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B. L’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs

5. Le patrimoine administratif

Les nouveaux alinéas 4, 5 et 6 de l’art. 839 CC prévoient une responsabilité de la communauté (Etat, cantons, communes, établissements publics, etc., ci-après l’Etat) selon les dispositions sur le cautionnement simple (art. 492 ss CO), lors-que des travaux sont effectuées sur un immeuble faisant partie du patrimoine administratif de l’Etat et où des créances restent impayées.

Le législateur distingue deux cas : celui, prévu par l’alinéa 4, de l’immeuble qui fait incontestablement partie du patrimoine administratif, de celui, prévu aux alinéas 5 et 6, dans lequelle l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est contestée. Les conséquences juridiques ne sont évidemment pas les mêmes selon que l’on se trouve dans la première ou dans la deuxième hypothèse. Il existe toutefois une base commune aux deux53.

b) Base commune aux trois alinéas

En premier lieu, l’immeuble en question doit faire partie du patrimoine admi-nistratif, soit que ce point est incontesté depuis le début (al. 4), soit que cela soit confirmé par la suite (al. 5 et 6)54.

Ensuite, il faut que la dette du propriétaire (étatique) de l’immeuble ne ré-sulte pas de ses obligations contractuelles (nouveaux alinéas 4 et 6). Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que les entrepreneurs qui sont en relation con-tractuelle avec l’Etat n’ont aucune prétention contre lui découlant du caution-nement simple. En effet, une telle responsabilité étatique n’est pas nécessaire

51 FF 2009, p. 7951.

52 FF 2009, p. 7951 ; REETZ,p. 125.

53 REETZ,p. 125 s.

54 REETZ, p. 126.

du fait de l’existence de relations contractuelles entre l’entrepreneur et l’Etat, puisque dans ce cas l’entrepreneur peut faire valoir ses prétentions contrac-tuelles directement contre l’Etat et qu’une insolvabilité de ce dernier n’est pas à craindre55.

Cela signifie en revanche que lorsque l’entrepreneur n’est pas en relation contractuelle avec l’Etat, ce dernier répondra toujours envers lui en vertu des dispositions du cautionnement simple. Il sied toutefois de préciser que les sous-traitants ne sont pas les seuls à pouvoir faire valoir les prétentions décou-lant du cautionnement simple contre l’Etat, mais que les entrepreneurs géné-raux mandatés directement par un locataire ou un fermier d’un patrimoine administratif ont aussi cette possibilité. De tels entrepreneurs uniques, manda-tés par des locataires ou fermiers de patrimoine administratif disposent donc, dans des conditions données, de droits découlant du cautionnement simple contre l’Etat aussi lorsque le partenaire contractuel n’est pas l’Etat mais un tiers (locataire ou fermier de patrimoine administratif)56. Ainsi, la chaîne des possibles et potentiels entrepreneurs qui pourraient bénéficier de prétentions à l’égard de l’Etat est infinie et presque imprévisible pour l’Etat57.

En dernier lieu, l’Etat ne répond en vertu des règles sur le cautionnement simple (art. 492 ss CO) que pour des créances qui ont été reconnues ou consta-tées par jugement (alinéas 4 et 6).

La responsabilité de l’Etat en vertu des dispositions sur le cautionnement simple suppose que l’Etat ait reconnu lui-même la créance de rémunération de l’ouvrage ; au contraire, la seule reconnaissance par le débiteur lui-même ne peut pas créer la responsabilité légale de l’Etat. Avec une telle reconnaissance, l’Etat ne se rend cependant pas lui-même débiteur de la créance du sous-traitant, mais ne fait que reconnaître que cette créance – qui existe contre le débiteur tiers – existe aussi d’un point de vue étatique. C’est seulement une fois que l’Etat fait une telle « déclaration de reconnaissance » qu’il répond en-vers le sous-traitant en vertu des règles sur le cautionnement simple pour la créance en paiement qui existe contre le tiers débiteur. En l’absence de cette reconnaissance, le sous-traitant prétendument ayant droit devra entamer un procès contre l’Etat, lors duquel il devra demander la constatation de l’existence de sa créance en paiement contre le tiers débiteur de cette créance, ainsi que de son montant. Lors de ce procès, l’Etat pourra aussi élever des ex-ceptions ou objections contre le sous-traitant, qui n’auraient pas été soulevées par le débiteur effectif ou qu’il n’aurait pas fait valoir, et l’Etat n’est pas lié par des promesses ou garanties que le débiteur effectif aurait faites au

55 CARRON/FELLEY, pp. 27 ss.

56 Pour la suite de cet article, nous nous référons uniquement au sous-traitant de façon à en alléger la lecture, mais ce qui y est dit est valable également pour les autres ayants droit.

57 REETZ,p. 126.

traitant. À défaut d’une base juridique, l’Etat n’a pas à se laisser imputer ou opposer un comportement du débiteur58.

c) L’appartenance au patrimoine administratif

Le fait de savoir si un immeuble fait « incontestablement partie du patrimoine administratif » ou non doit faire l’objet d’une analyse qui se base sur les cir-constances concrètes du cas d’espèce. Conformément aux règles générales, aussi longtemps que ni l’Etat, ni le sous-entrepreneur, ne fait de déclaration contraire ou correspondante, il faut partir du principe que l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est contestée au sens de l’art. 839 al. 5 CC. Pour que l’art. 839 al. 4 CC s’applique, l’Etat doit expliquer au sous-traitant que l’immeuble fait partie de son patrimoine administratif, et cela avant une éventuelle inscription d’une hypothèque légale des artisans et en-trepreneurs. Ensuite, pour que l’immeuble puisse être qualifié de manière adéquate comme faisant partie du patrimoine administratif, il est nécessaire que l’entrepreneur, de son côté, accepte une « déclaration d’appartenance » de la part de l’Etat. Cette acceptation du sous-traitant, qui entraîne pour lui la perte de son droit à l’inscription d’une hypothèque légale, ne peut avoir lieu tacitement. Si l’entrepreneur n’accepte pas ou ne conteste pas de manière ex-plicite cette « déclaration d’appartenance » de la part de l’Etat, il sera considéré que l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est contestée.

Dès lors, l’art. 839 al. 4 CC ne s’appliquera pas. Le sous-entrepreneur est donc libre, cas échéant, de requérir une inscription provisoire d’hypothèque légale au registre foncier dans le délai de quatre mois, conformément à l’alinéa 5. En effet, dans le cas où il n’y a ni « déclaration d’appartenance » de la part de l’Etat, ni acceptation de celle-ci de la part du sous-traitant (voire les deux), les alinéas 5 et 6 sont applicables et le délai ne peut être sauvegardé que par une inscription provisoire59.

d) L’alinéa 4

« Si l’immeuble fait incontestablement partie du patrimoine administratif et que la dette ne résulte pas de ses obligations contractuelles, le propriétaire ré-pond envers les artisans et les entrepreneurs des créances reconnues ou cons-tatées par jugement, conformément aux règles sur le cautionnement simple, pour autant que les créanciers aient fait valoir leur créance par écrit au plus tard dans les quatre mois qui suivent l’achèvement des travaux en se prévalant du cautionnement légal60 ».

58 REETZ,pp. 126 s.

59 REETZ,p. 129.

60 FF 2009, p. 7951.

Cet alinéa vise l’hypothèse dans laquelle l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif n’est pas contestée. Deux conditions s’ajoutent aux trois éléments analysés ci-dessus.

En premier lieu, le sous-traitant doit faire valoir la créance contre l’Etat, même si cela ne ressort pas expressément du texte légal, en indiquant la hau-teur de la créance, y inclus un éventuel intérêt courant. Il résulte de cela qu’une augmentation ultérieure du montant de la créance est exclue. En d’autres termes, ce qui n’est pas invoqué dans le délai de quatre mois ne peut plus l’être ensuite61.

Enfin, la déclaration doit revêtir la forme écrite qualifiée, savoir selon la loi

« par écrit en se prévalant du cautionnement légal ». Le sous-traitant doit res-pecter la forme écrite conformément aux art. 12 ss CO. En ce qui concerne le cautionnement légal, il suffit – mais c’est indispensable – que le sous-entrepreneur fasse usage du terme « cautionnement » dans sa déclaration62. e) Les alinéas 5 et 6

L’hypothèse visée ici est celle dans laquelle l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est contestée.

i. L’alinéa 5

« Si l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est contestée, l’artisan ou l’entrepreneur peut requérir une inscription provisoire de son droit de gage au registre foncier au plus tard dans les quatre mois qui suivent l’achèvement des travaux63 ».

Dans un tel cas, le sous-entrepreneur a la possibilité de demander, dans un délai de quatre mois dès l’achèvement des travaux, l’inscription provisoire d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. Il s’agit là d’une codifi-cation de la pratique des tribunaux64, selon laquelle, en cas de doute, les hypo-thèques d’artisans ou d’entrepreneurs sont inscrites provisoirement. Ainsi, lorsqu’existe un litige entre les parties quant au fait de savoir si l’immeuble dont il est question fait partie du patrimoine administratif, le tribunal ne doit pas refuser l’inscription provisoire au motif qu’il est possible que l’immeuble concerné fasse partie du patrimoine administratif. Au contraire, au stade de la procédure d’inscription provisoire, une hypothèque légale doit toujours être

61 REETZ,p. 128.

62 REETZ,pp. 128 s.

63 FF 2009, p. 7951.

64 ATF 5P.291/2002.

inscrite si seul l’Etat revendique l’appartenance au patrimoine administratif ou l’objecte.

Ainsi, lorsque ni l’Etat, ni le sous-entrepreneur, n’a fait de déclaration con-cernant l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif, celle-ci doit toujours être considérée comme litigieuse. Dans le doute, le sous-entrepreneur doit sauvegarder le délai de quatre mois en procédant à une inscription provi-soire. Il est exclu d’augmenter par la suite la somme constatée par l’inscription provisoire, et ce qui n’a pas été inscrit dans le délai de quatre mois est « per-du » et ne peut plus être demandé par le sous-entrepreneur plus tard. L’Etat ne répond pas de ce qui n’a pas fait l’objet d’une inscription provisoire. Si, après l’inscription, l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif de-vient incontestée, le délai de quatre mois est dans tous les cas sauvegardé par l’inscription provisoire. Il n’est pas indispensable que le sous-traitant, dans le cadre de l’inscription provisoire du gage envers l’Etat, ait revendiqué en plus la créance contre le tiers débiteur par écrit et avec l’indication du cautionne-ment légal, car selon le concept du législateur, quand il y a contestation sur l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif, l’inscription provi-soire remplace la revendication écrite de la créance avec indication du cau-tionnement légal65.

ii. L’alinéa 6

« S’il est constaté sur la base d’un jugement que l’immeuble fait partie du pa-trimoine administratif, l’inscription provisoire du gage est radiée. Pour autant que les conditions prévues à l’al. 4 soient remplies, le cautionnement légal la remplace. Le délai est réputé sauvegardé par l’inscription provisoire du droit de gage66 ».

Cette disposition prévoit que l’inscription doit être radiée si l’appartenance de l’immeuble au patrimoine administratif est constatée par jugement. Dans ce cas, la demande d’inscription définitive doit être rejetée aux frais du sous-entrepreneur, car le droit à une inscription définitive sera jugé inexistant. Con-trairement au droit en vigueur jusqu’à présent, le sous-entrepreneur n’est donc pas a priori « perdu », car à la place de son inscription provisoire radiée et pour autant bien sûr que les deux conditions de l’alinéa 4 soient remplies (pas d’obligation résultant des obligations contractuelles et reconnaissance ou cons-tatation des créances par jugement), il bénéficiera de la responsabilité de l’Etat découlant du cautionnement légal. Le délai de quatre mois est ici aussi sauve-gardé67.

65 REETZ,pp. 130 s.

66 FF 2009, p. 7951.

67 REETZ,pp. 130 s.

IV. Conclusion

La révision dans le domaine des droits de gage immobilier pour les sujets trai-tés ci-dessus était très largement souhaitable et clarifie les droits et obligations de chacun. De plus, la sécurité du droit est renforcée compte tenu de la publici-té accrue.

Il restera à examiner comment la pratique va se développer, notamment en ce qui concerne les hypothèques légales indirectes que le créancier gagiste peut faire valoir lorsqu’il entreprend des démarches pour assurer la valeur de son gage. En effet, il faut souhaiter que les tribunaux ne soient pas plus chargés qu’actuellement parce que le propriétaire du gage contesterait l’inscription.

La cédule décédulisée

BÉNÉDICT FOËX

Professeur à l’Université de Genève

Introduction

Fort attendue, la cédule hypothécaire de registre est l’une des grandes nou-veautés de la réforme des droits réels immobiliers votée par les Chambres fé-dérales le 11 décembre 2009 et entrée en vigueur le 1er janvier 2012.

Le présent article commence par quelques remarques sur la notion de cé-dule hypothécaire de registre (I) et sur le droit qui est applicable à celle-ci (II).

Il s’intéresse ensuite à la constitution (III) et aux effets (IV) de cette nouvelle forme de gage mobilier. Il aborde ensuite le remboursement de la créance cé-dulaire et le remploi de la cédule de registre (V) avant de s’achever par une brève remarque de droit transitoire (VI).

I. Notion de cédule hypothécaire de registre