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4 Autres bataillons de Diên Biên Phu

Face à ces unités présentées, vécues et considérées comme de véritables monuments de cette Armée française, les unités de tirailleurs ne sont pas en reste. Ils ont aussi leurs symboles propres et leurs signes de reconnaissance. Leurs devises sont souvent inscrites en arabe, sur leurs insignes, mêlant également, symboles musulmans et éléments de rattachement à la France. Dans leurs uniformes de parade, les chèches remplacent les képis blancs et autres bérets verts ou rouges. Les références y sont donc différentes, la mentalité aussi.

« Un légionnaire se bat pour la Légion, un chasseur se bat pour son bataillon […]. Un tirailleur marocain se bat pour son chef »52. A chaque unité sa motivation pour le combat.

L’idée étant de comprendre jusqu’où peut aller l’engagement des soldats et surtout pour qui, ou quel idéal. Tout ceci sous-entend bien sûr, que selon la mentalité de chacun, ils iront tous jusqu’au sacrifice suprême, mais pour une idée bien précise et particulière, un idéal différemment forgé. Serge Fantinel qui, à Diên Biên Phu, était Sergent, chef d’une section au 1er bataillon du 4e Régiment de Tirailleurs Marocains, explique que, dans ces unités, la

motivation supérieure au combat, reste la figure du chef. Or, plusieurs niveaux de chefs peuvent être aperçus dans la hiérarchie d’un bataillon. Le chef de section est celui qui reste le plus proche des tirailleurs, celui avec lequel ils vont au combat. Puis vient le commandant de compagnie et, enfin, le chef de bataillon. Il existe bien une forme de forte camaraderie mais elle est très hiérarchisée, et détermine donc l’engagement au combat. Pour que cela fonctionne, l’ancienneté des cadres et la connaissance qu’a le chef de cette « Caïda » marocaine, sont fondamentales. La « Caïda », « désigne à la fois la tradition, le comportement à adopter, et surtout le règlement »53 qui président au fonctionnement des bataillons

marocains. Les jeunes lieutenants fraîchement arrivés de Métropole et affectés chez les tirailleurs n’ont pas forcément réussi à motiver leurs troupes et à les mener au combat. Mais

52 SHD, T1155, Une section de Marocains à Diên Biên Phu, par le chef de bataillon Serge Fantinel, 1954, don

de Serge Fantinel, entré en 2000.

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lorsqu’un ancien Lieutenant54, qui a fait la campagne d’Italie déjà dans une unité de tirailleurs marocains, est envoyé à Diên Biên Phu pour remplacer un lieutenant blessé et évacué dans cette même unité, le moral se renforce et le sacrifice redevient possible. Quand de plus, ce dernier parle l’arabe, il incarne dès lors le chef supérieur auquel on accorde facilement sa confiance, ce qui renforce d’autant plus l’esprit de corps.

L’esprit de corps existe aussi dans ces unités de tirailleurs mais il s’y exprime différemment. Bien qu’ils existent depuis plus longtemps que les bataillons paras et même pour certains, de Légion, évoqués précédemment, et qu’ils ont également participé à la Première Guerre mondiale, les bataillons de tirailleurs ont aussi gagné leurs heures de gloire et forgé leur corps, au cours d’un passé récent, d’une dizaine d’années tout comme pour les parachutistes, mais particulièrement intense.

Le 1er bataillon du 4e Régiments de Tirailleurs Marocains est la seule unité de tirailleurs

marocains à Diên Biên Phu. En activité au début de la Première Guerre mondiale, il est complètement anéanti et disparaît jusqu’à une reformation et une nouvelle appellation en 1920. Devenu officiellement le 4e RTM dans l’Armée d’Afrique à partir de 1929, il est l’un

des bataillons de tirailleurs les plus connus de la Seconde Guerre mondiale pour s’être distingué à Monte Cassino, au Garigliano puis dans les campagnes de France et d’Allemagne. Cette expérience difficile et intense lui a renforcé sinon donné, une cohésion. Il est désigné pour l’Indochine en 1947 et est recomplété constamment, tout au long de la guerre d’Indochine, par des envois de tirailleurs tous issus de la région de Taza55, base historique du

régiment. Le 1/4e RTM arrive à Diên Biên Phu à la mi-janvier 1954, composé pour un grand

nombre d’Anciens d’Italie et de France, de Cao Bang, Langson, et Vinh Yen, donc également

venus d’autres bataillons ou régiments. Ce bataillon a été, une fois encore, presque entièrement anéanti par la bataille et la captivité.

Les bataillons de tirailleurs algériens sont plus nombreux à Diên Biên Phu. Le 1er RTA

est créé en 1840 et basé à Blida, le 3e fondé en 1856, est à Bône, et le 7e, créé en 1913, est

basé à Constantine. Ils participent activement aux combats de la Première Guerre mondiale ; ils sont de toutes les grandes batailles chaque année : Marne, Champagne, Verdun… Puis ils

54 Ibid ; il s’agit du lieutenant Maurice Nicod qui a remplacé le lieutenant Gauquelin gravement blessé et évacué,

comme commandant de la 2e compagnie.

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participent aux campagnes de l’entre-deux guerres, ainsi qu’à celles de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement, en Tunisie, en Italie et en France. Ils s’illustrent particulièrement à Monte Cassino et au Garigliano. Autre exemple de continuité, le 3e Régiment de Tirailleurs

Algériens a été dirigé entre septembre 1943 et septembre 1944, par le colonel de Linarès, que l’on retrouve en tant que général commandant en chef des FTNV en 1952-1953. Les hommes et les bataillons se suivent. L’enchainement des conflits dans lesquels la France est engagée, amène naturellement à un engagement constant des unités de tirailleurs coloniaux dans ces mêmes conflits. Ils participent donc tous à la guerre d’Indochine dès 1947. Le 2e bataillon du 1e RTA arrive en Indochine en 1949 et fait toute sa campagne au Tonkin. Cette continuité de

l’engagement des bataillons et des hommes, ainsi que la continuité du recrutement régional de ces soldats tout au long de leurs années d’existence, ont permis un renforcement et une transmission d’un esprit de corps et de mémoires propres aux tirailleurs, vécus et enseignés par les plus anciens aux nouvelles recrues.

Les perceptions, traditions et symboles des artilleurs des unités dites sénégalaises, des bataillons thaïs et des compagnies de supplétifs sont beaucoup plus difficiles à appréhender. Les quelques informations dont nous disposons à leur sujet ne sont le fait que de leurs composantes françaises.

Les unités dites sénégalaises correspondant dans les effectifs officiels aux « Africains », font partie, à Diên Biên Phu, des Régiments d’Artillerie Coloniale (RAC) : le 2e bataillon du

4e RAC et le 3e bataillon du 10e RAC ; le 4/4e RAC est composé de soldats Marocains. Tous

comme pour les tirailleurs, il semble que leur cohésion soit liée en grande partie à leur recrutement régional commun. Ils se reconnaissent dans cette appartenance à une même

région (comme le 1/4e RTM de Taza, ou le 2e Tabor composé de Berbères), ainsi que dans

leurs expériences combattantes précédentes. Leur esprit de corps est lié à la confiance qu’ils accordent à leurs chefs. Les témoignages d’artilleurs, tous encadrants officiers français56,

précisent que leurs artilleurs sénégalais leur ont toujours été fidèles et prompts à les défendre. Les rapports sur l’état d’esprit et le moral57 réalisés en bases arrière montrent également que

56 Notamment Jacques Lepinay, lieutenant au 3/10e RAC. 57 Cf. SHD, 10H389, dossier 4e RAC.

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leur cohésion et leur engagement au combat étaient en partie dues à une animosité à caractère ethnique, existant entre Vietnamiens en Africains.

Les bataillons thaïs ont été créés par les autorités françaises pour exploiter les antagonismes préexistants entre Annamites dominant les pays indochinois, et les minorités ethniques régionales. Ces bataillons, créés en 1949, sont des bataillons d’infanterie coloniale intégrés aux troupes de l’Union française, formés d’autochtones réguliers encadrés par des Français. De ce fait, les bataillons thaïs créés par un recrutement volontaire local, sont

composés d’hommes originaires des mêmes districts ou des mêmes villages du Pays Thaï. À

Diên Biên Phu, ils auraient pu être comme chez eux. Ce ne fut pas tout à fait le cas pour le BT3 : Diên Biên Phu et sa région proche n’étaient pas les zones de recrutement du bataillon ce qui fait qu’ils n’étaient pas plus chez eux ici qu’ailleurs à l’ouest du Tonkin. Par contre, ils ont une capacité de reconnaissance assez précise du terrain. Leur zone d’origine est la province de Son La, voisine de celle de Diên Biên Phu, plus précisément de Moc Chau éloigné d’environ 300 km au sud-est de Diên Biên Phu. « Nos Thaïs ne sont pas, sauf minorité, des guerriers très aptes au combat individuel. Ils ont besoin au combat de se sentir les coudes »58. L’esprit de corps pour eux, se rapproche plutôt de l’esprit de village d’origine.

La motivation au combat est l’espoir de retour à la terre et vers sa famille, et la haine du Vietnamien, considéré comme un envahisseur occupant leur territoire ; c’est aux cadres français de s’adapter à cet état d’esprit pour les mener au mieux, ensemble, au combat.

Le cas des Groupements Mobiles de Partisans Thaïs (GMPT) est encore plus singulier. Un accord passé entre les autorités françaises et la Fédération thaïe a permis en juin 1953 au général Cogny de signer un protocole pour constituer ces Groupements Mobiles, destinés en priorité à défendre le Pays Thaï59. Ils sont aux ordres directs du président de la Fédération

thaïe et encadrés par des Thaïs. Il existe cependant un Etat-Major français, réduit, pour assurer la liaison avec le président thaï, et le GMPT est rattaché administrativement, et logiquement, à la Zone opérationnelle du Nord-ouest. Les trente-deux Compagnies de supplétifs militaires (CSM) de Diên Biên Phu60 font partie de ce GMPT. Quatre d’entre-elles, n° 431 à 434, ont été

58 SHD, 10H 374, Dossier bataillons thaïs, FTNV, BT3, n°175, rapport sur le moral du 2 semestre 1953, par le

capitaine Archambault, daté du 9 décembre 1954.

59 Pour une brève histoire du Pays Thaï, Cf. Annexes, p.436.

60 Les CSM repliées de Lai Chau lors de l’opération Pollux et les CSM de partisans thaïs noirs créées à Diên

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créées sur place en décembre 1953. Elles sont composées de partisans de l’ethnie des Thaïs noirs originaire de la région de Diên Biên Phu et qui étaient prisonniers du Viet Minh, libérés au moment de l’opération « Castor ». Cette composante de la garnison ainsi que leur organisation et leur utilisation au profit du Camp retranché, ont été intégrées au dispositif de Diên Biên Phu dès l’opération « Castor »61, tout en insistant bien sur leur statut particulier et la nécessité de préserver cette autonomie, même au sein de la garnison du Camp retranché. Le lieutenant Wième qui les a commandées à Diên Biên Phu en a détaillé l’organisation62.

Chaque Compagnie de Supplétifs Militaires est commandée par un Thaï dont le grade équivaut à celui de sous-lieutenant, et comprend six sergents, huit caporaux et quatre-vingt- dix supplétifs. Elles ont principalement été stationnées dans le Centre de résistance « Isabelle », notamment sur un Point d’appui en bordure est du Centre de résistance appelé « PA Wième » ou « Isabelle 5 » à partir du 23 janvier 1954. Auparavant elles étaient dans le secteur central. Les supplétifs étaient peut-être encore plus que leurs « compatriotes » des bataillons thaïs, attachés à leur terre, à leurs villages et à leurs familles, qui par ailleurs étaient de fait beaucoup moins éloignées, et parfois même à côté d’eux si ce n’est avec eux à l’intérieur des dispositifs militaires. Leur motivation au combat semble avoir été cet attachement à leur communauté, renforcé par la même haine qu’ils éprouvent envers l’envahisseur Vietnamien. Par ailleurs, les accords signés entre la Fédération thaïe et les autorités françaises confirment leur engagement (obligatoire) auprès des Français.

61 PA7-7, dossier copie des ordres ou documents, Directives politiques et administratives pour l’opération

« Castor », n° 412/FTNV/GENE/T.S., Hanoï, 14 novembre 1953 ; il y est notamment prévu le « recrutement immédiat et l’organisation dans les délais les plus rapides de cinq compagnies de partisans. »

62 SHD, Fonds Privés, T 1107 : journal de marche et opérations du groupement Wème, GMT 5 à Diên Biên Phu,

pendant la campagne du 1er décembre 1953 au 31 mai 1954, par le lieutenant Réginald Wième de Ruddere

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