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A. Entre héritage augustéen et patronage sévérien : la fondation d’Héliopolis

3. Quelle fondation pour Héliopolis ?

Le débat sur la fondation d’Héliopolis renvoie en partie à l’ambivalence des attestations dont on voit bien qu'elle n'est pas uniquement le résultat du hasard des témoignages qui ont été conservés. Il reflète aussi la singularité d'une colonie issue du remodelage d'un vieux territoire colonial ; cette singularité explique que, pour les Héliopolitains, leur cité est probablement au moins autant augustéenne que sévérienne, même si le juriste, par souci d'exactitude, l'associe à son fondateur, Septime Sévère. Le choix de la dénomination coloniale, comme de l’iconographie des premières émissions monétaires, informe sur l’image que la cité a voulu donner d’elle-même. Les autorités coloniales se montrent désireuses de commémorer l’installation de vétérans sous Auguste plus que de célébrer l’autonomie, récemment acquise213. En associant très étroitement Héliopolis à Septime Sévère, Ulpien ne transmet assurément pas la même image de la colonie d’Héliopolis ; cependant, le passage qu’il lui consacre trahit peut-être le caractère singulier de l’acquisition du statut colonial.

Dans le contexte local de la rivalité entre cités voisines, la titulature a une fonction clairement médiatique. L’inscription de Tyr, déjà évoquée, fait étalage de l’amor patriae des autorités civiques en donnant une version particulièrement étoffée214et, gageons le, en partie usurpée, de la dénomination coloniale, tout en saluant l’un de ses plus illustres représentants, le juriste Ulpien. On connaît bien, par le témoignage d’Hérodien, l’opposition entre Berytus et Tyr qui s’est exprimée par leurs prises de position antagonistes lors de l’affrontement entre Pescennius Niger et Septime Sévère. La présence des épithètes felix augusta dans la titulature tyrienne montre que la dénomination bérytaine a pu constituer localement un modèle prestigieux et témoigne sans doute de l’esprit de compétition (l’aemulatio) qui animait les relations entre les deux cités215, désormais toutes deux colonies. On ne connaît pas pour Héliopolis de rivalité déclarée avec l’une ou l’autre des cités voisines. Les sources qui révèlent les antagonismes entre cités focalisent notre attention sur l’arrivée au pouvoir de Septime Sévère, c’est-à-dire un moment où Héliopolis

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Ce n’est que sous Philippe l’Arabe que l’on voit apparaître le motif bien connu du fondateur, peut-être en hommage aux fondations coloniales de cet empereur au Proche-Orient. Dans le cas d’Héliopolis, une indication sur son statut est toutefois donnée par la figure du Marsyas qui apparaît dès Septime Sévère. Par ailleurs, dès les premières émissions, la colonie rappelle ses origines militaires, pourtant lointaines : c’est une manière d’afficher l’ancienneté de la déduction.

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Même pour une inscription publique, il n’est pas nécessaire de recourir à la titulature officielle. C’est un choix à mettre en relation avec le contenu même de l’inscription, qui relève d’une forme ‘d’autocélébration’.

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n’existe pas en tant que cité216. Plus généralement, selon M. Sartre, Héliopolis, en gardant un nom augustéen, cherche à « se prévaloir d'une très longue ancienneté au moment où de nombreuses cités de Syrie, d'Arabie, de Mésopotamie, obtenaient à leur tour le statut de colonie »217. Cette ancienneté, c’est ici l’ancienneté de la présence romaine.

La référence à Auguste renvoie également au prestige attaché au nom du fondateur de l'Empire. Les sources, en particulier littéraires, insistent en continu, et tardivement encore, sur les liens entre Berytus et Auguste. Au risque de se répéter dans la phrase qu’il lui consacre, Ulpien souligne par deux fois que la cité est une « colonie augustéenne »218. En faisant allusion à un « discours d’Hadrien », il se fait le relais d’une tradition apparemment bien établie, même si nous ne savons malheureusement rien de ce discours. La filiation augustéenne semble en tout cas être devenue presque consubstantielle au statut colonial lui-même219, comme si l’on ne pouvait pas évoquer le statut colonial de Berytus sans donner, du même mouvement, le nom de son fondateur. Un graffito en grec rappelait aussi cette prestigieuse origine : « que soit commémorée Berytus, cité d’Auguste »220. Et lorsque Jérôme se contente de la signaler comme colonia Romana, on peut tout de même penser que son statut de ‘colonie augustéenne’ en est à l’origine, puisque c’est la seule colonie citée dont il prend la peine de rappeler le statut, ainsi que l’a souligné F. Millar221. Au Ve siècle encore, Nonnos de Panopolis célébrait la fondation ‘augustéenne’ de Berytus222. Dans la course aux honneurs qui met les cités proche-orientales en compétition, nul doute que le titre de ‘colonie augustéenne’ est susceptible de conférer aux cités qui le détiennent une dignitas supérieure dont Héliopolis aurait eu toutes les raisons de vouloir se réclamer223.

L’extrait qu’Ulpien consacre à la colonie héliopolitaine donne une autre image que celle, officielle et médiatique, diffusée par la titulature et l’imagerie monétaire. Il a été apprécié diversement par les commentateurs. Pour F. Vittinghoff, il s’agit d’un passage un

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De ce point de vue, il est abusif d’écrire qu’Héliopolis a pris le parti de Septime Sévère durant la guerre civile et d’expliquer ainsi sa ‘promotion’ au rang de colonie romaine. Les sources montrent toutefois que la course aux honneurs civiques se prolonge à époque tardive pour Tyr et Berytus.

217

SARTRE2001a, p. 646, n. 46.

218

Digeste, 50, 15, 1.

219

Voir MILLAR1990, p. 57, pour la persistance de l’identité coloniale de Berytus.

220

J. & L. ROBERT, BE 1966, n° 319 : Μνησθῇ Βηρυτὸς ἡ Αὐγούστου. Citée aussi par J.-P. REY-COQUAIS

1991, p. 149.

221

Jérôme, Ep. 108, 8. MILLAR1990, p. 57.

222

Nonnos, Dion., chant XLI, vers 389-398.

223

HUGONIOT2000, p. 129, remarque que « au temps de Saint Augustin, à la fin du IVesiècle, une vieille colonie comme Simitthus revendiquait toujours son titre ».

peu obscur (« diese etwas dunkle Ulpianstelle »224). Il est suivi notamment par H. Seyrig dont l’expertise est d’autant plus intéressante que, contrairement à F. Vittinghoff, il ne cherche pas à orienter le débat, ce que révèle, je crois, sa formulation : « mais quoiqu’on fasse Ulpien s’est exprimé avec obscurité »225: H. Seyrig a conscience de l’impact de la question territoriale pour comprendre le culte héliopolitain et c’est en historien des religions qu’il aborde la question. Sans le dire, F. Millar répond à ces réticences par un catégorique : « the fact is stated with perfect clarity by Ulpian … »226. Ces divergences reflètent bien sûr les prises de position très tranchées de F. Vittinghoff et de F. Millar quant à la question de la fondation ; mais elles attirent aussi, à juste titre je pense, notre attention sur la formulation insolite de ce passage. Il n’est donc pas inutile de s’arrêter sur ce paragraphe du Digeste, beaucoup moins laconique que celui que Paulus consacre à la même question227. Le propos d’Ulpien n’est pas de signaler l’acquisition du statut colonial, mais il ne se prive pas de le faire à l’occasion ; il s’agit manifestement pour lui de brosser également un tableau des colonies romaines de l’Orient :

Sciendum est esse quasdam colonias iuris Italici, ut est in Syria Phoenice splendidissima Tyriorum colonia, unde mihi origo est, nobilis regionibus, serie saeculorum antiquissima, armipotens, foederis quod cum Romanis percussit tenecissima : huic enim divus Severus et imperator noster ob egregiam in rem publicam imperiumque Romanum insignem fidem ius Italicum dedit. 1. Sed Berytensis colonia in eadem provincia Augusti beneficiis gratiosa et (ut divus Hadrianus in quadam oratione ait) Augustana colonia, quae ius Italicum habet. 2. Est et Heliupolitana, quae a divo Severo per belli civilis occasionem Italicae coloniae rem publicam accepit. 3. Est et Laodicena colonia in Syria Coele, cui divus Severus ius Italicum ob belli civilis merita concessit. Ptolemaeensium enim colonia, quae inter Phoenicem et Palaestinam sita est, nihil praeter nomen coloniae habet. 4. Sed et Emisanae civitati Phoenices imperator noster ius coloniae dedit iurisque Italici eam fecit. 5. Est et Palmyrena civitas in provincia Phoenice prope barbaras gentes et nationes collocata. 6. In Palaestina duae fuerunt coloniae, Caesariensis et Aelia Capitolina, sed neutra ius Italicum habet. 7. Divus quoque Severus in Sebastenam civitatem coloniam deduxit. 8. In Dacia quoque Zernensium colonia a divo Traiano deducta iuris Italici est. 9. Zarmizegetusa quoque eiusdem iuris est : item Napocensis colonia et Apulensis et Patavissessium vicu, qui a divo Severo ius coloniae impetravit. 10. Est et in Bithynia Apamena et in Ponto Sinopensis. 11. Est in Cilicia Selinus et Traianopolis228.

224

VITTINGHOFF1952, p. 135.

225

SEYRIG1954, p. 93, n. 1, qui conclut : « la question paraît donc encore incertaine ».

226

MILLAR 1990, p. 19. Cf. aussi SARTRE 2001b, p. 115, n. 39 : « je crois qu’il n’y a pas à discuter l’affirmation clairement affirmée d’Ulpien … ».

227

Paulus, Digeste 50, 15, 8, 3-6.

228

Digeste, 50, 15, 1. Trad. SARTRE 2001a, p. 649 : jusqu’à 7 à l’exception de 4 et de 8 à 11, trad. P. Le Roux dans LORIOT& BADEL(éd.) 1993, p. 319-320.

On doit savoir que certaines colonies possèdent le ius italicum. L’une d’elles est la très illustre colonie du peuple de Tyr en Syrie-Phénicie, dont je suis natif. Elle était remarquable pour ses possessions territoriales ; le passage des siècles lui a donné une extrême antiquité ; elle était puissante en temps de guerre et était très déterminée à conserver les traités conclus avec les Romains ; car le divin Sévère et notre empereur actuel lui ont accordé le ius italicum pour sa loyauté éminemment remarquable envers l’État et l’empire romain. 1. Mais la colonie de Berytus aussi, dans la même province, est l’une de celles que les faveurs manifestées par Auguste ont rendu influente et comme l’appelle le divin Hadrien dans un discours, « Augusta » ; elle possède le ius italicum. 2. Il y a aussi la colonie d’Héliopolis qui reçut la constitution d’une colonie italienne du divin Sévère comme résultat de la guerre civile. 3. Il y a aussi la colonie de Laodicée de Koilè-Syrie, à laquelle le divin Sévère accorda le ius italicum. 4. Mais notre empereur a donné aussi à la cité émésénienne de Phénicie le droit colonial et lui a conféré le droit italique. 5. Il y a aussi la cité de Palmyre dans la province de Phénicie, située près des peuples et tribus barbares. 6. En Palestine, il y a eut deux colonies, Césarée et Aelia Capitolina, mais ni l’une ni l’autre n’ont le ius italicum. 7. C’est aussi le divin Sévère qui a fondé une colonie dans la cité de Sébastè. 8. En Dacie, également, la colonie de Zerna, déduite par le divin Trajan, est de droit italique. 9. Zarmizegetusa est aussi du même droit : de même la colonie de Napoca et celle d’Apulum et le vicus de Patavissum qui a obtenu le statut colonial du divin Sévère. Il y a encore Apamée en Bithynie et dans le Pont Sinope. En Cilicie, ce sont Sélinonte et Traianopolis.

Ulpien y révèle ses attaches personnelles autant que sa grande connaissance du Levant. Il est bien connu que le thème du ius italicum lui a fourni un prétexte pour présenter sous un jour très favorable Tyr, sa ville d’origine. M. Christol a montré que le passage qui lui est consacré reprend à grands traits les thèmes traditionnellement abordés dans un discours d’éloge229. Après Tyr, Berytus mérite également, en tant que colonie augustéenne, un traitement particulier. Encore le discours est-il très probablement teinté d’ambivalence230. Les deux colonies, rivales, sont néanmoins mises en exergue comme un préambule à l’énumération qui suit (même si de facto Berytus entame cet inventaire, la formulation et le contenu de la phrase rapprochent le passage qui lui est consacré de celui sur Tyr). Celle-ci est beaucoup plus codifiée : la syntaxe, répétitive, et le contenu, moins développé, sans véritable digression, l’apparentent davantage à la liste de colonies disposant du droit italique que l’on s’attend à trouver dans un texte juridique. Les phrases sont en général construites sur une structure binaire : dans une première partie, la cité est désignée par un adjectif, dérivé d’un topique, et un statut est précisé par les substantifs de colonia ou de civitas, tandis que dans un deuxième temps, l’auteur cite le bienfait impérial, ou signale son absence. La façon dont la cité est présentée dans la première partie de la phrase conditionne l’information délivrée ensuite. Si elle est mentionnée en tant que civitas

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CHRISTOL2003, p. 173-177.

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comme Émèse, le deuxième membre de la phrase renseigne aussi sur l’acquisition du statut colonial. Et c’est, semble-t-il, parce que Laodicée est présentée comme une ‘colonie’ que l’auteur se contente d’évoquer l’octroi du droit italique.

Si l’on en vient maintenant à la phrase consacrée à Héliopolis, on remarque plusieurs anomalies qui justifient, à mon sens, la réflexion de H. Seyrig et qui expliquent que la formulation d’Ulpien ne permet pas d’emblée d’affirmer qu’il s’agit là d’une colonie fondée par Septime Sévère. « L’obscurité » de l’énonciation, évoquée par le grand savant, me semble résider dans le fait que l’expression par laquelle Ulpien signale qu’Héliopolis jouit du droit italique, ne dissocie pas la colonie ou la colonisation (s’agit-il ici de la désignation d’Héliopolis ou faut-il considérer qu’Héliopolis est devenue du même mouvement colonie de droit italique ?) du privilège du ius italicum : elle est Italica colonia. S’ajoute à ce premier écart l’emploi, au demeurant peu courant dans le Digeste, du terme respublica. S’il leur arrive d’y recourir, les rédacteurs du Digeste lui préfèrent néanmoins celui de civitas pour désigner une collectivité locale231. Quelques lignes auparavant, c’est en qualifiant Rome de respublica qu’Ulpien a distingué la cité-Etat de l’empire. Dans la formule quelque peu grandiloquente de Italicae coloniae respublica, le terme se comprend comme désignant la « forme de gouvernement » d’une colonie italique (rendu par le mot « constitution » ou « statut » dans les traductions). L’autre acception possible du terme, celle de ‘communauté de citoyens’, la rendrait par trop redondante.

En regard, Héliopolis est désignée par une nomenclature réduite à un simple adjectif topique. Les commentateurs ajoutent donc le terme de colonia pour être en mesure d’éclairer le sens de la phrase232. P. Le Roux est le seul, à ma connaissance, à proposer une restitution alternative en traduisant par la « cité d’Héliopolis »233. Par mimétisme avec les autres énonciations, l’allusion à la ‘colonie’ italique inciterait à suivre cette dernière proposition, mais l’on sait, par ailleurs, qu’Héliopolis n’était pas une cité au moment de la fondation coloniale. Cependant, en qualifiant Héliopolis de ‘colonie’, on risque d’introduire une répétition qui n’apparaît nulle part ailleurs dans le texte. Il reste néanmoins une troisième voie à explorer : cette absence d’indication, parce qu’elle concerne précisément Héliopolis, pourrait être signifiante. Pour expliquer l’apparition de l’ethnique héliopolitain, dans certaines inscriptions du IIe siècle, F. Millar a avancé

231

DARDAINE1993, p. 54-55.

232

VITTINGHOFF1952, p. 136, n. 2 ; MILLAR1990, p. 19 ; SARTRE2001a, p. 649.

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l’hypothèse de l’existence d’un pagus sur le modèle du pagus augustus de Niha234. Si tel avait été le cas, remarquons qu’Ulpien aurait pu signaler cette particularité, comme il le fait, quelques lignes plus loin, pour le vicus de Patavissa qui sollicite le statut de colonie romaine. Il semble que l’absence de tout substantif exprime la situation particulière d’Héliopolis au moment de la fondation : ce n’est ni un vicus, ou même un pagus, ni une cité. À vouloir restituer le terme de colonia ou de civitas, l’écueil est peut-être de perdre cette définition en creux ou in absentia. Au risque de surinterpréter le texte, on peut donc penser qu’Ulpien rend compte d’une situation particulière : l’acquisition du statut colonial ne correspond pas, dans le cas d’Héliopolis, à la promotion d’une collectivité locale.

La fondation d’Héliopolis a-t-elle pu poser pour autant un problème du point de vue juridique ? Le texte d’Ulpien révèle-t-il la difficulté, pour un juriste, à formuler la mise en place d’une colonie de droit italique à Héliopolis ? Remarquons que le nom de la colonie, en colportant la fiction d’une fondation augustéenne, voire en jouant sur les deux tableaux, permettait de contourner ce problème. La question qui se pose est bien celle des modalités de la fondation. La déduction d’une colonie est un acte juridique fondé par le rituel religieux hérité de l’époque républicaine par lequel toute colonie est une création ex-nihilo, même si, comme Berytus, elle est installée sur le site d’une cité pluriséculaire. La persistance du motif canonique de la fondation sur des émissions monétaires tardives atteste d’ailleurs que cette représentation ou fiction juridique a perduré, même pour les colonies dites honoraires ou honorifiques. Pour Héliopolis, Ulpien, on l’a vu, souligne particulièrement le moment sévérien : s’il n’y a donc pas lieu de chercher une formule juridique alternative à la deductio, sur le plan formel, la reprise à l’identique des marqueurs augustéens (nom, légions fondatrices, tribu) – leur reconduction pourrait-on dire – suggère que la fondation d’Héliopolis a été perçue, sinon conçue, comme le dédoublement d’une colonie augustéenne. Les citoyens, jusque là bérytains, relevaient déjà du statut colonial. De ce point de vue, il est tout à fait normal qu’Héliopolis soit mise sur un pied d’égalité avec Berytus en devenant une colonie romaine de droit italique. Rappelons, à ce propos, que Septime Sévère n’a pas dispensé aussi généreusement le droit italique qu’il a distribué le titre de colonie. L’apparition du Marsyas ne sanctionne pas l’obtention du ius italicum,

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MILLAR1990, p.19 (Heliopolis was perhaps also a ‘pagus’). Cf aussi BUTCHER2003, p. 116 : « The most

satisfactory solution … is that Heliopolis … formed a pagus, a country district of Roman colonists … »,

quelques années après la fondation coloniale235. Les remarques précédentes nous incitent à penser qu’Héliopolis, à l’image de la formule ‘englobante’ d’Ulpien, est devenue d’emblée une ‘colonie de droit italique’. Il est intéressant, en revanche, de constater que, en lieu et place du motif du fondateur, allusion plus concrète à la fondation coloniale, le thème de Marsyas un peu moins fréquent du monnayage colonial assume à Héliopolis la représentation de l’autonomie civique dans les premiers temps du monnayage colonial.

L’examen – que j’ai voulu aussi exhaustif que possible – des arguments mobilisés à l’occasion du débat sur la fondation d’Héliopolis montre donc qu’aucun d’entre eux, pris isolément, ne constitue une preuve dirimante qui viendrait appuyer l’une ou l’autre thèse. Si l’on accepte l’hypothèse avancée pour les ethniques héliopolitains du IIe siècle, il montre également qu’en aucun cas les tenants d’une fondation précoce n’ont d’argument décisif. On ne peut, dès lors, minimiser le poids des sources littéraires (en particulier le texte de Strabon à propos de Berytus et le silence de Pline quant à une éventuelle colonie héliopolitaine) et juridiques (le témoignage d’Ulpien), qui, sans être parfaitement explicites, finissent par constituer un faisceau de preuves très convaincant – auquel on peut adjoindre les témoignages épigraphiques et monétaires, tardifs – pour étayer la thèse de la fondation par Septime Sévère, validée depuis peu par de nombreux historiens. Jusque là, les positions tranchées des uns et des autres trahissaient les ambiguïtés, bien réelles, des sources et rendaient compte, indirectement, d’une situation sans doute exceptionnelle dans l’Empire. Ces ambiguïtés, nous semble-t-il, remontent aux choix effectués à la période sévérienne ; ceux-ci, pour des raisons qui se laissent en partie deviner, s’attachent à souligner les continuités, plus que la rupture, entre la fondation augustéenne et l’intervention de Septime Sévère.

235

Cf. MILLAR1990, p. 15, et GUERBER2009, p. 407-408. Contra SAWAYA1998, qui propose la date de 198 pour l’obtention du ius italicum, c’est-à-dire la date à laquelle la colonie a commencé à représenter la figure du Marsyas sur ses monnaies.

B. « Et il en reporta ainsi la frontière jusqu’aux sources de

l’Oronte

236

… »

Sous Auguste, le choix a donc été fait d’un vaste territoire axé sur deux espaces géographiquement très différents et sans passé commun237: les études sur la colonie bérytaine doivent désormais prendre en considération un territoire qui s’étend de part et d’autre du Mont Liban, un territoire dont la relative homogénéité sur le plan de l’épigraphie confirme qu’il est devenu un nouvel « espace vécu ». Cette conclusion invite