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6 Les Médias face à la diffamation

L'une des principales raisons de la convocation des journalistes devant les tribunaux concernent généralement les faits divers. Ils opposent des personnalités aux journalistes, notamment de la presse dite « people ». Celle-ci a connu un développement fulgurant durant les années 2000. Souvent les chefs d'accusation retenus contre ces médias, c'est la

des procès ont été intentés contres les journalistes et leur rédacteurs en Chefs. Le code pénal pénalise la diffamation en son article 258 du Code pénal qui stipule que la diffamation est : «toute allégation ou imputation

d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (…). Lorsqu’elle est commise par un moyen de diffusion publique, la diffamation est punissable, même si elle s’exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue

possible »140. Selon Article 19, qui est une association qui défend les

libertés, « la diffamation est presque systématiquement invoquée contre les

journalistes. Le critère de la diffamation, dans le droit sénégalais, n’est pas dans l’exactitude ou non de la déclaration ou de l’information. Il est dans le fait de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui. Un fait peut donc être exact en soi, mais si sa divulgation a pour résultat de porter atteinte à la réputation d’une personne, il constitue une diffamation punie par la loi. Lorsque cette information est divulguée par un moyen d’expression publique, elle est punissable même si cette divulgation a été faite de manière dubitative, c’est-à-dire éventuellement avec des

réserves»141. C'est l'une des raisons de la bataille des journalistes

sénégalais pour dépénaliser les délits de presse. Un projet de code sur la presse a été élaboré et attend d'être présentée à l'Assemblée nationale pour vote. Cette dépénalisation est proposée afin que les journalistes ne soient pas emprisonnés pour leurs écrits. A la place, de fortes amendes sont proposées.

Mais en attendant, plusieurs d'entre eux sont attraits devant la barre pour diffamation ou atteinte à la vie privée. Et les cas sont nombreux. Parmi lesquels celui du ministre de l'Économie maritime, Djibo Kâ, qui a porté plainte contre le quotidien Le Populaire pour diffamation. L'article incriminé portait comme titre «Ce que Djibo Kâ savait...». Il a été écrit le vendredi 3

140 http://www.article19.org/data/files/pdfs/publications/sengal-liberte-d-expression.pdf 141 Idem

août 2007. L'article incriminé informe que des trafiquants de drogue avaient créé des sociétés écrans pour exploiter des «crevetticultures» à Ndandane Sambou. Le journal ajoutait que c'est le ministre d'Etat, Djibo Kâ, qui aurait donné l'autorisation pour exploiter ces «crevetticultures». «Au début du

mois de juillet [2007], et en une semaine, la Gendarmerie démantelait un réseau très dense de trafiquants de drogue qui couvraient leurs activités grâce à plusieurs sociétés écrans montées dans le cadre de ce trafic. Parmi ces couvertures, un projet en crevetticulture monté à dessein afin de maquiller le trafic dans le village de Ndangane Sambou (Communauté rurale de Fimela, région de Fatick). La Gendarmerie a éventé le coup. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Economie maritime, Djibo Leyti Kâ, se faisait limoger de son poste en permutant avec le ministre d’État, ministre de l’Environnement et de la Protection de la nature, Souleymane Ndéné Ndiaye. Si son implication réelle dans les opérations montées par les trafiquants reste à être prouvée, il demeure qu’il a donné son accord à

l’installation du projet de crevetticulture à Ndangane»142, soutient l'article.

Qui ajoute : «en l’état actuel de nos investigations (qui se poursuivent), on

peut bien dire que les soupçons sont bien grands qu’au niveau de l’État, en

tout cas, l’on a bien fermé les yeux»143. Suffisant pour que le ministre Djibo

Kâ décide de porter plainte contre l'auteur de l'article, Pape Sarr et son directeur de publication Yakham Mbaye Thiam. Car les avocats de M. Kâ considèrent que l'article est composé « [d]'allégations » mettant en cause leur client par des «insinuations ou sous la forme interrogative». Il estime ainsi que leur client est diffamé également par un autre passage laissant croire qu’il a été question d’un rapport qui serait une «béquille scientifique» dont le but serait d’avaliser «un projet sérieux de blanchiment de l’argent

sale et de trafic de drogue». Le plaignant fait une liaison entre ces

«accusations» et son statut de ministre d'État, ministre de l'Économie maritime qu'il occupait au moment des faits. Les avocats du ministre

142 Le Populaire du 3 août 2007 143 Le Populaire du 3 août 2007

estiment que les mises en causes ont fait preuve d'une «méchanceté

manifeste» en écrivant leur article avec «une intention de nuire» leur client

et de «discréditer avec lui tout un État». Pour eux, l'auteur de l'article insinue que M. Kâ serait impliqué, en sa qualité de ministre, dans une histoire de trafic de drogue et qu’il serait auteur ou bénéficiaire de pratiques illicites de blanchiment d’argent.

C'est pour toutes ces raisons que les avocats du ministre ont demandé au juge la condamnation du directeur de publication Yakham Mbaye et Pape Sarr, poursuivi pour complicité, et la société «7 Editions Sa», éditrice du «Populaire», à lui allouer juste le franc symbolique à titre de dommages et intérêts pour un préjudice qualifié d'extrêmement grave. La partie civile sollicite également la suspension du «Populaire» pour une durée de trois mois, assortie d'une exécution provisoire. Djibo Kâ, voulait aussi que la décision du juge soit publiée dans neuf quotidiens sénégalais et dans des journaux étrangers comme «Jeune Afrique L’Intelligent», le quotidien français «Les Echos», les journaux britanniques «The Times» et «The Financial Times» et le «New York Times» des États-Unis.

Les avocats des journalistes ont essayé de briser le lien que leurs collègues de la partie civile ont voulu établir entre les activités des trafiquants de drogues et le titre de l'article mis en cause. Pour eux, les journalistes ont fait preuve de sincérité. Par conséquent ils ont demandé la relaxe de leur client au moment où le procureur de la république a demandé l'application de la loi. Finalement le tribunal a tranché le 27 novembre 2008 en faveur des journalistes. L'appel des avocats devant le tribunal d'appel de Dakar ne changera pas la décision prise en première instance.

Une autre affaire opposa le maire de Bambey (centre du Sénégal, NDLR), Mme Aïda Mbodj et l'hebdomadaire Weekend magazine. Le maire se dit injurier dans l'article de Mame Seye Diop intitulé «Les dessous de

Aïda Mbodj» avec une photo du maire projetée à la «une» du magazine.

Dans l'article, on pouvait lire les extraits suivants : «office de porteur d’eau

que cache sa vie de femme ?». «A la loupe, elle présente plutôt un Cv, une vie sentimentale d’actrice de télénovela et une carrière politique remplie de reniements inavouables et de reniements politiciens, [Aïda Mbodj] aurait laissé sa vie amoureuse sur la mode des montagnes, des unions calculées

pour se tirer d’affaire et échapper ainsi aux contingences...»144. Le

magazine dit qu'elle s'est mariée avec un «mécène à même de la faire sortir

des difficultés financières qu’elle traverse». Toutefois, il «n’était pas son idéal d’homme». Car c'est une union «arrangée par sa mère». Mme Aïda

Mbodji, ancien ministre, au moment où nous écrivons ces lignes, considère ces propos suffisamment injurieux pour saisir la justice. L'auteur de l'article, absent lors du procès pour cause d'études en France, c’est le directeur de publication, Pape Samba Diarra et l'Administrateur du Groupe Avenir Communication, Madiambal Diagne, éditeur du magazine, qui ont répondu à la barre. Ce procès a été marqué par plusieurs incidents. Quand les avocats du maire évoquent la vie privée de leur client, les journalistes, eux, soutiennent qu'on est en «démocratie». «Nous sommes en démocratie»,

rétorque Pape Samba Diarra. Et le président de la cour de lui répliquer que

la démocratie ne permet pas tout et que chacun a droit à un jardin secret. Le parquet prend la parole pour marteler : «votre devoir d’informer ne vous

donne pas le droit de juger sa vie privée». Me Khassim Touré, avocat des journalistes, bondit, pour répondre au magistrat: «donc, vous avez jugé !». Et c’est parti pour un incident entre les deux camps qui a poussé le tribunal

à suspendre l’audience»145. Les journalistes ont soutenu qu'ils n'ont écrit

que le dixième de ce qu’ils ont collectés sur Mme Mbodj.

A la fin des plaidoiries, les avocats du maire ont réclamé 500 millions francs Cfa (762245,086 euros, NDLR) pour dommages et intérêts parce que la plaignante serait injuriée et diffamée. Quant à la défense, elle demande la relaxe ou l'application bienveillante de la loi. Mais le tribunal correctionnel de Dakar a condamné, le 16 juin 2009, les journalistes Pape Samba Diarra

144 Le Soleil du 22 avril 2009 145 Le Soleil du 25 mai 2010

et Mame Seye Diop à trois ans ferme et 10 millions de dommages et intérêts à payer à Mme le maire Aïda Mbodj.

Le même Week-end Magazine va être encore poursuivi par Oumou Kaltoum Ndiaye, vendeuse de vêtements. Elle accuse le magazine d'avoir publié une de ses photos en compagnie de Pape Mbaye, considéré comme un homosexuel. «Mon chiffre d'affaire a beaucoup baissé à cause de cette

photo»146, soutient la plaignante. Mais pour les responsables de

l'hebdomadaire, la dame «était co-organisatrice» de la manifestation lors de laquelle la photo a été prise et qu'ils ont toujours publié ses photos sans qu'elle ne proteste. Pour eux, si la dame se plaigne aujourd'hui, c'est parce que «Pape Mbaye est un pestiféré. Toutes ses amies le fuient pour ne pas

se compromettre en s'affichant avec lui»147.

Le verdict dans cette affaire est une interdiction de vente de ce numéro et le retrait immédiat du magazine incriminé de tous les kiosques. Ainsi, le juge en charge du dossier a-t-il assigné un huissier de justice afin de procéder au retrait du magazine dans les 15 jours qui suivent la décision de justice. Il faut rappeler que ces photos de la dame ont été publiées au moment où au Sénégal, il y avait une levée de bouclier contre les homosexuels. Des journaux avaient publié des photos de mariage d'homosexuels. Ce qui avait soulevé un tollé dans le pays. Ces homosexuels avaient été interpellés, jugés et condamnés avant d'être libérés sur la pression des organisations des droits de l'homme sénégalais et de la communauté internationale.

Plusieurs autres procès opposeront des personnalités publiques contre des journaux. Ce qui pose la question du respect de la vie privée des personnes. Ces différents procès révèlent interrogent les limites de la liberté d'informer. Au Sénégal, même si dans le principe de la loi, rien n'interdit de publier des informations d'intérêt public si elles interfèrent les charges publics de l'individu concerné. L'article 34 de la loi du 22 février 1996 indique que «le

146 Idem 147 Ibidem

journaliste ou le technicien de la communication sociale est tenu de respecter la vie privée des personnes, dès lors que celles-ci n’interfèrent pas avec les charges publiques dont lesdites personnes sont ou prétendent être investies».

Mais pour Marc Antoine Dilahc, professeur agrégé de Philosophie, «dans un

régime démocratique où les citoyens sont destinés à exercés leur autonomie politique, la fonction essentiel de la presse consiste à leur donner les moyens de développer leur sens critique, d'évaluer leurs représentants et leurs administrateurs, et de former leur jugement politique. Il est par conséquent indispensable que la presse puisse fournir des informations pertinentes sans dissimuler des faits déplaisants, par prudence, par crainte ou par déférence à

l'égard d'un pouvoir illimité»148. Le philosophe, répondant au député de Seine–

Saint–Denis, Eric Raoult, sur la diffamation, soutient que «si elle diffame une

personne privée alléguant de manière erronée des comportements et des actes qui suscitent des jugements dégradants et portent atteinte à son honneur, la

presse ne peut réclamer l'indulgence judiciaire»149. Avant d'ajouter : «Toutefois,

contrairement à ce que soutient monsieur Raoult, entre autres, ces mêmes principes ne peuvent pas être opposés à la liberté de la presse quand celle-ci enquête sur de fait de nature publique dont les auteurs sont des personnes publiques, c'est-à-dire des personnes dotées d'une charge politique, administrative ou judiciaire. Or, il arrive que, dans son désir de faire émerger le vrai, la presse divulgue des informations insuffisamment vérifiées, commette des erreurs, et mêle des faits incertains à des faits avérés. Si on la condamnait à chaque fois qu'elle se rend coupable d'erreurs de bonne foi, on ne produirait

qu'un seul effet : la censure de la presse par son autocensure»150.

En tous les cas, au Sénégal, la presse, notamment people, est souvent devant la barre pour diffamation ou atteinte la vie privée. Et les montants demandés pour réparer les préjudices réclamés par les plaignants sont tellement exorbitants qu'on se demande si l'objectif visé n'est pas

148 http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/16/il-faut-defendre-la-liberte-de-la-presse_1388706_3232.html 149 Idem

simplement de détruire l'entreprise de presse. Et surtout, ce sont des hommes publics, dans le sens défini par M. Dilhac, qui réclament ces fortes sommes. Par exemple, Me Massokhna Kane, avocat, président d'une association de consommateur, ancien ministre et Chef d'un parti politique finalement dissout dans le parti démocratique sénégalais au pouvoir, a réclamé 700 millions francs CFA (10 millions 671 mille 431 euros, NDRL) au quotidien Le Populaire et la suspension pendant six mois du directeur de publication d'exercer ses fonctions. Les journalistes ont été condamnés trois mois de prison avec sursis et un million d'amende.

Heureusement, rarement le tribunal suit les réquisitions des avocats de la partie civile. Sinon, les journaux sénégalais auraient tous disparu.

Qu'en sera-t-il si l'on dépénalise les délits de presse et qu'on renforce les peines pécuniaires ?

DEUXIÈME PARTIE : Tableau