipes détachés de Carthage.

Le parallèle africain ouvre deux pistes de réflexion qui correspondent également à deux moments historiographiques. Les spécialistes de l'Afrique romaine y ont vu d'abord une façon pour Septime Sévère de démanteler un vaste territoire civique. Cette interprétation s'accorde avec la vision négative que certains historiens ont pu avoir de l'œuvre municipale des Sévères. J. Gascou a montré comment Septime Sévère a cherché à « limiter le poids des colonies césaro-augustéennes », et il a mis l’accent sur sa « méfiance des unités politiques trop vastes » en Afrique681. À Carthage comme à Berytus, le souci de promouvoir des entités civiques plus restreintes pourrait expliquer les mesures prises par Septime Sévère. Dès 194-195, parallèlement aux mesures punitives évoquées, l’empereur entreprend d’ailleurs la réorganisation du Proche-Orient dont le temps fort est la création des deux nouvelles provinces qui fait écho à la division du territoire bérytain, certes à une toute autre échelle682. Cela permet de limiter le poids d'une province qui a montré à deux reprises déjà – avec Avidius Cassius et Pescennius Niger – qu'elle pouvait servir de tremplin à des vélléités impériales. En ramenant les territoires coloniaux à des dimensions plus restreintes, Septime Sévère rationalise la gestion de l'espace. Récemment, les chercheurs ont souligné les aspects positifs de la réorganisation de la pertica Carthaginiensium, véritable illustration de la politique municipale de l’empereur. J. Gascou signalait déjà que les habitants des pagi « vivaient en symbiose avec les pérégrins de ces civitates », et cela au moins depuis le Ier siècle de notre ère683. Xavier Dupuis conclut également que la politique municipale de Septime Sévère « visait d'ailleurs peut- être moins à fractionner une puissante entité territoriale, à amoindrir la puissance de Carthage, qu'à prendre acte d'une évolution et à sanctionner dans le droit la romanisation profonde des cités qui en dépendaient depuis plus de deux siècles »684.

Le comportement de Berytus durant la guerre civile n'explique pas complètement la fondation d’Héliopolis. Fonder une colonie conduit à modifier les équilibres locaux et les

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LEPELLEY1990, p. 36, n. 48, s’appuie sur le témoignage de Tertullien pour conclure que la mesure n’a pas été vécue, sinon conçue, comme une brimade.

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GASCOU1972, p. 227.

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Cf. GASCOU 1972, p. 229 : « on pourrait rapprocher cette politique d’une politique de division des provinces qui semblerait aller dans le même sens … ».

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GASCOU1972, p. 49, n. 2 : des inscriptions emploient la formule pagus et ciuitas comme par exemple au Iersiècle : patronus pagi et ciuitatis Th[ugg(ensis)].

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choix des empereurs relèvent dans ce domaine nécessairement du pragmatisme. Par analogie, l’exemple carthaginois peut faire penser que Septime Sévère a divisé le territoire colonial bérytain au titre d'une réorganisation de la vie municipale et des équilibres locaux. Tout au plus la guerre civile lui en aura fourni le prétexte et l'occasion : per belli ciuilis occasionem. Ces deux pistes – démantèlement ou municipalisation –, avancées pour Carthage, et dont on voit tout le parti que l'on peut en tirer pour Héliopolis, loin de s'opposer se complètent. Comme à Carthage, l'empereur ne peut procéder au démantèlement du territoire colonial que dans la mesure où les conditions locales le permettent. La fondation coloniale pose la question de la situation de la Bekaa et du devenir des populations locales durant les deux premiers siècles d’existence de la colonie de Berytus. Nous n’avons pas matière à évoquer le statut et la situation concrète de ces populations locales, faute de sources. Dans le prolongement de notre réflexion sur le territoire, nous pouvons, en revanche, aborder la question d’une nouvelle identité territoriale pour ces habitants de la Bekaa. Le cadre villageois des micro-identities s’est peut-être conjugué pour certains avec celui, plus vaste, de la Bekaa coloniale.