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C. Droit transitoire

IV. Charge d’entretien et obligation accessoire

A. Droit actuel

1. Les dispositions légales

La loi définit à l’article 730 CC une servitude comme étant « une charge impo-sée sur un immeuble en faveur d’un autre immeuble et qui oblige le proprié-taire du fonds servant à souffrir, de la part du propriéproprié-taire de fonds dominant, certains actes d’usage, ou à s’abstenir lui-même d’exercer certains droits inhé-rents à la propriété ».

S’abstenir d’exercer ses droits ou tolérer certains actes d’usage constitue une attitude fondamentalement passive, qui distingue la servitude de la charge foncière34. Néanmoins une obligation de faire peut être rattachée à une servitude, mais alors uniquement à titre accessoire (selon l’article 730 al. 2 CC).

Il faut relever dans ce contexte l’article 741 al. 1er CC qui prévoit « Le pro-priétaire du fonds dominant entretient les ouvrages nécessaires à l’exercice de la servitude. » Ce devoir d’assumer l’entretien et les frais y afférents a donc le caractère de charge accessoire, et elle constitue une obligation dite propter rem, à charge de chaque bénéficiaire successif ; elle est constitutive d’une obligation légale puisqu’elle résulte de la loi. En revanche les frais d’entretien cumulés (ceux qu’un bénéficiaire doit racheter pour la période précédant sa décision d’exercer de son droit) ne font pas partie des obligations propter rem au sens de cette disposition35.

En pratique il est parfois malaisé de cerner la limite de ce qui est admis-sible à titre de charge accessoire. Le temps aidant, l’entretien n’a parfois plus de sens et le maintien d’une servitude passe par la reconstruction de certains installations vétustes (refaire un chemin, reconstruire un mur de séparation, replanter une haie, etc. …). En pareil cas il semble inadéquat de dénier à l’obligation de reconstruire le caractère de charge accessoire, au seul motif qu’elle ne constitue pas à proprement parler une prestation d’entretien cou-rant. Cela revient à limiter la durée de nombreuses servitudes de voisinage, alors que la loi admet l’existence de servitudes à durée indéterminée. Il s’agit donc d’admettre en pareil cas que des travaux de reconstruction peuvent être admis comme charge accessoire, à titre de modalité d’entretien à long terme.

Sont également des prestations accessoires admises par la loi les presta-tions d’entretien assumées par le propriétaire du fonds servant (soit en

34 STEINAUER, Les droits réels, tome II, p. 357, no 2205 et ss.

35 ATF 124 III p 289 / JT 1999 I p. 171 (p. 172 in fine).

tion avec la règle de l’article 741 al 1er CC qui met cette obligation à charge du bénéficiaire) ; il peut s’agir par exemple de l’entretien d’un chemin ou de cana-lisations par le propriétaire du fonds servant36.

2. La jurisprudence

Les tribunaux ont déjà eu l’occasion de préciser ce qui était admissible ou non en matière d’obligation accessoire. Citons quatre arrêts :

a) un arrêt du Tribunal fédéral du 1er avril 1982 (ATF 108 II p. 39 / JdT 1985 I p. 190) relatif à l’obligation par le propriétaire d’une source cap-tée de fournir de l’eau en un point déterminé. Une distinction est faite entre le devoir de tolérer les canalisations d’un tiers (admis par le tribu-nal) et l’obligation de fournir de l’eau pas le biais de ces canalisations (pas admis au titre d’une servitude).

b) un arrêt de la Cour civile du 4 septembre 1997 du Tribunal cantonal ju-rassien (RJJ 1997 p. 59 et ss), au sujet d’une redevance annuelle de Fr. 1’800.-- liée à un droit de passage. S’agissant d’une obligation per-sonnelle, elle ne lie pas le nouveau propriétaire. Seule une charge fon-cière permet de rattacher une obligation de payer à la propriété d’un immeuble.

c) un arrêt du Tribunal fédéral du 12 juin 1980 (ATF 106 II p. 315 / JdT 1981 I p. 306) portant sur une obligation de poser une moquette à des fins d’insonorisation. Le caractère accessoire de cette obligation a été admis au regard de l’importance de l’ensemble conséquent des charges prévues dans le contrat de servitude,

d) un arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 2010 (5A_229/2010) rappelle que l’obligation de faire doit être en rapport directe avec la servitude, dont elle doit faciliter l’exercice ; ainsi la construction d’une dalle d’une certaine qualité par le fonds dominant n’est pas en lien avec l’exercice d’une simple servitude d’empiètement.

3. Qualification des différentes obligations accessoires

On peut en définitive distinguer trois types de conventions susceptibles de déployer des effets propter rem :

36 STEINAUER, Les droits réels, tome II, p. 363, no 2219 et ss.

a) l’obligation de faire du bénéficiaire de la servitude, soit son obligation légale d’entretien selon les articles 741 al. 1er et 2 CC37, cette disposition déployant sans autre des effets réels,

b) les conventions qui dérogent à l’article 741 al. 1er CC en tant qu’elles mettent les frais d’entretien de cette installation à la charge du proprié-taire du fonds servant38, ou en tant qu’elles mettent à la charge du béné-ficiaire des obligations supplémentaires à celles prévues par la loi39, comme par exemple des frais d’entretiens cumulés40,

c) d’autres obligations de faire rattachées à titre accessoire à la servitude et imposées au propriétaire du fonds servants (art. 730 al. 2 CC), dont par exemple la prise en charge des frais de construction de l’installation ob-jet de la servitude.

Il ressort de la jurisprudence du tribunal fédéral que la teneur de l’inscription au registre foncier est déterminante pour savoir si l’obligation ac-cessoire est opposable au nouveau propriétaire (à moins qu’il ne s’agisse d’une obligation légale, soit non sujette à inscription). Ainsi dans l’arrêt ATF 124 III p. 289 / JdT 1999 I p. 171 il s’agissait d’un litige relatif au paiement des frais de construction d’une route par le bénéficiaire d’une servitude, tel que stipulé par les parties à la servitude lors de sa constitution, une quinzaine d’année aupa-ravant (les propriétaires des parcelles ayant changé depuis). A défaut d’inscription particulière au registre foncier, il a été jugé que les clauses ins-crites dans le contrat d’origine de la servitude étaient de nature purement con-tractuelle et ne déployaient pas d’effet réel. Ainsi la simple mention de l’obligation dans l’acte constitutif de suffit pas, elle doit figurer sur l’inscription du registre foncier pour être opposable au nouveau bénéficiaire.

Une fois inscrite, cette obligation déploie donc des effets dits propter rem, sans qu’il y ait lieu d’inscrire pour autant une charge foncière supplémentaire41. B. Nouveau droit

La loi ne modifie pas les critères d’admissibilité des obligations accessoires et la règle des frais d’entretien ; les limites légales et jurisprudentielles restent inchangées.

Cependant le législateur précise désormais à quelles conditions ces con-ventions sont opposables aux propriétaires successifs d’une même parcelle.

37 STEINAUER, Les droits réels, tome II, p. 363, no 2219 et p. 391, no 2283 a.

38 STEINAUER, Développements récents, p. 2.

39 Arrêt du Tribunal fédéral 5A_229/2010 du 7 juillet 2010, considérant 4.1.2.

40 ATF 124 III p. 289 / JT 1999 I p. 171 (p. 172 in fine).

41 STEINAUER, Les droits réels, tome II, p. 391, no 2285 a.

La nouveauté consiste à l’ajout d’une précision à la fin de l’article 730 al. 2 nv CC, rédigée comme suit :

« Cette obligation (accessoire de faire) ne lie l’acquéreur du fonds dominant ou du fonds servant que si elle résulte d’une inscription au registre foncier ».

L’article 741 nv alinéa 2 CC in fine est complété comme suit :

« .... Une convention dérogeant à ce principe n’oblige l’acquéreur du fonds dominant ou du fonds servant que si elle résulte des pièces justificatives du registre foncier. »

En reprenant les trois catégories d’obligations mentionnées, on peut dé-crire ainsi la nouvelle législation applicable :

a) l’obligation d’entretien du bénéficiaire de la servitude (art. 741 al 1er CC) reste une obligation propter rem, sans nécessiter d’indication particulière au registre foncier,

b) les conventions dérogeant au principe de la prise en charge des frais d’entretien par le bénéficiaire de la servitude obligent tout bénéficiaire dès lors qu’elles résultent des pièces justificatives (art 741 al 2 nv CC deuxième phrase), et ce même sans inscription au feuillet,

c) d’autres obligations de faire ne lient l'acquéreur que si elles résultent d’une inscription prise au registre foncier (art 730 al. 2 nv CC deuxième phrase).

Les conventions de dérogation au système légal de l’article 741 al. 2 sont donc dorénavant dispensées d’inscription ; le but est d’éviter une surcharge des inscriptions prises au registre foncier42.

Quant aux autres charges accessoires, le message du Conseil fédéral met en garde les praticiens quant aux conséquences de l’article 11 de l’ordonnance du Registre foncier (repris à l’article 46 al. 1er de la nouvelle ordonnance) ; le con-servateur ne procède aux inscriptions que sur réquisition et non pas d’office43. En cas d’oubli lors de l’établissement de la réquisition d’inscription, ces obliga-tions ne déploieront aucun effet externe.

42 PIOTET, Propriété collective, p. 21.

43 Message du Conseil fédéral, FF 2007 - 5042.

C. Droit transitoire

La nouvelle loi prévoit une disposition transitoire (art. 21 al. 2 nv Tit. fin. CC), libellée comme suit :

« Les obligations liées accessoirement à des servitudes qui ont été créées avant l’entrée en vigueur de la modification du 11 décembre 2009 et qui n’apparaissent que dans les pièces justificatives au registre foncier restent op-posables aux tiers de bonne foi. »

Ces servitudes auront le privilège de déployer un effet réel sans inscription de cette obligation44.

Ce privilège concerne uniquement les autres obligations de faire que nous avons mentionnées sous lettre c) ci-dessus (soit issues de l’article 730 al. 2 nv CC), les autres obligations étant de toute façon dispensées d’inscription par la nouvelle loi.