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Chapitre 2 : Le livre jeunesse

3. La lecture de livre jeunesse : une lecture partagée

3.3. Participation de l’enfant

Les quelques études sur la participation des jeunes enfants dans les activités de lecture partagée rendent compte de résultats différents en fonction de l’âge de l’enfant. Une précédente recherche sur la construction culturelle de l’objet livre (Ignacchiti, 2011) laisse apparaître que l’âge est un facteur dans la construction de l’usage canonique de l’objet mais ne met pas ce facteur seul responsable du style de participation. L’attractivité du livre semble être également explicative du style de participation de l’enfant dans l’activité ainsi que du style de participation du parent. Peu de recherches ont été menées sur le style de participation des enfants de moins de trois ans ; nous baserons nos premières analyses sur des recherches effectuées auprès des enfants de cinq et six ans.

3.3.1. Les styles de participation

Afin d’étudier le style de participation des enfants de cinq et six ans au cours d’une lecture partagée, Pigem et Blicharski (2002) sont parties de deux hypothèses. La première est qu’il

existe une diversité de styles de participation enfantine qui peuvent être mises en évidence. La seconde est que le style de participation de l’enfant peut être prédit à partir de l’analyse des comportements maternels. Afin de répondre aux hypothèses, des dyades mère-enfant ont été filmées pendant une activité de lecture partagée. L’observation qui en découle s’appuie sur une taxonomie [Tableau 2] initialement conçue pour étudier les actes de langage en 6 catégories regroupant chacune plusieurs sous-catégories.

Tableau 2 : Taxonomie des 6 catégories des actes de langage, Pigem et Blicharski (2002).

Catégories Sous-catégories

Complément d’informations

Référence aux expériences ou avis personnel des partenaires :

→ expériences, identification, opinion.

Traitement de l’information

Description, élaboration ou vérification d’une information et anticipation d’un évènement de l’histoire :

→ anticipation, description, élaboration, vérification

Gestion de la lecture

Sous catégories verbales ou non verbales spécifiques à l’activité de lecture :

→ incitation à finir la lecture, incitation à répondre, pointer, retourner

la page, tourner la page, lecture.

Coordination sociale

Sous catégories verbales ou non verbales coordonnant qualitativement les échanges entre les partenaires :

→ acquiescement, affect positif, demande d’attention.

Désynchronie

Sous catégories verbales ou non verbales soulignant un désaccord ou un défaut d’ajustement à l’action du partenaire :

→ désaccord, distraction, interruption de l’énoncé, refus de réponse.

Attention → Maintien d’attention

Les résultats montrent que les enfants répondent à 50% aux sollicitations maternelles par un maintien de l’attention. Trois profils d’enfants émergent de cette recherche : les enfants « centrés sur l’information », « centrés sur l’échange » et « désynchrones » :

Le profil « centré sur l’information » définit les enfants qui ont recours aux catégories « traitement de l’information », « complément d’information ». Ces enfants utilisent peu de comportements liés à la « coordination sociale ». Les enfants ayant ce profil sont décrits comme moyennement distraits.

Le profil « centré sur l’échange » regroupe les enfants qui montrent des scores plus élevés en « coordination sociale ». Les enfants anticipent davantage les événements de l’histoire et sont perçus comme moins distraits.

Le profil « désynchrone » regroupe les enfants ayant des scores élevés en « désynchronie sociale ». Ces enfants n’utilisent jamais les taxonomies « complément d’information » et « traitement de l’information » et sont très distraits durant tout le temps de la lecture.

La répartition des enfants dans ces différents profils est équilibrée entre les enfants de cinq ans et ceux de six ans. La seule tendance liée à l’âge est la capacité à anticiper les évènements de l’histoire.

3.3.2. Style de participation et comportement maternel

Plusieurs travaux ont été menés afin d’étudier le style de participation parental. Citons la recherche de Prêteur et Louvet-Schmauss (1991) sur les conceptions éducatives parentales vis-à-vis de l’apprentissage de la lecture pour des enfants de 6 ans. L’analyse multivariée des conceptions éducatives parentales fait émergerquatre profils :

les attentistes (11,2%) pour lesquels l’apprentissage de la lecture/écriture se fait à partir de 6 ans, aucune activité autour de la lecture n’étant utile auparavant.

les interventionnistes fonctionnalistes (28,4%) pour lesquels il est important de familiariser l’enfant au livre et à ses usages par de multiples activités autour de cet objet.

les interventionnistes conformistes (34%), pour entrer dans le lire/écrire, seules les activités autour du code écrit sont utiles, excluant ainsi les activités sur l’usage du livre.

les interventionnistes indifférenciés (26,4%) selon lesquels toutes les activités sont nécessaires pour apprendre la lecture/écriture, qu’elles se rapportent au code écrit ou à l’usage du livre.

Pigem et Blicharski (2002) ont identifié, dans le cadre de leur recherche sur les styles de participation des enfants, un pouvoir prédictif des catégories maternelles sur le style de participation de l’enfant. Les catégories maternelles sont issues de la même taxonomie utilisée pour observer les comportements de l’enfant en situation de lecture partagée. L’ensemble des catégories maternelles classifient correctement 69,44% des enfants à leurs styles de participation respectifs.

Les mères dont les enfants sont « centrés sur l’information » ont des scores plus élevés en « traitement de l’information » et « désynchronie sociale » et des scores plus faibles en « gestion de la lecture ». Les mères dont les enfants sont « désynchrones » ont les moyennes les plus fortes en « gestion de la lecture », des scores moyens en « désynchronie sociale » et un score faible en « traitement de l’information ». Enfin, Les mères dont les enfants sont « centrés sur l’échange » ont des scores moyens en « traitement de l’information » et « gestion de la lecture » et une utilisation faible en « désynchronie sociale ». L’activité de « lire l’album à l’enfant » représente seulement 19,69% de l’activité totale de la mère pendant le temps de lecture.

Au-delà même des catégories maternelles, Bonnéry et Joigneaux (2015) partent de l’hypothèse que les albums sont diversement exploités selon les lectures partagées qui en sont faites au sein des familles. Par l’observation vidéo de soixante-quatorze dyades parent/enfant (essentiellement mère) issues de familles aux caractéristiques sociales contrastées, ces auteurs identifient trois profils de lectures partagées :

Les lectures-oralisations des familles populaires les moins scolarisées : Consiste en une oralisation littérale, continue et « bien articulée » du texte par des parents issus en grande majorité d’une immigration récente d’un pays pauvre dans lequel ils ont été peu scolarisés.

Les lectures dirigées des familles populaires les plus scolarisées : Interruptions fréquentes dans l’oralisation pour attirer l’attention de l’enfant sur les indices textuels dans une prise de distance par rapport à ce qui est explicitement signifié.

L’enfant est invité à intervenir sur des propos présentés dans le livre par réponse à des questions ou pointage sur l’image. Les parents ont été scolarisés jusqu’au collège voire le lycée professionnel.

Les lectures indiciaires des familles à fort capital culturel : Les parents de ces familles, ayant fait des études longues (notamment dans le secteur Educatifs, des Arts et des Lettres), poussent leur enfant à formuler et à justifier des hypothèses interprétatives à partir non seulement de ce qui vient d’être lu ou remarqué, mais aussi de lectures ou d’autres expériences plus anciennes. L’enfant est interrogé, sur un mode métacognitif, sur le cheminement de son interprétation et de la compréhension du texte.

Ces différents constats imputables à la relation de lecture partagée entre la mère et son enfant de cinq/six ans sont-ils valables également pour les enfants de moins de trois ans, entrant en contact avec ce nouvel objet qu’est l’album jeunesse ? Cette recherche permettra d’avoir, en tout ou partie, réponse(s) à cette question. Quelle qu’en soit la réponse, la lecture partagée, indifféremment de l’âge de l’enfant, vise à avoir un impact sur le développement de l’enfant.

4.Apports de la lecture partagée dans le