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1 Paris-Dakar ou le premier quotidien d’information du Sénégal

Tous les journaux, qui ont paru jusqu’en 1937, étaient des hebdomadaires, des mensuels, des bimensuels, des trimestriels, des bi- trimestriels, etc. Avant cette date, il n’y avait pas encore de quotidien. Même Paris-Dakar qui devient plus tard Dakar-Matin, est un hebdomadaire à sa création en 1933 par Charles de Breteuil. Pour avoir un quotidien dans le paysage médiatique, il faut attendre 1937, quatre ans pour que Charles de Breteuil décide de transformer l’hebdomadaire Paris-Dakar en quotidien. C’est au même moment que le patron de Paris-Dakar crée Paris-Bénin publié aussi à Dakar. La transformation de Paris-Dakar en quotidien comble ainsi le retard du Sénégal en matière de publication quotidienne par rapport à certaines colonies britanniques qui ont au déjà leurs quotidiens d’informations.

C'est pour résister à la situation économique morose de la presse, que Charles de Breteuil crée plusieurs titres publiés en AOF. C’est dans ce cadre que s’inscrit «Paris-Bénin» qui deviendra «Abidjan-Matin», ensuite Fraternité Matin à l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Il a aussi créé des titres au Cameroun et au Maroc. Le magazine Bingo était son hebdomadaire satirique diffusé à Dakar. Il éditait également l’hebdomadaire Ici-Paris. La société africaine de publication et d’édition françaises lui appartenait. Ce qui lui permettait de constituer «le plus important empire de

presse de l’AOF»181.

Il est difficile d’avoir une idée du tirage de Paris-Dakar à ses premières années de parution. Il faut attendre à la veille des indépendances pour disposer de quelques chiffres. Ainsi Paris-Dakar est-il tiré à «20 000

exemplaires en 1958 (alors qu’il était) en 1967 à 15 500»182. Jacques

Bouzerard explique cette baisse par l’indépendance de la Guinée et l’éclatement de la Fédération du Mali formée par le Sénégal et le Mali. Ce qui fait que ces deux pays sortaient du champ de diffusion de Paris-Dakar, devenu Dakar-Matin à l’indépendance du Sénégal en 1960. Selon Bouzerard, ce chiffre est le point culminant de la diffusion du premier quotidien sénégalais en saison haute qui se situe entre février et mai. Son point bas est 12000 exemplaires atteint entre juin et octobre, période considérée comme étant la saison morte.

Par moment, selon l’importance ou la gravité de l’actualité, le tirage peut monter. C’est le cas lors de l’assassinat du député Demba Diop. «Des

évènements importants tel l’assassinat du député Demba Diop, ont fait monter le tirage à 26000 exemplaires ; les résultats de la loterie nationale

font (aussi) monter régulièrement le tirage à 20000 exemplaires»183.

Paradoxalement, Paris-Dakar dispose plus d’abonnés à l’étranger qu’au Sénégal alors que «84 % sont des informations nationales, 8% des

informations françaises, 8% des informations des autres pays»184. Sur les

850 abonnés dont dispose Dakar-Matin, 700 sont à l’étranger et 150 seulement à Dakar. Le reste est constitué d’acheteurs aléatoires.

Dakar-Matin est produit par une administration et une rédaction qui se compose d’un directeur, d’un rédacteur en chef, de 6 rédacteurs sénégalais et de photographes, un service administratif. Il est édité sur quatre pages de grand fort 63X43 parfois sur 8 pages si l’actualité est bien fournie et vendu à 20 francs.

182 Jacques Bouzerard : La presse écrite à Dakar. Sa diffusion, son public, Université de Dakar, centre de

recherche psychologique, Dakar, 1967, p.14

183 Jacques Bouzerard - Op.cit., 1967, p.17 184 Idem, 1967, p.20

A l’indépendance du Sénégal, la présidence de la république publie à la « une » de Dakar-Matin un éditorial publié dans le bulletin hebdomadaire de la présidence de la république. La page 2 est réservé aux programmes de cinéma et parfois aux communiqués et aux informations locales qui occupent également la page 3. La page 4 est consacrée à la culture alors que la cinquième est constituée de petites annonces, des annonces légales, l’horoscope et les faits divers. La page 6 est destinée aux sports.

Sur le plan du contenu, le journal est presque la reprise de dépêches et des communiqués. Pire, l’on considère que « Paris-Dakar publiait des

pages entières qui ne sont que des reprises de journal français «France- Soir», de «Paris-Presse» et rapporte des potins et des spectacles de la vie

parisienne »185. Et rarement les nouvelles locales ont fait une des journaux

d’avant indépendance. Car «la presse eut aussi bien souvent pour matière

principale (…) les préoccupations du colonisateur bien plus que celles des

autochtones»186, fustige l’auteur anonyme de «La presse au Sénégal».

Malgré tout Paris-Dakar comble une lacune en se muant en quotidien. Il permet à ses lecteurs d’être au contact quotidien avec l’actualité. Le journal de Charles de Breteuil complète ainsi le paysage médiatique qui dispose depuis 1937 l’ensemble des catégories de journaux en matière de périodicité. Du quotidien à l’annuel en passant par les hebdomadaires, le tableau médiatique du Sénégal colonial est maintenant complète. Il restait aux propriétaires et aux gens des médias de s’inscrire dans la durée et à améliorer l’environnement économique et financier de ce paysage médiatique. Ils devaient aussi se battre pour améliorer et renforcer la liberté d’expression qui est fondamentale pour leur survie et permettre à la future génération de promoteurs de presse de trouver un terrain plus ou moins labouré. D’ailleurs c'est ce paysage médiatique avec ses avancées et ses défauts que le Sénégal indépendant va hériter. En attendant, jetons un regard sur les autres catégories de journaux du tableau médiatique.

185 La presse au Sénégal, Op.cit., p.109 186 Ibidem, p.109