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3 Parcours d’homme de troupe

Les parcours d’un 2e classe, parachutiste au 2/1e RCP, ou d’un légionnaire au

3/13e DBLE, peuvent-ils être aussi représentatifs des hommes de Diên Biên Phu, que les deux

exemples précédents ? Ernest Duffort130 et Eugen Brause131 représentent en effet une

catégorie de combattants de Diên Biên Phu méconnue et presque anonyme. Ils sont de la

130 Entretien avec Ernest Duffort réalisé le 7 février 2003. 131 Eugen Brause, op. cit.

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masse des hommes de troupe composant la majorité de « Ceux de Diên Biên Phu », des quelques 13 026 hommes de troupe engagés à Diên Biên Phu.

Le 2e classe Duffort, éclaireur de pointe au 2/1e RCP, incarne une petite minorité,

silencieuse et méconnue parmi les combattants de Diên Biên Phu, celle des hommes de troupe de la catégorie des « français ». Engagé à 18 ans, il a la ferme volonté de devenir parachutiste, comme un défi personnel, attiré par ces unités d’élite. Affecté au 2/1e RCP du Commandant

Bréchignac, il ne fait qu’un seul séjour en Indochine de décembre 1952 à octobre 1954. Son expérience indochinoise s’est faite rapidement lors des opérations au Laos ou de l’opération « Camargue », fin juillet-début août 1953, dans lesquelles est engagé son bataillon. Son Avant - Diên Biên Phu est donc relativement court, puisque son engagement s’est fait peu de temps avant son envoi en Indochine. Il fait sans doute partie, de cette part de la jeune population d’après-guerre qui n’avait pas ou peu de formation, qui voulait trouver une autre vie loin de la Métropole, et qui s’est laissé tenter par l’aventure Indochinoise.

L’Avant – Diên Biên Phu du légionnaire Eugen Brause ressemble fort au précédent. Engagé très probablement à la même période et au même âge132, il ne fait qu’un unique séjour en

Indochine au sein de la 2e section de la 12e Cie du 3/13e DBLE, et participe ainsi aux combats

autour d’Hoa Binh fin 1952, du Delta et de Na San en 1953. Il appartient lui aussi à la part de la jeunesse allemande, perdue, sans avenir, sans véritable formation, engagé dans la Légion pour s’assurer un autre avenir.

Le 2e classe Duffort effectue un premier saut sur Diên Biên Phu lors de l’opération

« Castor » le 20 novembre 1953, reste dans le Camp retranché jusqu’en décembre, date à laquelle son bataillon retourne vers Hanoï. Il revient ensuite, en unité de renforts, et fait partie des parachutistes de son bataillon largués dans la nuit du 4 au 5 avril 1954. Le légionnaire Brause arrive à Diên Biên fin novembre-début décembre 1953133, et y reste jusqu’à sa capture

au cours des combats sur « Béatrice » entre le 13 et le 14 mars. Il est tout de suite emmené en direction d’un camp de prisonnier, le camp 122. Ernest Duffort est lui, fait prisonnier le

132 Engagement évoqué dans le Chapitre 2, II. Un soldat type Diên Biên Phu, au sujet des origines géographiques

et du recrutement des légionnaires, p. 55.

133 Dans ses mémoires, Eugen Brause indique qu’il est arrivé à Diên Biên Phu le 23 novembre 1953 ; cette date

ne semble pas correspondre aux dates d’arrivée de son bataillon, officiellement notées entre la fin du mois de novembre et le début du mois de décembre par les autorités FTNV.

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vendredi 7 mai vers 10h, et est tout de suite éloigné de Diên Biên Phu sur les routes menant au camp 75.

De retour en Métropole, après un temps de repos nécessaire, ils sont tous deux réaffectés et participent à la guerre d’Algérie. Eugen Brause y finit son engagement en mars 1956 avec le grade de Sergent, au 3e REI.

Marqués par leur expérience, le parachutiste, vouant « une haine farouche »134 aux

communistes, n’a jamais voulu retourner au Viet Nam, et le légionnaire, rentré en RFA, s’est installé à Coblence, où le fait d’avoir été dans la Légion ne lui a pas facilité sa réinsertion allemande. Ils n’ont jamais non plus vraiment lié de contacts avec des Anciens de Diên Biên Phu spécifiquement ; Eugen Brause fait par contre partie de l’Amicale de la Légion étrangère de sa région.

Ces profils de combattants se ressemblent malgré leurs apparentes différences. Ils correspondent bien tous deux à un ensemble : jeunes combattants engagés volontaires, ils ont recherché une certaine reconnaissance qu’il ne pouvait plus avoir chez eux, l’un chez les parachutistes, parce que quand on est para, on est de fait considéré comme faisant partie des meilleurs ; l’autre à la Légion parce que étrangère. Leur Avant - Diên Biên Phu représente bien la part de la jeune population engagée à Diên Biên Phu, n’ayant pour autre expérience que les quelques mois passés en Indochine. Ils font partie des quelques 20 % de l’échantillon d’étude nés au début des années 1930. Leurs Après, sont tout aussi génériques : prisonniers (certes à des moments différents), libérés, ils sont des expériences algériennes, dont l’un ne parle que très peu, et l’autre d’une manière très différente de son expérience indochinoise, parce que d’après lui, « […] Diên Biên Phu avait changé le visage de la légion étrangère. […] De la camaraderie qui en Indochine avait été un élément vital dans les unités, [en Algérie] il n’en restait plus rien »135. Diên Biên Phu a bien marqué les hommes, leur vie, et au-delà,

l’Armée elle – même.

134 Expression issue de son témoigne de 2003.

135 E. Brause, op. cit., p. 92: « […] Diên Biên Phu das Gesicht der Legion verändert hatte. […]Von der

Kameradschaft, die in Indochina in den Einheiten überlebenswichtig war, war hier [en Algérie] nichts zu spüren.”

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Parachutiste et Légionnaire, ils sont finalement de ceux dont on parle le plus, parce qu’appartenant à des unités connues et reconnues, mais sans jamais les nommer en tant que combattant, ni en tant qu’individu. Ils donnent l’impression d’avoir été fondus dans la masse silencieuse de « Ceux de Diên Biên Phu ».

Les combattants de Diên Biên sont en effet parfois bien difficiles à saisir au travers de leurs parcours de vie militaire. Ceux que nous avons étudiés correspondent tout de même à chaque fois à un profil minoritaire dans le Camp retranché : celui des officiers structurellement moins nombreux, ou celui de l’homme de troupe, considéré comme minoritaire ici, parce que français. La masse des combattants de l’Union française et légionnaires étrangers, est beaucoup plus difficile à appréhender, du simple fait du manque de témoignages et la difficulté à les retrouver.