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1 Combattants, au combat !

« La vie quotidienne à Diên Biên Phu, c’est avant tout, le bruit, la fureur, la souffrance et parfois, la mort »202. Il est a priori effectivement difficile d’imaginer autre chose

que cela quand nous parlons d’une bataille. Retracer les conditions des combats, reste bien entendu, la première chose à faire pour décrire la vie des combattants dans une bataille.

L’organisation même des combats a de fait généré une vie incessante de combats, ce qui est par ailleurs la vocation première de la garnison de Diên Biên Phu. Les attaques sont préparées en journée par des salves d’artillerie régulières, et, à partir du 13 mars, les soldats sont constamment dans l’attente de l’attaque générale du soir, vers 17 heures, moment où le soleil se couche. Ils passent donc les quelques heures d’accalmie du plein jour à préparer les munitions, garnir d’obus les alvéoles des artilleurs, et quand la nuit tombe, ils sont tous à leurs postes de combat. Le passage à la vie de combats se fait, tout comme l’ont été les mois précédents, dans l’attente, mais la nature de cette attente a alors réellement changé. Attente pour les combattants qui ne savent pas vraiment dans les premiers jours des combats où sera dirigée la prochaine attaque. Attente des ordres pour éventuellement organiser puis partir en contre-attaque. Attente, jusqu’au déclenchement des hostilités, qui de l’avis de tous, sont particulièrement dures et violentes.

De la même façon que la vie passe de celle d’une garnison à celle d’un corps de bataille, le lieu, de camp de vacances se transforme en champ de bataille. Et les activités de remblaiements et terrassements n’ont ainsi jamais vraiment cessé, même pendant la période de bataille. En mars, quand les premières unités de renforts reviennent à Diên Biên Phu, elles

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n’ont pas l’impression de revenir dans le lieu qu’elles avaient contribué à organiser et implanter fin novembre et début décembre 1953. L’évolution des combats a imposé de nombreux remaniements d’organisation des Points d’Appui et des Centres de Résistance. Par exemple, dès le 18 mars, les PA « Anne-Marie 3 et 4 » deviennent « Huguette 6 et 7 ». Un mois plus tard exactement, le 18 avril, décision a même été prise de construire un tout nouveau PA pour réorganiser le réduit central : « Opéra » est installé à l’est d’« Huguette 1 », de l’autre côté du terrain d’aviation203, et est destiné à renforcer le dispositif nord du réduit central. Les travaux incessants avant la bataille, se poursuivent donc entre les attaques lorsqu’un point d’appui connaît une période de relative accalmie et il n’est pas difficile d’imaginer l’état des lieux après les bombardements et les premiers combats. Le Génie ne suffit plus à tout remettre en état et tous reconnaissent que les blockhaus construits n’en ont que le nom et l’apparence, et que le rôle protecteur des abris s’est avéré nul. Alors, les soldats continuent le jour, les attaques ayant lieu généralement jusqu’à la fin avril, de nuit, de remettre en état les abris effondrés, de les renforcer, avec les matériaux disponibles, c’est-à- dire, à ce moment-là, beaucoup de sacs ou tout autre contenant récupérés comme des caisses de ravitaillement, remplis de terre. À tout cela il faut ajouter les ouvertures de route et le rebouchage des tranchées, que les nombreux soldats Viet Minh ont creusées toute la nuit : encore des terrassements et autres remblaiements, qu’il faut de plus en plus organiser en véritables opérations. Finalement les travaux sont incessants, avant comme pendant la bataille.

Il en est de même pour les sorties et activités de reconnaissance, de plus en plus resserrés toutefois, aux alentours du Camp retranché et des divers Points d’appui. Début avril 1954 encore, des patrouilles trouvent le contact à un ou deux kilomètres seulement autour des Centres de résistance quasiment tous les jours, ou, d’autres fois, ne trouvent pas le contact, mais récupèrent des armes ou des colis parachutés par erreur sur les villages (ou ce qu’il en reste) alentours.

203 SHD, 10H111, ministère de la Guerre, Etat-Major de l’Armée, Campagne d’Indochine, Haut-commissariat de

France pour l’Indochine et commandant en chef ; télégrammes arrivée-départ ; réservé absolu, 2e trimestre

1954 ; dossier DBP – avril 1954 : télégramme arrivée, n° de diffusion 336 RAA, Hanoï 18 avril 1954, de comigal pour Etats associés Paris et Comigal Saigon, signé Bodet.

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Une autre partie des activités inhérentes aux combats est justement celle de la récupération de ces colis de ravitaillement. Cet élément est fondamental pour la survie et le maintien de la garnison, et ce, à tous points de vue : alimentaire, matériel, munitions et médical.

Le ravitaillement de la garnison a été difficilement assuré par l’aviation dans des conditions particulièrement dangereuses du fait de la DCA Viet Minh ainsi que de la météo. Courant avril, « les parachutages de jour puis de nuit, à haute ou basse altitude, deviennent aléatoires ; le ramassage des colis est à lui seul une opération épuisante et coûteuse […] »204.

La piste d’aviation étant rapidement mise hors d’état, le ravitaillement doit nécessairement se faire par parachutages. Les colis ainsi livrés ont été de plus en plus difficiles à récupérer, car les aires de largage devenaient de plus en plus réduites tout comme le terrain français de Diên Biên Phu. Les Prisonniers et internés militaires (PIM) étaient les premiers désignés pour aller récupérer les colis ; parfois, et de plus en plus souvent, les soldats y allaient eux-mêmes. Assurer les parachutages de ravitaillement a été une part non négligeable du combat mené par les groupes de transport contre les forces anti-aériennes du Viet Minh.

Les parachutages à faible altitude ont en effet été une solution proposée et essayée pour tenter d’éviter au mieux la DCA, et pour un certain type d’avion seulement, mais elle s’est rapidement avérée une solution bien trop risquée. Décision a alors été prise de reprendre les parachutages à haute altitude, tout en sachant que les pertes de colis seraient plus élevées, dès le 29 mars 1954, pour les avions C. 47 de transport, puis en avril, pour les C.119. Vus des bases arrière qui assuraient la préparation et l’organisation de ces ravitaillements, les niveaux nécessaires au maintien de la garnison, ont été atteints. La différence pour les combattants, à l’intérieur, se faisait donc au moment des largages ; et de ce point de vue, il est avéré que les niveaux ont été rapidement insuffisants. Les pertes ont été trop importantes. Au même moment que les parachutages deviennent « aléatoires » courant avril, les « niveaux de vivres et de munitions deviennent critiques »205 pour la garnison. En effet, beaucoup de colis

tombent chez l’ennemi, en moyenne 30 % des ravitaillements pour le mois d’avril206. Le

204 SHD, PA 7-7, dossier DBP, Compte-rendu sur Diên Biên Phu, n°10426/FTNV/3.TS ; p. 12. 205 Id.

206 Chiffre donné dans le Compte rendu sur Diên Bien Phu du général Cogny, 13 mai 1954, Annexe II -

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décalage entre le travail effectué par les Compagnies de ravitaillement Air à l’arrière, et le ravitaillement effectivement reçu au front, est important et décisif. Par exemple, le 5 avril 1954 une étude du sous-chef logistique FTNV, indique que pour l’intendance de même que pour les autres services, les niveaux sont assurés par un travail continu, et précise même qu’à ce jour un « blocage [est réalisé] au profit du Gono de toutes les rations conditionnées existant au Nord-Vietnam » 207. Or au Gono, à la date du 30 avril, le stock de vivres est évalué à trois

jours. De ce point de vue strictement alimentaire, il est en tout cas prouvé par d’autres sources que les ravitaillements ont été insuffisants : déjà vers le 20 avril, « Isabelle » ne peut plus assurer de repas chaud à ses combattants, puis quelques soirs, il n’y a plus du tout de dîner possible. Le Camp retranché n’a plus été très longtemps ravitaillé en boîtes de ration marquées « M », c’est-à-dire pour Musulmans, ne contenant notamment pas de viande de porc. De ce fait, et parce que les Marocains notamment étaient réputés pour avoir une foi infaillible, les soldats musulmans de Diên Biên Phu se sont encore moins nourris que les soldats « européens ». Quoiqu’il en soit, musulmans ou non, les ravitaillements en nourriture ont été amoindris par rapport aux besoins en matériel et munitions pour le combat. De ce fait, et aussi par manque de temps, bien des témoins estiment que les repas pendant la bataille étaient devenus de toute façon « symboliques ».