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Les difficultés des élèves ingénieurs à propos des concepts d’équilibre et de

2.2 État de l’art

On peut noter que de nombreuses recherches explorent la question de la compré- hension de ces concepts au delà de la simple connaissance des critères précités (bilan d’efforts, variation d’énergie, etc.) mais, centrés exclusivement sur celui de l’équilibre. Aucun, en effet, ne concerne la stabilité, sans doute considéré comme un concept « à part » (il est vrai que ce concept arrive tardivement dans le parcours académique des étudiants). Beaucoup de travaux ont exploré les difficultés des étudiants concernant la compréhension des concepts généraux de la physique – dont celui de l’équilibre – et ont tenté d’identifier les raisonnements alternatifs. Gunstone (1987) par exemple a constaté des difficultés de compréhension chez les étudiants dans le domaine de la mécanique et

1. Cet enseignement a majoritairement lieu en second cycle d’étude supérieures en France, parfois en premier cycle (en classe préparatoire, par exemple) et dans les facultés d’ingénierie à l’étranger.

particulièrement, en ce qui concerne l’équilibre, dans l’étude des systèmes statiques type poulies/masses. Il en a déduit que les étudiants pouvaient utiliser dans de nombreux cas des raisonnements explicatifs assez éloignés de ceux enseignés en classe. Albanese et al. (1998) examinent cette question avec un point de vue historique et en tentant de prendre en compte l’influence des situations réelles (de la vie de tous les jours), non scolaires, dans la construction des raisonnements des étudiants, que l’on appelle les raisonnements

spontanés ou du sens commun (Viennot, 1979). Ils mettent en lumière notamment les

aspects énergétiques et dissipatifs qui différencient les situations scolaires de celles de la vie quotidienne et qui peuvent influencer voire expliquer une partie des difficultés de compréhension de ces phénomènes.

Certaines études se sont intéressées aux mécanismes qui pourraient donner naissance aux raisonnements alternatifs des étudiants à propos des situations de physique en général et qui peuvent conduire aux difficultés rencontrées. Ce faisant, elles traitent soit indirecte- ment de l’équilibre comme celle de Pozo et al. (1992) dans laquelle ils tentent d’organiser et de catégoriser les raisonnements alternatifs des étudiants sous forme de « mini théo- ries ». Dans cette étude, les étudiants examinent des situations statiques simples (un livre sur une table, sur un ballon, sur un ressort, et.) et les auteurs ont pu identifier le rôle fort du contexte et l’apparente incohérence des raisonnements des étudiants face à des situations mettant en jeu le même principe physique.

D’autres travaux, sont centrés, eux, sur la question spécifique de la compréhension de l’équilibre. Certains à un niveau « psycho-developpemental » de l’enfant dans la lignée des travaux de Piaget et Garcia (1971) comme Siegler et Chen (2002) ; Bonawitz, Lim, et Schulz (2007), d’autres à un niveau « undergraduate » comme ceux de Newcomer et Steif (2008) dans lesquels les étudiants se prononcent sur l’équilibre de systèmes sta- tiques de poutres reliées par des fils, Ortiz, Heron, et Shaffer (2005) qui utilisent des systèmes statiques du type balance « prototypique » ou Flores-García et al. (2010) qui s’intéressent à des systèmes statiques du type poulies/masses et poulies/ressorts.

Si l’on met de côté les travaux sur les enfants - qui contiennent néanmoins des aspects intéressants que l’on est susceptible de retrouver chez les étudiants comme le raisonne- ment de base des moments de force ou de compensation distance/masse, de ces dernières études, il ressort là encore que les étudiants ont à propos de ces systèmes ou situations, des conceptions très dépendantes du contexte et de certains critères d’apparence : l’ho- rizontalité d’un fléau semble être pour une majorité des étudiants, par exemple, l’unique critère d’équilibre pour un système de type balance (Ortiz et al., 2005), de même que

l’altitude identique de deux masses suspendues de part et d’autre d’une poulie (Gunstone, 1987). Quant à l’application des critères, règles ou méthodes scolaires comme la somme des forces et des moments, il apparaît dans ces travaux que les étudiants ont des difficul- tés à les appliquer toutes ensembles (Ortiz et al., 2005) (i.e., soit ils jugent d’un équilibre en utilisant la somme des forces, soit en utilisant celle des moments) ou bien ils n’in- cluent pas la totalité des forces dans leur raisonnement : souvent des efforts considérés, à tord, comme « internes »2 sont oubliés (Newcomer & Steif, 2008).

Comme on peut le constater, seuls les équilibres statiques sont abordés dans la lit- térature de recherche en didactique des sciences (si l’on se restreint au domaine de la mécanique) et le lien avec la stabilité n’est jamais questionné. Or, d’une part, si l’on peut « scientifiquement » dissocier ces deux concepts (c’est-à-dire parler d’équilibre sans par- ler de stabilité) rien ne dit que les étudiants adoptent sciemment et correctement cette stratégie ou cette séparation des concepts : leurs discours, relevés lors des cours ou lors d’entretiens, montrent souvent un amalgame entre les deux termes, qui est appuyé par certaines études dont celle de Pedreros Martinéz (2013). D’autre part, les étudiants ren- contrent dans leur vie quotidienne ou académique des systèmes en équilibre dynamique, le corps humain par exemple, sur lesquels on ne fournit aucun élément de compréhension, mais que l’on qualifie volontiers de « en équilibre », « stable », « déséquilibré », etc. ce qui peut laisser libre cours à des interprétations alternatives.

Nous prenons donc le parti de lier ces deux concepts afin d’explorer les liens qui les unissent dans l’esprit des étudiants. Notre étude est une contribution à l’étude des conceptions en mécanique et plus particulièrement à celles concernant l’équilibre et la stabilité, qui sont comme on l’a vu peu nombreuses. Nous allons interroger le rapport des étudiants à ces concepts dans un contexte inédit (inédit par la population interrogée : les étudiants des cursus ingénieurs, inédit par la situation choisie) ce qui, compte tenu des résultats précédents – aspect contexte-dépendant des raisonnements estudiantins – est de nature à apporter des éléments nouveaux. Ce travail vise donc à enrichir l’existant mais également à orienter des stratégies d’enseignement afin de pallier les difficultés mises à jour ou afin de compléter l’approche en place actuellement dans les curricula. Nous voulons questionner ici directement « l’opérationnalité » des définitions physiques de ces concepts et tenter d’identifier les éléments qui perturbent un usage rationnel et pertinent de ces définitions.

Cette première étude vise à répondre aux questions de recherche suivantes : Quelle est

donc l’influence d’un contexte dynamique sur le raisonnement des étudiants à propos de l’équilibre et de la stabilité ? D’une part, ce contexte fait-il émerger de nouveaux modes de raisonnements ou des conceptions alternatives nouvelles par rapport aux résultats actuellement connus, et d’autre part, les élèves parviennent-il plus, ou moins bien, à utiliser les critères qu’ils connaissent leur permettant de juger de l’équilibre et/ou de la stabilité d’un système dynamique donné ?