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Chapitre 1 : Le livre et la lecture

2. L’activité de lecture

Le concept d’appropriation nous a déjà permis de saisir la lecture comme un processus de création de sens. Nous avons pu voir qu’il existe des multitudes de manières de lire et de recréer l’objet, par l’appropriation que le lecteur en fait, révélatrice selon Chartier (Jablonka, 2008) des différentes appropriations sociales ou culturelles de l’œuvre et des pratiques de lecture. Il paraît toutefois difficile d’établir une définition de la lecture uniquement liée à ce concept qu’est l’appropriation. Selon le point de vue par lequel nous regardons, la lecture revêt multiples définitions allant de la plus pratique, en termes de décodage, à la plus symbolique.

2.1. La lecture comme activité cognitive

Lire est une activité cognitive, se construisant selon une psychogénèse et permettant à l’enfant ou à l’adulte d’accéder au réel langagier par l’interprétation, elle-même issue d’une représentation d’une série de règles socialement codifiées (Ferreiro, 2000). Plus synthétiquement, pour pouvoir être lecteur, il faut être en capacité d’accéder aux signes, de déchiffrer le code. « Lire, c’est ainsi être confronté à un objet structuré qui donne lieu, de la part de l’apprenant, à un véritable travail cognitif» (Besse, 1990, p.18). Une des spécificités de la lecture, ne facilitant pas sa conceptualisation, est que cette activité ne donne pas de

résultat observable en ce sens qu’ « elle n’introduit aucune modification dans l’objet qui vient d’être lu » (Ferreiro, 2000, p.20), contrairement à l’écriture qui laisse trace.

La lecture est le mode de communication le plus efficace en termes de productivité que ce soit selon des critères quantitatifs et qualitatifs (Richaudeau, 1994). Quantitativement, la vitesse de lecture d’un bon lecteur est triple de celle de l’oralisation à haute ou basse voix d’un texte et de sa réception par l’inter-acteur s’il en est un. Qualitativement, l’écrit est à sens et dimensions multiples (capacité de revenir en arrière, de sauter des pages….) tandis que la communication orale est linéaire et unilatérale.

2.2. La lecture comme construction du sens

Par la lecture, le lecteur s’engage dans un rythme qui lui correspond et il peut agir en effectuant des pauses, des retours en arrière (Bidaud, Meghrebi, 2005). Pour Ben Soussan (2001), reprenant les propos de Calvino, le lecteur opère une mise en lien entre lui et le texte, lui permettant de partir à la rencontre d‘une chose qui va exister, par le processus d’appropriation personnelle. De Miribel (2000a) ajoute à cette dimension que l’œil est l’organe à l’origine de cette mise en lien et donnant sens à ce que nous lisons en fonction de cette découverte, de cette rencontre entre le texte et le lecteur.

Dans cette acception, lire, c’est avant tout voir et mettre en relation (Garat, 2005) et ce selon deux postulats. Le premier est que la lecture est une manière d’être en rapport, en relation à un autre, le second est que le livre est une manière de relater le temps, l’espace, les affects, les pensées…La lecture serait donc au service de la construction du réel mais également de la construction psycho-affective de l’individu.

2.3. La lecture comme nourriture psychique

Dans sa réflexion issue de l’article « les trois petits cochons et le grand méchant livre », Ben Soussan (2009), par l’analyse d’un rêve de Freud dans lequel celui-ci prend plaisir à détruire un livre, nous rappelle comment ce dernier assimilait le livre à une nourriture de l’esprit, une nourriture psychique permettant d’assimiler le monde, de le digérer. L’écriture serait « le

langage de l’absent, la maison d’habitation, le substitut du corps maternel, cette toute première demeure dont la nostalgie persiste probablement toujours » dans une équivalence symbolique entre les livres et le corps de la mère. Jacques Lacan disait que l’inconscient était structuré comme un langage. Pour Ben Soussan (2009), Freud aurait surement ajouté, comme un langage écrit.

2.4. La lecture comme interprétation du monde

Rateau (2005) défend le postulat selon lequel nous naissons tous lecteurs. Ayant accédé nous-mêmes au statut de lecteur « expert », nous ne pouvons que mettre cette théorie au travail. Il nous a fallu, à nous-mêmes, des années pour parvenir à une expertise de l’écrit, à concevoir des actions possibles sur cet objet. Alors est-ce vraiment de « lire », avec le coût cognitif que cette activité implique, dont nous parlons vraiment ?

Lire, dans cette conception, reviendrait à apprendre sur soi, à appréhender le monde, à prendre la liberté, le pouvoir ; cette capacité à « lire » le monde se développant dès la naissance de l’enfant. Cette définition se rapproche davantage de la capacité de l’enfant à « interpréter » le monde, à être acteur dans son environnement dès la naissance, dans une curiosité naturelle cherchant à appréhender ce qui l’entoure. Cependant, cette vision du développement de l’enfant ne suffit pas pour parler du « lire ».

2.5. La lecture comme compréhension de soi

Il est essentiel pour conclure sur ce que nous pouvons entendre dans le terme de lecture, d’apporter la dimension de l’intime. Par un acte réflexif, de symbolisation et d’identification, nous nous référons à notre propre histoire que nous plaçons, déplaçons…. Nous lisons dans un livre ce qui nous ramène à nous-mêmes, à nos préoccupations dans l’idée du livre-miroir (De Miribel, 2000b). Lire revient aussi à laisser sa propre vie un instant afin de s’intéresser au héros du livre, au héros choisi et créé.

« Lire » comme interprétation de soi, du monde ou comme nourriture psychique nous donne à penser sur ce qui se joue dans ces temps de lecture au-delà de l’activité cognitive. Cependant,

aussi riches soient-elles, ces définitions déterminent les apports pour l’enfant mais ne peuvent être totalement détachées de la vision socio-cognitiviste de la lecture en tant qu’activité propre. Les postulats de la psychologie du développement permettent d’avoir une définition solide du « qu’est-ce que lire ? » et les travaux sur les pratiques de lecture des français illustrent la place de la lecture au sein de notre société.