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A. Entre héritage augustéen et patronage sévérien : la fondation d’Héliopolis

2. Intégrer la Bekaa à l’espace provincial

Parce que son territoire s’étend en partie sur l’ancien domaine du prince-client Zénodore, la fondation de Berytus entre dans la problématique de la provincialisation des débuts de l’empire. On a souligné à quel point les principautés étaient soumises au bon vouloir de l’empereur qui peut les faire et les défaire à son gré. Dans les faits, la mort d’un prince client fournit bien souvent à l’empereur l’occasion ou l’opportunité de modifier le statut d’un territoire ou d’en changer la configuration278. Ainsi, la fondation de Berytus suit-elle de quelques années la disparition de Zénodore, survenue en 20 avant notre ère alors qu’Auguste se trouvait au Levant279. Les sources littéraires ne donnent que peu d’indications sur le sort des territoires sous sa domination280. La documentation épigraphique, en revanche, permet de cerner, pour la Bekaa, un point d’aboutissement dont on peine à reconstituer les étapes exactes. Elle montre que l’ensemble de la plaine intérieure a fini par entrer sous la tutelle de deux cités de la côte phénicienne, Sidon et Berytus281.

Au moment de la réorganisation sévérienne qui modifie profondément le paysage politique de la région, les limites de la colonia Iulia Augusta Felix Heliupolis conservent, pour partie, le tracé des limites de la colonie de Berytus. Ainsi, à Niha, au sud de Baalbek, les deux territoires semblent se superposer dans le temps, comme le montrent deux inscriptions non datées qui y ont été découvertes. L’épitaphe de Q(uintus) Vesius Petilianus, d(ecurio) Ber(ytensis), révèle indirectement l’assise territoriale – si ce n’est l’enracinement local – d’un notable bérytain282. C’est l’un de ces rares exemples, bien attestés ailleurs, qui montre comment le chef-lieu et le territoire pouvaient être articulés283. À une date que l’on ne peut que supposer ultérieure, l’inscription qui accompagne le relief

278

SARTRE1997, p. 24-25.

279

Dion Cassius, Histoire romaine, LIV, 7, 5-6.

280

Auguste a réduit une première fois les territoires de Zénodore au profit d’Hérode, Josèphe, BJ, I, 20, 4 (398-399) ; AJ, XV, 10, 1 (344-348). À la mort de Zénodore, d’autres territoires sont donnés à Hérode, Josèphe, BJ, I, 20, 4 (400) ; AJ, XV, 10, 1 (359-360) et Dion Cassius, Histoire romaine, LIV, 9, 3.

281

Cf. annexe, fig. 3.

282

IGLS 6, 2942 : Q(uintus) Vesius Petilian/us, flamen au[g(ustalis)]/ dec(urio) Ber(ytensis), quaes/tor col(onorum) col(oniae), sibi et c/oniugi, « Quintus Vesius Petilianus, flamine augustal, décurion de Béryte,

questeur des colons de la colonie (a construit ce monument) pour lui et son épouse ». Il n’y a pas de raison de penser que sa charge de questeur a été exercée dans le pagus et non à Berytus comme l’a affirmé J.-P. Rey- Coquais dans le commentaire qu’il donne de l’inscription. Il revient d’ailleurs sur cette affirmation dans REY- COQUAIS1987, p. 198 (« questeur, c’est-à-dire trésorier, des colons de la colonie »).

283

Une inscription honorifique découverte en 1996 à Beyrouth détaille la carrière militaire de Cn(aeus) Iulius

Rufus durant le règne de Domitien (GHADBAN1997, p. 206-223, n° I) ; elle fait écho à son épitaphe, située à Karak Nouh, à quelques km au sud de Niha, IGLS 6, 2955.

du prêtre Narkisos précise qu’il est bouleutikos de la colonie d’Héliopolis284. La mention de ces deux colonies correspond ici à un changement de tutelle sans doute contemporain de la fondation d’Héliopolis par Septime Sévère. Même si Niha n’est pas la plus méridionale des localités de la Bekaa situées sur la route qui relie Berytus à Héliopolis, il y a tout lieu de penser qu’à cette occasion, le Mont Liban avait retrouvé une fonction de « barrière naturelle ». Par ailleurs, à la fin du IIe siècle, Rome n’en est plus, dans cette région de l’empire, à redistribuer les territoires entre cités ou principautés alliées afin d’organiser son contrôle sur la province. On peut tenir d’éventuelles modifications de frontières pour mineures car Septime Sévère n’a probablement pas bouleversé le découpage des territoires civiques environnants285. Retrouver les limites du territoire d’Héliopolis devrait donc permettre de prendre la mesure de l’extension du territoire de Berytus dans la Bekaa.

L’étude des « frontières d’Héliopolis » a été menée par C. Ghadban dans un article de 1981286. Il s’est appuyé sur des prospections et des découvertes, parfois encore inédites, réalisées après la publication des IGLS 6 par J.-P. Rey-Coquais en 1967287. Le territoire héliopolitain se prête au même type d’investigation que n’importe quelle cité de l’empire288, mais on peut également s’appuyer sur la particularité culturelle de cette colonie romaine pour essayer d’en restituer les contours approximatifs : la carte des inscriptions latines dessine un territoire289 qui donne à voir, en quelque sorte, « l’île latine » c’est-à-dire en fait révèle l’enclave territoriale qu’est une colonie romaine290. C. Ghadban, quant à lui, recourt à des dédicaces religieuses pour appuyer sa démonstration291. A ce stade de notre enquête, il semble plus prudent d’éviter d’utiliser la diffusion de certains cultes pour en déduire l’extension territoriale. Toutefois la démarche que j’adopte

284

Cf. annexe, fig. 59. IGLS 6, 2935A : Νάρκισος / Κασίου, βου/λευτικὸς / κολ(ωνείας) Ἡλ(ιουπόλεως), « Narkisos, fils de Kasios, bouleute d’honneur de la colonie d’Héliopolis ». Le monument sur lequel est gravée l’inscription a été daté du IIe siècle par D. Krencker et Zschietzschmann : J.-P. Rey-Coquais s’est appuyé sur cette datation pour utiliser cette inscription dans le cadre du débat sur la fondation d’Héliopolis. Entretemps, R. KRUMEICH 1998, p. 174, a daté le relief de l’époque antonine tandis qu’un peu plus récemment, K. S. FREYBERGER1999, p. 573 a proposé de dissocier la construction du temple (2emoitié du IIe siècle) de celle de la réalisation du relief (début du IIIesiècle).

285

Ainsi que l’a exprimé FERNOUX2009, p. 140, les empereurs éprouvaient sans doute de grandes réticences à modifier les territoires civiques ; Septime Sévère, en guise de représailles, réduit les grandes cités au rang de komè : la mesure, sévère, n’en est pas moins provisoire. Par ailleurs, sous Septime Sévère le processus de ‘poliadisation’ des principautés limitrophes est achevé, cf. ALIQUOT1999-2003, p. 237-247.

286

GHADBAN1981.

287

Cf. la thèse non publiée de C. Ghadban : Nouvelles inscriptions et topographie de la Béqa’ (GHADBAN

1978).

288

BUTCHER2003, p. 234-236, rappelle la méthode.

289

La carte de BUTCHER 2003, p. 236, intéressante, représente les lieux où des inscriptions latines ont été découvertes dans la Bekaa, mais ne les identifie pas par leur nom.

290

GHADBAN1981 a négligé cet aspect évoqué par BUTCHER2003, p. 235-236 et ALIQUOT2009a, p 55.

291

ici rejoint celle de C. Ghadban du fait qu’en ne retenant finalement que deux divinités (Jupiter héliopolitain et Junon), C. Ghadban fonde pour l’essentiel son argumentation sur des dédicaces en latin292; mais l’historien libanais postule une fondation précoce, augustéenne, de la colonie, ce qui le conduit à envisager une partition du nord de la Békaa entre Berytus et Héliopolis293.

Cinq inscriptions officielles émanant de la col(onia) Iulia Aug(usta) Fel(ix) Hel(iopolis) dessinent un premier territoire, minimal mais assuré, de la colonie d’Héliopolis294. Il s’agit pour l’essentiel de milliaires datant de Caracalla à la Tétrarchie ; ces inscriptions esquissent en même temps le réseau de voies qui reliaient la colonie, à la côte phénicienne d’une part, à Émèse d’autre part295. La découverte d’un milliaire inédit à Khirbet a repoussé la limite septentrionale des attestations officielles d’Héliopolis connues au moment de la rédaction des IGLS 6296. De façon étonnante, des inscriptions portant la signature officielle de la colonie d’Émèse297 viennent relayer celles de la colonie héliopolitaine quelques kilomètres plus au nord : chez Polybe et Strabon, Laodicée du Liban marque pourtant l’entrée dans la Bekaa298. E. Renan a fait grand cas d’un chemin muletier passant par Yammouné sur le Mont Liban dont un milliaire porte la signature de la colonie299. Cette voie semble corroborer l’indication topographique – mais peut-être également religieuse ou symbolique – de Zosime qui situe Aphaca « entre Byblos et

292

À l’exception d’un autel anépigraphe et d’une dédicace en grec à Zeus héliopolitain, C. Ghadban ne tient compte que de la mention de Jupiter héliopolitain en latin, GHADBAN1981, p. 155.

293

L’hypothèse de C. Ghadban selon laquelle Jdita serait aux confins des territoires de Berytus et d’Héliopolis parce que l’on y a trouvé une dédicace à Junon (IGLS 6, 2964) honorée sur l’autre versant du Mont Liban, à Deir el Qalaa, s’appuie sur le postulat que Héliopolis acquiert le statut colonial par Auguste, GHADBAN1981, p. 151.

294

Cf. annexe, fig. 2. Les indications de C. Ghadban ne permettent pas de placer Khirbet (cf. infra) qui se trouve à quelques km au nord de Ras Baalbek. J’ai ajouté, en revanche, Héliopolis à l’ensemble que constituent les attestations de milliaires.

295

En revanche, la route de Damas n’est pas attestée par des documents épigraphiques émanant de la colonie héliopolitaine. Cf. ISAAC1992, p. 294, pour des attestations épigraphiques en dehors du territoire colonial (Wadi Barada).

296

GHADBAN1981, p. 160 s’ajoute à IGLS 6, 2899 (Laboué) et 2900 (Gabboulé).

297

GHADBAN1981, p. 161.

298

Polybe, Histoires, V, 45, 8, et Strabon, XVI, 2, 18. C. GHADBAN 1981, p. 167-168, en déduit la disparition de la cité au cours des deux premiers siècles. J.-P. REY-COQUAIS1981, p. 169-170, envisage un

territoire civique qui ne serait pas d’un seul tenant. L’une et l’autre explications ne sont pas totalement satisfaisantes : d’une part, la présence de Laodicée sur la carte de Peutinger pourrait confirmer son existence à une période tardive, d’autre part, la configuration géographique, restreinte par la présence des milliaires éméséniens laisse peu de solutions pour placer le territoire de la cité. Strabon précise que les sources de l’Oronte, et par conséquent le territoire colonial, confinent au territoire de Laodicée : la question du devenir de la cité mériterait plus ample étude.

299

IGLS 6, 2918. GHADBAN1981, p. 155. D’après SERVAIS-SOYEZ1977, p. 5-6 : « on atteint vite, en amont d’Aphaca, le village d’Aqoura et le passage muletier de Yammouné, le plus facile au dire de Renan, de tous ceux qui traversent le Liban ».

Héliopolis » c’est-à-dire aussi, tout simplement, sur le chemin qui relie les deux cités300. Au sud d’Héliopolis, enfin, un milliaire inédit, évoqué par Ch. Ghadban, a été découvert à Hazzîn301. On ne saurait déduire du milliaire situé à 20 kilomètres au sud-ouest que Karak Nouh échappe à la tutelle héliopolitaine parce que la colonie n’y est pas mentionnée aux côtés de l’empereur et du gouverneur302. La date de 194-195, donnée par la titulature de Septime Sévère, correspond approximativement à la fondation coloniale : comme souvent, les travaux sont réalisés à l’occasion du passage de l’empereur et, dans ce cas précis, la colonie est sur le point d’être fondée.

La carte des inscriptions latines (en exceptant les inscriptions forestières qui témoignent de l’emprise romaine plus que de « romanisation ») confirme que le territoire est devenu un nouvel espace vécu303. Certes, on ne peut leur donner la précision que l’on croit pouvoir attendre de bornes territoriales, mais les inscriptions latines sont suffisamment rares au Proche-Orient pour que leur concentration en certains lieux soit significative. Elles prolongent vers le nord et le sud le territoire minimal dessiné par les inscriptions officielles. Hermel, dont le monument funéraire constitue un repère commode, pourrait ainsi faire encore partie du territoire colonial ; dans l’article qu’il consacre aux « frontières d’Héliopolis-Baalbeck », Ch. Ghadban considère qu’il délimitait le territoire colonial au nord304. La limite méridionale de la diffusion des inscriptions latines, quant à elle, dessine une frontière linguistique qui va de Jdita à Masi en passant par Mo’allaqat- Zahlé. Elle s’inscrit dans le prolongement (imaginaire) de la route Berytus-Héliopolis lorsque celle-ci débouche dans la Bekaa avant de remonter vers Héliopolis. Enfin, la carte des inscriptions latines associe la plaine aux contreforts des deux montagnes qui la bordent tout en laissant incertain le statut des villages de l’intérieur de l’Anti-Liban comme celui de

300

Zosime, Histoire nouvelle I, 58, 1. Cf. annexe, fig. 4. À propos des routes passant par Héliopolis à l’époque impériale, M. Van Ess signale des « reports about two major roads : one running from Damascus

to Byblos via Afqa and one running to the north » (VANESS2008, p. 26).

301

GHADBAN1981, p. 151.

302

IGLS 6, 2958. En revanche, à Yammouné (IGLS 6, 2918) la colonie ajoute en 213 sa signature aux deux

autres protagonistes habituels. REY-COQUAIS1967 souligne ce fait p. 37, et GHADBAN1981, p. 150-151, en

conclut une « différence de statut juridique ».

303

Cf. annexe, fig. 2. Épitaphes et dédicaces villageoises sont les témoignages significatifs de l’usage du latin. ISAAC1992, p. 320, souligne le contraste avec le matériel épigraphique d’Émèse (milliaires et bornes territoriales). GATIER 2005, p. 88, tient compte, en revanche, de ce type de matériel comme indice de la ‘romanisation’ de la haute vallée du Nahr Ibrahim.

304

GHADBAN 1981, p. 160-162. GONZALÈS 1995, p. 251, signale que « les auteurs … nous donnent d’abondants exemples d’éléments construits utilisés comme marqueurs topographiques ». REY-COQUAIS

1981, p. 170, remarque, à juste titre, qu’il « n’y a pas d’indice formel d’une appartenance de Hermel au territoire d’Hélioupolis ». À propos de ce monument, KROPP2010b.

Ham par exemple, et, plus généralement, la limite orientale du territoire colonial305. Le relief – et non d’autres considérations – guide les commentateurs, les découvertes épigraphiques n’étant pas décisives306.

Les inscriptions datées repérées au sud de la limite méridionale des inscriptions latines (Dakoué, Bab Maré et Hammara)307 ne sont pas concluantes lorsqu’il s’agit de reconstituer les territoires civiques ; le début respectif des ères civiques de Berytus et de Sidon est trop proche pour permettre de trancher entre deux datations possibles. De ce fait, le raisonnement des savants a souvent été faussé, la localisation de l’inscription fixant l’ère civique et non l’inverse308. Les travaux de J. Aliquot ont récemment contribué à éclairer cette question, mais ses propres hésitations témoignent de la fragilité de ces sources309. Par ailleurs, il me semble justifié de poser la question de la pertinence qu’il peut y avoir à tenir compte de l’ère de Berytus pour des inscriptions en grec de la Bekaa centrale310, étant donné le hiatus chronologique considérable entre l’attestation de son utilisation à la période hellénistique (sur les monnaies) puis durant l’Antiquité tardive311, et que d’autre part, les inscriptions grecques sont datées selon l’ère séleucide sur le territoire colonial de la Bekaa. Dans l’état actuel de la documentation, les rares inscriptions latines datées, à Berytus ou dans la Bekaa, recourent à la datation consulaire312. L’usage de l’ère de Berytus dans l’arrière-pays paraît donc bien improbable, a fortiori à époque tardive, c’est-à-dire à un moment où la configuration géopolitique a changé avec la fondation d’Héliopolis. Le recours à l’ère séleucide, fréquent dans la Syrie intérieure, est à envisager, mais ne convient pas pour ces trois inscriptions. Seule une inscription de Majdel Anjar, inédite et fragmentaire, pourrait être datée selon l’ère séleucide plutôt que selon une ère civique313.

305

Quelques jalons pour cette partie de la Bekaa : GHADBAN1981, p. 153-4 (deux inscriptions inédites). La signification des inscriptions mentionnant Néron dans l’Antiliban n’est pas claire (IGLS 6, 2968 et 2969). Elles désignent une zone de confins certes, mais quel est le rapport avec le territoire colonial ? Enfin, Y. Hajjar a affirmé, sans argumenter, que le village de Ham était sur le territoire héliopolitain (TRIADEI, 168). Je ne partage pas ce point de vue que Y. Hajjar fonde sur la présence d’une dédicace au Mercure d’Héliopolis, cf p. 141.

306

ALIQUOT2009a, p. 55.

307

Annexe, fig. 3. Dakoué (IGLS 6, 2985), Bab Maré (IGLS 6, 2989) et Hammara (GHADBAN1985, p. 298- 299).

308

Ainsi, à propos de Dakoué (IGLS 6, 2985), J.-P. Rey-Coquais : « les raisons géographiques invitent à penser qu’il s’agirait plutôt de l’ère de Béryte » ou GHADBAN1985, p. 298-299, à propos de Hammara « on

peut difficilement admettre toutefois que ce territoire [i.e. le territoire de Sidon] ait pu … englober à l’époque romaine la Beqa’ centrale … ».

309

Cf. en particulier ALIQUOT2009a, p. 52-58, pour un panorama des territoires civiques correspondant au Liban actuel et la carte fig. 17, p. 57. Il figure une restitution, en partie hypothétique me semble-t-il, des territoires.

310

Cf. BUTCHER2003, p. 236, et ALIQUOT2009a, p. 52-53.

311

SEYRIG1962, p. 193.

312

À Karak Nouh dans la Bekaa : IGLS 6, 2953. À Berytus également : AE 1947, 143.

313

Le contenu de l’inscription n’est pas un obstacle à une datation haute – époque hellénistique – ; encore faut-il rappeler l’excessive rareté des inscriptions pré-romaines dans la Bekaa314. À cette exception près (qu’il reste à confirmer), il semble donc très vraisemblable que les localités dans lesquelles ces inscriptions ont été découvertes ont fini par relever de la tutelle sidonienne315.

A.H.M. Jones a proposé de remonter à Auguste, c’est-à-dire à la mort de Zénodore, l’agrandissement territorial de Sidon vers le Hermon316. Séduisante, l’hypothèse n’est cependant pas vérifiable et s’accorde mal avec le témoignage de Dion Cassius selon lequel Sidon et Tyr auraient été punies par Auguste317. En évoquant une querelle de frontière entre Sidon et Damas durant le règne de Tibère, Josèphe assure en tout cas qu’au plus tard en 37 de notre ère, le territoire de Sidon s’étendait loin dans l’arrière-pays318. La principauté de Chalcis, dont nous ne connaissons pas le sort dans les années qui suivent la mort de Zénodore, est possession hérodienne entre 41 et 53, date à laquelle elle est remise à Claude319. Le scénario le plus probable est ensuite celui de l’intégration de Chalcis à un territoire civique, celui de Berytus ou de Sidon, et non sa transformation en domaine impérial comme le proposait A.H.M. Jones320. Au moment où Claude fonde la deuxième

314

Cf. GHADBAN 1985, p. 300-301. ALIQUOT1999-2003, p. 234-235, conteste la restitution du chiffre de la dizaine de la date. ALIQUOT2009a, p. 309, ne reprend pas ses précédentes conclusions et exclut le recours à l’ère de Berytus ; l’argument de la présence de l’ethnique sidonien pour exclure l’ère sidonienne n’est pas dirimant au vu de l’inscription qui signale un vétéran héliopolitain à Baalbek (cf. supra).

315

Elles viendraient s’ajouter à la série d’inscriptions datées de l’ère sidonienne du Mont Hermon. Cf. notamment Deir el Aachaier (IGLS 11, 4) et Kfar Qouq (IGLS 11, 5) ainsi que la carte p. 17 dans les IGLS 11.

316

A.H.M. JONES1937, p. 287.

317

Dion Cassius, Histoire romaine, LIV, 7, 6.

318

Josèphe, AJ, XVIII, 6, 3 (153). À propos des litiges territoriaux entre cités, cf. BURTON 2000. Pour la « frontière » entre Sidon et Damas, voir désormais la carte de J. ALIQUOT 2008b, p. 17, qui localise les inscriptions datées de l'ère de Sidon. Même si elles sont toutes postérieures au règne de Tibère, elles donnent une idée de l'amplitude de la nouvelle chôra sidonienne. Par ailleurs, J. ALIQUOT2008b, p. 18, estime que les Damascènes ont récupéré la partie occidentale de l'Hermon à la mort de Philippe, fils d'Hérode, en 34 après notre ère.

319

J.-P. Rey-Coquais s’est appuyé sur ce fait pour dater la fondation d’Héliopolis du règne de Claude (REY- COQUAIS1978, p. 52-53).

320

JONES 1940, p. 72-73. Concilier la persistance de cette principauté, nécessairement résiduelle, avec l’extension de Sidon et Berytus au début du Iersiècle de notre ère conduit à délimiter de façon approximative une région autour de Aanjar et Majdel Aanjar. L’incertitude qui demeure concernant l’inscription de Majdel Aanjar datée de l’ère séleucide ou de Sidon est donc d’autant plus dommageable que récemment J. Aliquot a proposé d’y voir l’emplacement de l’ancienne Chalcis (ALIQUOT 1999-2003, p. 225-231). Sans fouilles archéologiques et en l’absence de témoignage épigraphique significatif, il est toutefois difficile d’avancer véritablement sur ce terrain. Bien qu’ayant changé d’avis concernant l’inscription de Majdel Aanjar (il exclut désormais, à juste titre me semble-t-il, l’ère de Berytus), J. Aliquot pense que la solution la plus probable est que les territoires de la principauté de Chalcis soient revenus à la colonie. L’inscription de Majdel Aanjar ne permet pas de trancher, mais compte tenu des remarques ci-dessus concernant l’ambiance ‘culturelle’ de l’épigraphie locale, Sidon me semble plus vraisemblable. Cela revient aussi à séparer Héliopolis de Chalcis, ce qui a pu être un des soucis des autorités romaines pour achever de démanteler symboliquement la principauté.

colonie romaine de Syrie, Ptolémaïs, il semble donc que la plaine de la Bekaa échappe désormais en totalité aux principautés clientes321. Dès cette époque, elle est administrée par deux cités de la côte phénicienne et entre de cette manière dans la province de Syrie. C’est en effet la dilatation des territoires civiques, plus que la seule fondation coloniale, qui assure, à partir des Julio-Claudiens, le contrôle de la Bekaa ou du moins sa gestion administrative. La proximité de ces cités côtières a été assurément un facteur décisif du passage à l’administration directe.

321

Peut-être faut-il replacer dans ce contexte les inscriptions à Néron (IGLS 6, 2968 et 2969). Étant donné leur laconisme, il est – malheureusement – possible de faire de nombreuses hypothèses : arbitrage impérial, domaine impérial, poste frontière ?