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Chapitre 4 : Les interactions

1. Les interactions enfant/parent

Dans notre objet d’étude, et notamment la lecture partagée, les interactions prennent naissance au sein d’une situation de jeu ou de lecture. L’attention est portée autour d’un même objet par les inter-actants. L’attention conjointe (Bruner, 1983) est un concept central à étudier pour prendre la pleine mesure de ce qui se joue en situation interactionnelle.

1.1. L’attention conjointe

L’attention conjointe se définit dans les interactions comme le partage d’attention avec l’autre lorsqu’un des partenaires essaie de focaliser l’attention de l’autre vers un objet ou une personne. Cette fonction est une dimension importante dans le développement du langage (Bruner, 1996) et l’enfant peut jouer différents rôles dans cette dimension, en répondant à l’interaction, en l’initiant ou en la maintenant (Guidetti et Tourette, 1993).

L’attention conjointe passe par le jeu sous forme d’invitations à des actions conjointes de trois types régissant les interactions enfant-adulte (Bruner, 1987) :

Une forme asymétrique, l’adulte est agent et l’enfant spectateur.

Une forme parallèle dans laquelle l’enfant et l’adulte partagent une expérience ou une action, dans une linéarité des actions, chacun agissant de son côté

Il n’existerait pas d’ordre dans l’apparition de ces formes d’actions conjointes ni de prédominance de l’une sur l’autre. En fonction des compétences de l’enfant, les premières invitations prennent le plus souvent la forme du « mime » pour ensuite être accompagnées de vocalisations puis de langage. Selon ce même auteur, la particularité des actions conjointes est de permettre une réciprocité réelle entre les interactants et de fournir un cadre propice au développement langagier de l’enfant.

Dans le cadre d’une activité autour du livre, Bruner (1987) dégage quatre types de vocables utilisés par la mère et intervenant dans la régulation des échanges dans cette situation d’attention conjointe :

Le vocatif pour attirer l’attention (1) La question (2)

La désignation ou étiquette (3) Les paroles en feedback (4)

Ces vocables seraient utilisés par la mère dans une séquence d’interaction suivant cet ordre (1,2,3,4) afin de procurer un étayage suffisant dans « l’enseignement » de la référence.

1.2. La référence

Comme nous l’avons évoqué, la référence permet au vocabulaire de se développer, de s’affiner. La fonction référentielle vise à préciser le référent d’un message en clarifiant le contexte d’interprétation d’un énoncé donné. Les premières références visent plutôt à indiquer à quelqu’un d’autre, par un moyen sûr et en présence d’un choix, quelle chose, état ou action est pertinent pour ce que veut l’enfant. Bruner (1996) montre trois aspects distincts de la référence initiale : la désignation, la deixis et la dénomination.

Il existe une forme primitive de la désignation dès la première année de vie. Le regard de la mère suit celui de l’enfant, surveillant constamment le déplacement de son attention pour situer son centre d’intérêt et pour mieux interpréter ses demandes et déterminer ce à quoi il s’attend. Un système partagé assure l’attention

sélective conjointe de l’enfant et de la personne qui en prend soin. L’enfant apprend donc où il faut regarder pour faire coïncider son centre d’attention avec celui d’autrui. La routine de découverte a doté l’enfant d’un cadre de référence qui lui permet de traiter l’espace et de transcender l’égocentrisme. La désignation dans l’interaction favorise la prise de conscience par l’enfant de l’exercice d’une activité perceptive et amorce la différenciation des propriétés des objets.

La deixis renvoie à l’utilisation des caractéristiques spatiales, temporelles et interpersonnelles de la situation comme outil de la coréférence. Il y a deixis spatiale dans la convergence des regards de la mère et de l’enfant. On suit le regard d’un autre (deixis interpersonnelle). L’ébauche d’un concept de réciprocité dépendant de l’énoncé apparait dans l’action bien avant le passage dans le langage formel. L’enfant s’assure véritablement de la maitrise de la convention exploitant même le contact visuel direct pour déterminer l’intention, le moment opportun et l’alternance des « tours ». La deixis permet à l’enfant d’objectiver l’espace et le temps puisqu’il peut comprendre, au travers des échanges, qu’espace et temps sont partagés avec l’autre.

Bien avant qu’il y ait le langage, l’idée du mot ou d’étiquette en tant qu’instrument de référence se met solidement en place. Le style référentiel prend la forme du jeu avant la production de mots. La dénomination permet alors une référence conjointe.

La référence favorise, par la fixation de l’attention sur un élément commun, la construction linguistique chez l’enfant et la régulation des échanges. Cette fonction nécessite d’être « à l’écoute » de l’autre, afin de saisir les centres d’intérêts et de curiosité, les difficultés…par un ajustement parental constant.

1.3. L’ajustement parental

Un des aspects fondamentaux de la communication réside dans l’harmonie entre l’enfant et l’adulte. L’enfant s’appuie sur l’interprétation de l’adulte pour prendre conscience des effets de ses actes (Thollon-Behar, 1997). L’interprétation de l’adulte demande de la disponibilité, de la patience, dans un réel désir de communiquer.

Pêcheux (1990) parle d’ajustement parental afin de définir le processus de « responsiveness » permettant à la mère de réagir aux stimulations émanant de l’enfant. Trois caractéristiques sont requises pour considérer un comportement comme ajusté, le parent modifie son comportement en fonction du comportement de l’enfant, cette modification est adéquate à la demande de l’enfant et la même réponse est régulièrement donnée à des demandes identiques. Ce concept d’ajustement prend toute son importance lors de situations d’interactions autour d’un objet tiers et en ce qui nous concerne plus précisément, le livre. Pendant la lecture à voix haute à l’enfant, la mère calque sa participation dans la lecture sur les compétences apparentes de l’enfant (Bruner, 1987, p.71) en nuançant l’utilisation des vocables décrits précédemment (vocatif, question, étiquette, feedback). Le livre, par l’activité de lecture partagée qu’il invoque, est une situation propice à l’attention conjointe puisqu’enfant et parent sont autour d’un objet d’attention commun et peuvent interagir par et sur cet objet. Cette situation favorise l’emploi par la dyade de la référence, concept essentiel au développement du vocabulaire ; elle est souvent citée comme jouant un rôle important dans l’entrée dans l’écrit chez l’enfant plus grand.

Rappelons que l’écrit amène à deux actions : la lecture et l’écriture. Écrire est un acte qui sépare et qui suppose donc une séparation (Clerget, 2005), puisqu’écrire est l’acte d’un sujet à histoire. Alors qu’en est-il de l’acte de lire dans la lecture partagée ? Attachement et séparation se soutiennent l’un l’autre (Ainsworth, 1983) et il est donc fondamental de questionner la place de l’attachement lorsque l’on s’intéresse aux interactions enfant/parent, l’attachement sous-tendant le mode relationnel entretenu.