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Les difficultés des élèves ingénieurs à propos des concepts d’équilibre et de

2.3 La collecte des données

2.4.1 Partie 1 Statistiques descriptives

Dans un premier temps, on va comptabiliser les réponses brutes des élèves pour chacune des deux questions de cette partie (voir tableau 2.4 pour les situation A et B) Table 2.4 – Résultats pour la partie 1, cas A & B, réponses correctes surlignées (V=vi- tesse, A=accélération, N=nulle, C=constante), n=51

Ans. AVN AVC AAN AAC

Oui 12 (23.5%) 44 (86.3%) 44 (86.3%) 7 (13.7%) Non 39 (76.5%) 7 (13.7%) 7 (13.7%) 38 (74.5%) JSP 0 0 0 6 (11.8%)

Ans. BVN BVC BAN BAC

Oui 23 (45%) 25 (49%) 32 (62.7%) 11 (21.5%) Non 27 (53%) 25 (49%) 19 (37.3%) 38 (74.5%) JSP 1 (2%) 1 (2%) 0 2 (4%)

Comme on peut le remarquer, le taux des réponses correctes est différent pour les deux situations et diffère aussi selon la variable physique considérée, vitesse ou accéléra- tion. Un test de χ2montre que la différence des résultats globaux entre les deux situations

est statistiquement significative (p = 0.0002, test de Pearson corrigé). Comme il ne s’agit pas d’un effet du hasard, on peut donc déduire que les étudiants n’utilisent pas le même raisonnement pour traiter les deux situations et comme la seule variable qui change entre la situation A et B est la configuration du pendule, on peut avancer que c’est cette diffé- rence de configuration qui est la cause de ce changement de stratégie chez les étudiants. L’analyse des profils, va nous permettre de savoir quels sont les éléments ou les groupes d’éléments qui changent d’un cas à l’autre pour chaque étudiant.

Sur la figure 2.2, on peut remarquer que seulement 17.65% des étudiants ont ré- pondu correctement à l’ensemble de la première partie (RRP1) et que c’est finalement la situation B (RRB) qui a posé le plus de problème, ce qui est concordant avec l’analyse statistique globale. Quant à la première situation, si elle semble avoir posé moins de problème aux étudiants, seulement 55% ont répondu correctement (voir table 2.2) et sur les 45% qui ont donné une réponse erronée, 34% ont supposé le chariot immobile

Figure 2.2 – Fréquences dans chaque profil pour la partie 1(en % des réponses totales) (AVN).

Cependant l’élément supplémentaire apporté par l’analyse des profils est ici que 24% des étudiants ont changé d’avis quant à l’immobilité du chariot entre la situation A et la situation B (voir taux de ImB/A) et que seulement 33% des étudiants ont répondu de façon cohérente, c’est-à-dire ont considéré que les mêmes conditions de vitesse et d’accélération s’appliquaient aux deux cas pour justifier l’équilibre. On a donc 66% des élèves (34 sur 51) qui ont considéré que l’équilibre dans les deux cas ne pouvait pas s’ex- pliquer par les mêmes conditions de vitesse et/ou d’accélération : ceci corrobore donc le fait que les étudiants n’ont pas utilisé les mêmes stratégies pour expliquer l’équilibre dans les deux cas.

Sur ces 34 étudiants, 53% considèrent que le chariot doit avoir une vitesse nulle dans la situation 2 pour que l’on ait équilibre du pendule, ce qui représente 35% de tous les étudiants pour lesquels on peut mettre en évidence la facette 3 (équilibre si vitesse nulle). Parmi les autres, aucun profil ne se dégage à part celui montrant l’utilisation adéquate d’un bilan de force (inféré) conduisant à une réponse correcte, soit la facette 1. On peut inférer l’influence de la stabilité du pendule sur les raisonnements des étudiants, car on sait par ailleurs que ce public possède une connaissance, au moins déclarative, des condi- tions de stabilité du pendule : la position d’équilibre basse est une position d’équilibre stable et la position verticale haute est instable.

2.4.2 Partie 2

Dans cette partie, la question posée aux élèves faisant directement référence au concept de stabilité, on doit obtenir des éléments plus précis sur les liens qu’entretiennent

stabilité et équilibre dans l’esprit des élèves. Dans le tableau 2.5 on peut remarquer que le taux de réponses à l’item « S » (stabilité) est supérieur à celui des réponses « Oui » pour l’item « E » (équilibre) de la situation correspondante. Ceci, pour 43 étudiants sur 80 dans la situation C , 44 dans la D, 13 dans la E10et 35 dans la F. Pour ces étudiants,

le pendule pourrait donc être stable et en même temps ne pas être en équilibre. Ces données indiquent que pour presque la moitié des étudiants interrogés, la stabilité n’est pas perçue comme une caractéristique de l’équilibre mais pourrait en être indépendante, ce qui est inattendu et nous fournit une nouvelle facette pour le cluster « stability » : « stability is independent of equilibrium ».

En ce qui concerne l’équilibre seul, on peut remarquer que le taux de réponse « non » à l’équilibre des situations C et D est similaire alors que la seconde est une position d’équilibre réaliste et la première non. On peut donc inférer que les étudiants ont utilisé un autre raisonnement que celui impliquant le bilan des efforts extérieurs au système. D’autre part dans la situation D, l’équilibre supérieur est majoritairement considéré comme impossible (à 72%) ce qui est cohérent avec le résultat de la première par- tie : la position d’équilibre supérieure ne semble pas « résister » à un déplacement du chariot, qu’il soit uniforme ou uniformément accéléré. Cet élément conduirait à identifier une facette supplémentaire pour l’équilibre instable dans le cas ou la vitesse est non nulle : « il y équilibre instable seulement si v=0 ».

Finalement, on peut remarquer que les taux de réponses « Oui » et « Non » pour l’équi- libre des situations E et F sont quasiment opposés, comme les positions du pendule. Ceci suggère là encore que le sens de déplacement du système, sa vitesse plus que son accé- lération, semble jouer un rôle important dans le raisonnement utilisé par les étudiants et entraîne un traitement « non symétrique » des situations.

Table 2.5 – Résultats bruts de la partie 2, cas C,D,E et F , réponses correctes surlignées (E = équilibre réaliste, S = stabilité)

CE CS DE DS EE ES FE FS

Oui 18(22.58)% 11(17.46%) 21(26.25%) 5(7.25%) 61(76.25%) 45(62.50%) 26(32.50%) 12(18.46%) Non 62(77.5%) 49(77.78%) 58(72.50%) 61(88.41%) 19(23.75%) 25(34.72%) 51(63.75%) 50(76.92%)

JSP 0 3(4.76%) 1(1.25%) 3(4.35%) 0 2(2.78%) 3(3.75%) 3(4.62%)

TOTAL 80 63 80 69 80 72 80 65

10. Ce chiffre plus faible que les autres s’explique par le fait que cette situation est apparue majori- tairement en équilibre pour les étudiants, il y a donc eu beaucoup moins de réponses « Non » qu’aux autres

Table 2.6 – Arguments utilisés pour la partie 2 : nombre d’argument et pourcentage des arguments utilisés

Cas Vit. Acc. Poids Bilan PE Tot. Arg.

C 22(27.5)% 12(15%) 4(5%) 4(5%) 0 42 D 9(11%) 6(7.5%) 10(12.5%) 5(6.2%) 2(2.5%) 32 E 20(25%) 17(21%) 10(12.5 %) 14(17.5%) 0 61 F 13(16%) 9(11%) 12(15%) 12(15%) 0 46

La table 2.6 récapitule le nombre des arguments utilisés par les étudiants pour justifier leurs réponses. Les arguments du type énergétique sont marginaux et ceux relatifs à l’application d’un bilan de force paraissent plus utilisés mais en fait, seuls trois étudiants l’ont appliqué de manière adéquate à toutes les situations, ce qui leur a permis de répondre correctement à cette partie.

En affectant des poids aux différents arguments selon qu’ils sont proches ou non du raisonnement (ou facette) correct pour la situation (-2 pour un argument de type vitesse, -1 pour un argument de type vitesse implicite, O pour l’absence d’argument, 1 pour un bilan de force implicite et 2 pour un bilan de force explicite ou l’énergie potentielle) on peut chercher des corrélations entre les situations et le type d’argument utilisé. Ce codage est en adéquation avec notre but qui est de vérifier la présence ou non d’arguments relatifs à certaines conceptions et si ces arguments sont proches ou non d’une conception « correcte »11. Globalement, on observe un lien significatif entre les situations et les

arguments utilisés (avec un test du χ2 : p = 0,003). Plus précisément, un test de

Wilcoxon apparié révèle une différence significative entre les situations C et D (p = 0,002). On peut donc regrouper les situations selon le type d’argument utilisé ce qui nous donne deux partitions possibles :

1. {C,E} et {D,F} si l’on considère les arguments relatifs au déplacement du chariot (essentiellement celui de la vitesse)

2. {C,D} et {E,F} si l’on considère l’utilisation d’un argument-critère.

Si l’on rapproche ces groupes des aspects saillants des situations, dans le deuxième groupement, on peut avancer que la position horizontale du pendule va impliquer plus fréquemment l’utilisation d’un bilan de force, ce qui est une stratégie efficace dans tous les cas, mais sans pour autant amener les étudiants à la réponse correcte, sans doute

du fait d’une défaillance dans l’application de sa conclusion (par exemple « il faut une accélération très importante, ça ne peut donc pas durer » ou « si il y a une accélération suffisamment grande », et.). On peut y voir une manifestation de la facette « équilibre = position horizontale » qui dans ce cas amènerait les étudiants à utiliser le critère ma- joritairement vu pour traiter l’équilibre de la balance mais sans comprendre exactement ce que cela implique, notamment le fait que quelque soit la valeur de l’accélération, la somme vectorielle des efforts ne peut être nulle.

Finalement, si l’on regarde dans quels cas ont été utilisés tels ou tels arguments, on re- marque que l’on peut former un groupe avec les situations C, D et F. Pour ces situations, il y a, en effet, une corrélation statistiquement significative entre la direction du pendule et l’utilisation du critère « vitesse » pour réfuter l’équilibre (χ2-test, p = 0,0009). Si l’on

rapproche cela du deuxième groupement précédent, on peut y voir une manifestation de la facettes équilibre = position naturelle (et de sa négation/généralisation : pas d’équilibre car pas dans une position naturelle ), et les arguments de certains étudiants y font référence relativement directement : « logique d’après le sens du mouvement » ou « du mauvais côté ».

Les différences entre les réponses à ces six situations mettent en évidence plusieurs difficultés chez les élèves quant aux concepts d’équilibre et de stabilité. D’une part, il semble que le lien entre ces deux concepts ne soit pas « unifié » : alors que du point de vue physique, la stabilité est une caractéristique de l’équilibre, chez la moitié des étudiants, elle semble comme déconnectée de ce second concept. D’autre part, les élèves ont du mal à penser la position d’équilibre instable comme étant produite par les mêmes conditions que la position stable. Ils combinent difficilement les notions d’équilibre avec le déplacement du système étudié. Il semble qu’au-delà de l’équilibre, ils fassent une distinction entre les conditions qui donnent naissance à une position d’équilibre stable et celles qui donnent une position instable. Les étudiants semblent utiliser des « straté- gies explicatives » dépendant de la configuration du système, parfois ces stratégies sont adéquates (par exemple l’application d’un bilan de force) d’autres fois elles sont issues de règles empiriques (influence de la vitesse par exemple). Ceci conduit à une certaine dissymétrie dans la compréhension du concept d’équilibre au détriment de la position d’équilibre instable. On constate qu’en cas d’entrainement, c’est cet équilibre tout entier qui disparait. Comme si la stabilité était vue comme une qualité qui permettrait à l’équi- libre de rester « équilibre » face aux perturbations (déplacements) extérieures plutôt que comme une caractéristique supplémentaire de cet état du système.

2.5 Conclusion

Les étudiants concernés par cette étude ne devraient pas avoir de problème avec ces concepts étant donné que l’enseignement qu’ils ont suivi les a amené à les étudier de façon théorique mais aussi pratique au moins dans le cadre de la mécanique classique. De plus, l’échantillon choisi était constitué d’étudiants qui avaient suivi un cours complet d’automatique, champ de l’ingénierie qui s’intéresse à l’analyse et à la commande des systèmes (dynamiques en général). Dans cette discipline, ces concepts sont fondamen- taux et un des but de l’automaticien est justement de chercher des points d’équilibre pour des systèmes et si possible de rendre stable, en ces points, un système naturellement instable, par exemple.

Le système choisi dans cette étude est tout-à-fait emblématique : le pendule sur un chariot est un système très utilisé car mobilisant plusieurs aspects importants de la com- mande des systèmes : c’est un système du second ordre possédant deux points d’équilibre, un stable (position verticale inférieure et vitesse de rotation nulle) et un autre instable (position verticale supérieure et vitesse de rotation nulle). Par le biais d’un système de régulation adéquat, on cherche généralement à stabiliser le pendule en position verticale haute en commandant les déplacements du chariot, ce qui donne matière à utiliser tous les outils mathématiques disponibles dans la trousse à outils de l’automaticien : modé- lisation du système, recherche des états d’équilibre, linéarisation, commande par retour d’état ou autre, etc.

L’étude du pendule ou d’autres systèmes « simples » du point de vue mécanique étant considéré comme acquis à ce niveau, on se focalise généralement sur la mise en équation – différentielles – du système et l’étude mathématique de ses propriétés12. L’équilibre et

la stabilité sont donc souvent abordés d’un point du vu essentiellement mathématique, au travers de l’application de critères algébriques (calcul de racines de polynômes, de valeurs propres de matrices, etc.) ou graphiques (lieu des pôles, critère du revers, etc.). Ces concepts apparaissent presque comme des savoirs nouveaux pour les étudiants de notre échantillon qui les ont pourtant rencontré au moins deux fois au cours de leur scolarité immédiate (au lycée et en première année d’école d’ingénieur, en physique). On peut considérer que le lien entre ce qu’ils ont vu de ces concepts en mécanique

12. On pourrait ajouter que la mise en équation du système vise essentiellement à passer à d’autres représentation - fonction de transfert ou modèle d’état - ce qui en général ne sous-entend pas que l’on s’attarde sur la compréhension ou la signification de l’équilibre et/ou de la stabilité à ce niveau. Sans doute parce qu’on imagine que cela est acquis.

Newtonienne et le fond mathématique présenté en Automatique n’est pas fait. Et pour cause, leur connaissance de ces concepts du point de vue mécanique n’est que peu opé- rationnelle et parfois même très éloignée du savoir scientifique. Ceci ne va pas sans poser de problème et lors de l’étude de systèmes électromécaniques complexes, réels, comme celui d’un véhicule électrique inclinable (Rajamani, 2006), pour lesquels il est nécessaire d’avoir bien compris le fonctionnement – au sens comportement – du système avant de le mettre en équation, on voit surgir des difficultés provenant de cette incompréhension13

L’équilibre et la stabilité de systèmes non mécaniques sont aussi abordés dans la scolarité antérieure de ces étudiants, en chimie ou en éducation physique, en France comme dans les pays anglo-saxons, et on peut supposer que ces points de vue, ces approches diffé- rentes de ces mêmes concepts aient un impact sur la compréhension, sur la construction de leurs conceptions de ces concepts. D’autant plus qu’il n’est jamais fait de rappro- chement « académique » entre ces différentes approches. On peut donc imaginer qu’un enseignement cohérent et fédérateur de ces concepts faisant appel à des exemples piochés dans plusieurs domaines puisse être un élément de réponse pour améliorer la compré- hension des étudiants sur ce sujet. Nous allons tenter dans la suite de cette étude de concevoir une séquence de classe visant cette vision fédératrice de l’équilibre (et de la stabilité).

13. Il s’agit par exemple de difficultés à considérer la cabine du système dans une position d’équilibre inclinée lorsque le véhicule roule en virage et qu’il y a donc présente d’une accélération latérale non nulle.

Les connaissances des étudiants