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Exploration des origines possibles des difficultés des étudiants à propos du

4.2 Langage « courant » et expérience quotidienne

4.2.2 Influences du langage et des expériences quotidiennes

On pourrait penser qu’une part des difficultés de compréhension des étudiants pro- vient de l’utilisation des mêmes termes avec des sens différents – ce que l’on appelle

polysémie (Victorri, 1996) – dans les différents domaines ou situations dans lesquelles ils

sont susceptibles de les rencontrer, mais, sans en avoir pleinement conscience. Prenons un exemple avec le mot stable : Alors que dans le cas du mot table, pour lequel la « table » de multiplication n’a que peu de choses à voir avec la « table » à manger car le contexte assure une discrimination suffisante entre les deux sens du mot17, la nature du

lien entre les sens du mot stable dans « des résultats scolaires stables » et « un pendule en équilibre stable » semble différente. On s’attendrait en fait à ce que le sens de stable dans les deux cas soit le même que la variation soit minime car le premier procède d’une analogie avec le second. Ce n’est cependant pas exactement le cas. Le sens porté dans le premier cas indique que les résultats scolaires ne varient pas, ce qui serait en accord avec la définition scientifique de l’équilibre et pas de la stabilité, alors que dans le cas du pendule, la stabilité indique un retour autonome à la position d’équilibre après une per- turbation, ce qui, là, correspond bien à une définition scientifiquement acceptable. Mais cette polysémie est-elle si explicite ? Tout se passe en effet comme si le contexte n’était pas suffisant pour discriminer les différents sens du mot parce qu’en réalité on considère que c’est le même sens qui est véhiculé et qu’il s’agit seulement d’une transposition d’un domaine à un autre, ce qui, en fait, n’est pas le cas.

On observe dans cet exemple que, d’emblée, et c’est pour cela que nous avons choisi ce point de vue, la frontière entre équilibre et stabilité est extrêmement floue en dehors du cadre scientifique, ce qui peut poser des difficultés dans le milieu scolaire.

Le sens commun du terme équilibre a pu être mis en évidence par un questionnaire en ligne (inclus dans un questionnaire plus complet décrit en annexes). Dans ce question- naire, on a demandé aux étudiants de dire ce qui, parmi les situations ou objets de la vie quotidienne, représentait pour eux le concept d’équilibre. Ceci, sans préciser un domaine particulier mais le questionnaire a été donné à des étudiants presque exclusivement enga- gés dans des cours de type « commande des systèmes » en France et en Colombie et on aurait donc pu s’attendre à ce que les exemples choisis soient majoritairement inspirés de situations rencontrées en milieu scolaire.

En fait, les termes qui reviennent le plus souvent chez les étudiants français sondés (44 étudiants d’école d’ingénieur) sont : le pendule (7 %), l’eau (7 %), le repas (7 %) et

chez les étudiants colombiens (366 étudiants d’université sondés) : la balance (22,4 %), L’eau (4 %), les études : (4 %), la vie (< 4 %), la température (< 4 %), marcher (< 4 %), l’équilibre (3,5 %), le vélo ( < 3 %), le corps humain ou la stabilité.

La signification, ou plus largement les idées associées à l’équilibre ont aussi été étudiées par Pedreros Martinéz (2013) auprès d’étudiants suivant une formation pour devenir enseignant dans l’enseignement primaire18 en Colombie. Cette étude, qui portait sur 72

étudiants des spécialités physique, biologie, chimie et conception technologique montre que, hormis les domaines disciplinaires, les idées qui sont proposées correspondent majo- ritairement à « la vie », « la santé », « les ressources naturelles », « la nature », « le corps humain » ou « la société ».

Il est frappant de constater que les situations quotidiennes majoritaires d’équilibre de type mécanique ne sont pas données spontanément, c’est le cas notamment de tous les objets au repos qui nous entourent (livres, tables, chaises, papiers, etc.) et dont on peut penser qu’elles « passent inaperçues ». La balance, elle, paraît sur-représentée dans les réponses des étudiants colombiens interrogés qui, pour l’immense majorité, n’en ren- contrent pas de manière quotidienne19. D’autre part, les situations ou objets proposés

sont très variés et font appel à des représentations très différentes d’un étudiant à l’autre (chaque objet ou situation n’apparaissant pas plus que dans 4 % des cas en dehors de la balance) couvrant presque tous les sens répertoriés par le CNRTL pour ces deux mots.

Il ne serait pas étonnant que le sens (approximatif) commun des termes équilibre et

stabilité soit utilisé aussi bien dans la vie de tous les jours qu’à l’école sans une réelle

distinction. Plusieurs conceptions erronées (ou alternatives) en mécanique à propos de ces concepts sont sans doute issues directement de ces transferts. On pense notamment aux conceptions faisant intervenir l’image de la balance « classique »20 et conduisant à

n’identifier que les situations d’égalité de hauteur (horizontalité du fléau (Ortiz et al., 2005) ou altitude identique des masses dans le cas des systèmes de poulies (Gunstone, 1987)), comme unique critère d’équilibre21.

18. Licienciatura.

19. Nous n’avons pas mené d’étude systématique sur ce point précis mais les données socio- économiques des étudiants interrogés auxquelles nous avons pu avoir accès - provenant d’un examen national appelé Saber 11 qu’ils passent avant l’entrée à l’université - le laisse à penser.

20. Il faut comprendre ici, balance de type Roberval pour laquelle l’équilibre ne peut être atteint que lorsque les masses sont identiques dans les deux plateaux et donc lorsque le fléau est horizontal

21. Il est très intéressant de remarquer que cette conception horizontale de l’équilibre est très ra- pidement acquise. Dans les études sur l’équilibre menées par Piaget, par exemple celle issue de dans (Piaget & Fluckiger-Geneux, 1972, p. 194) dans laquelle on demande aux sujets de « […] trouver le point d’équilibre […] » de plaquettes triangulaires et rectangulaires trouées ou non posées sur un clou

Parmi ces conceptions « attendues » (c.-à-d. que l’on peut inférer à partir ce qui vient d’être présenté), on peut regrouper notamment celles qui identifieraient « équilibre et stable »22, « équilibre et instable »23 ou « équilibre et horizontal »24.

Nous n’allons pas aller plus loin dans l’analyse des processus, mentaux par exemple, qui conduisent, ou pourraient conduire, aux conception que nous allons voir dans la suite. On peut cependant imaginer lister les situations de la vie quotidienne dans les- quelles interviennent l’équilibre et la stabilité et à partir desquelles on peut penser que pourraient se construire les premières conceptions à propos de ces concepts (influencées ou non par le langage). Il pourrait alors être intéressant de construire deux listes : une qui contiendrait les situations dans lesquelles on peut mettre en évidence l’équilibre de manière scientifique et claire, et une autre qui contiendrait les situations dans lesquelles il est effectivement perçu (à tort ou à raison). Par exemple, un objet abandonné à lui- même sans vitesse initiale, tel qu’un livre posé sur une table (ou la table, elle-même), est un des cas d’équilibre mécanique les plus courants dans la vie quotidienne que les élèves proposent rarement de manière spontanée (cf liste du paragraphe précédent). La balance quant à elle, étant pour ainsi dire « le » prototype de l’équilibre, elle est associée spontanément à l’équilibre bien que cela ne soit vrai qu’avec les balances présentées avec un fléau horizontal. A partir de ces cas, on pourrait identifier les cas qui relèvent d’une interaction passée avec le sujet (la balance par exemple) et les autres (les objets au repos, par exemple) et, dans une approche « piagétienne », en déduire leurs effets (ici positifs25) sur la construction des conceptions du sujet (Piaget, 1936).

contre une parois et de comparer les positions du clou avec celle d’un fil devant permettre de les tirer « tout droit », il n’est à aucun moment spécifié que l’on cherche un équilibre horizontal. Mais, tant les attentes de l’expérimentateur que les actions du sujet vont dans ce seul sens alors que dans les deux cas l’équilibre est de nature différente : stable pour la traction et instable pour le clou. Dans le cas de la traction, il y a donc une possibilité pour « tirer tout droit » l’objet incliné par rapport au fil - c.-à-d. sans rotation - donc dans une position d’équilibre inclinée, position absente des extraits d’entretiens répertoriés. Au lieu de cela, quand l’expérimentateur demande à un des enfant « Qu’est-ce que c’est l’équilibre ? », l’enfant répond « Quant il y a le même poids des deux côtés »

22. Venant de « Attitude ou position stable » ou « Caractère de ce qui reste en place, sans bouger ni tomber » par exemple

23. Venant de « Dans une position parfois difficile, précaire... »

24. Venant de « Caractère de ce qui ne varie pas, de ce qui demeure au même niveau, à la même valeur »

25. On pourrait penser que c’est justement le manque d’interactions entre le sujet et ces objets qui les rends comme « inexistants ».

4.3 Le contexte scolaire