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Outre que le parasitisme a pu être présenté comme un moyen de proté-

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 76-80)

L’ACQUISITION D’UN BIEN

L’INVESTISSEMENT NE PREND PAS NÉCESSAIREMENT LA FORME DE L’ACQUISITION D’UN BIEN

A. L’existence d’investissements offrant une contrepartie incertaine

51. Outre que le parasitisme a pu être présenté comme un moyen de proté-

proté-ger l’investissement en recherche et développement338, deux exemples montrent que le droit du marché saisit la recherche et développement comme un véritable investis-sement339. Le premier réside dans la règlementation d’exemption par catégorie des

331 SEC 1995, préc., § 3.105.

332 P. Teillet, « La mesure du coût des investissements immatériels », Archives et documents, n° 231, 1988, Investissements immatériels et capacités de production, p. 95, spéc. p. 96.

333 A. Vanoli, Une Histoire de la comptabilité nationale, op. cit., p. 389.

334 SNC 2008, préc., § 10.104 : « La R-D doit être reconnue comme faisant partie de la formation de capital ».

335 Règl. n° 549/2013, 21 mai 2013, « relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne », JO 26 juin 2013.

336 Règl. n° 549/2013, préc., art. 2, § 5.

337 Sur cette question, v. infra, titre II.

338 J.-M. Mousseron, « Recherche-développement et parasitisme économique », in Le parasitisme économique, quelles solutions juridiques ?, Gaz. Pal. et Éd. techniques, 1988, p. 29, spéc. n°s 14 et 57.

339 Sur le sens très large à donner aux termes « droit du marché », v. C. Lucas de Leyssac et G. Parleani, Droit du marché, PUF, 2002, p. 3 et p. 108 et s..

accords de recherche et développement (a), le second dans la protection juridique de la recherche et développement médicale (b).

a. L’exemption par catégorie des accords de recherche et développement

52. L’exemption des accords de recherche et développement en raison de leur qualité d’investissement. Chacun sait que dans un régime économique de

concurrence, les ententes sont prohibées. En droit européen, l’interdiction résulte de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que « [s]ont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entre-prises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur… ». Les accords entre entreprises sont donc en principe interdits. Pourtant, lorsque de tels accords portent sur la recherche et déve-loppement, ils bénéficient d’une grande bienveillance de la Commission européenne, qui, dès 1968, indiquait dans une communication qu’ils ne sont pas restrictifs de concurrence340. Par la suite, elle a institutionnalisé sa protection en adoptant en 1984 un règlement d’exemption par catégorie qui évitait aux accords de recherche et développement l’incertitude d’un examen individuel341.

L’actuel règlement d’exemption des accords de recherche et développement date de 2010342. Il déclare l’article 101 inapplicable aux accords de recherche et dé-veloppement343 souscertainesconditionsdansledétaildesquellesilestinutilede s’ap-pesantir ici344. L’important est seulement de relever que si les accords de recherche et développement bénéficient d’un tel régime de faveur, c’est parce que la recherche et développement a pour objet la production de revenus futurs qu’il convient de sécuriser à travers la règle d’exemption. En d’autres termes, il nous semble que l’exception apportée à la prohibition des ententes révèle que la recherche et dévelop-pement n’est pas envisagée comme une opération d’exploitation mais comme une opération d’investissement. Au demeurant, la solution retenue n’apparaît pas surpre-nante puisque la recherche et développement médicale fait également l’objet d’un traitement de faveur.

340 Commission CE, « Communication relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises », JO 29 juill. 1968, spéc. p. 3. Pour un historique de l’exemption des accords de recherche et développement par la Commission antérieurement au règlement d’exemption de 1984, v. B. E. Hawk, « La recherche et le développement en droit communautaire et en droit antitrust américain », RID éco. 1987, p. 211, spéc. p. 241 et s.

341 Règl. n° 418/85, 19 déc. 1984, JO 22 févr. 1985 ; sur lequel, v. encore B. E. Hawk, « La recherche et le développement… », art. préc., p. 247 et s.

342 Règl. n° 1217/2010, 14 déc. 2010, « relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et de développement », JO 18 déc. 2010.

343 Règl. n° 1217/2010, préc., art. 2, § 1.

344 Règl. n° 1217/2010, préc., art. 3 et s. V. en part. L. Vogel, Droit européen des affaires, Dalloz, 2012, n° 632 ; N. Petit, Droit européen de la concurrence, Montchestien, 2013, n°s 1637 et s.

b. La protection juridique de la recherche et développement médicale

53. L’exclusivité commerciale attachée à l’autorisation de mise sur le marché des médicaments orphelins. Les termes « médicaments orphelins »

dési-gnent des substances thérapeutiques qui ne sont pas développées par les laboratoires, soit parce qu’elles touchent un nombre de personnes trop restreint, soit parce que les personnes qu’elles ont pour fonction de guérir sont démunies345, soit en raison de leur toxicité346. Cette situation n’est bien entendu pas satisfaisante et c’est pourquoi la Communauté européenne a créé un régime incitatif dérogatoire. L’élément central de ce régime est la création d’une exclusivité commerciale d’une durée de dix ans. Plus exactement, l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament orphelin in-terdit à l’Union ou aux États membres, eu égard à la même indication thérapeutique, « d’accepter une autre demande d’autorisation de mise sur le marché, d’accorder une autorisationde mise sur le marché ou de faire droit à une demande d’extension d’une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire »347. Ainsi,alorsqu’enprincipel’autorisationdemisesurlemarché a pour fonction d’écar-ter les produits ne présentant pas un rapport satisfaisant entre le bénéfice thérapeu-tique et le risque sanitaire348, il constitue ici un instrument de réservation du traitement d’une pathologie. Or, ce qu’il est intéressant de noter, c’est que ce régime dérogatoire est fondé sur la volonté d’encourager une recherche et développement envisagée comme un investissement. Cela apparaît clairement dans les considérants introductifs du règlement, qui indiquent que l’expérience acquise aux États-Unis et au Japon, où des législations de protection des médicaments orphelins ont été adop-tées, montre que la mesure d’incitation la plus efficace à cet égard est la création d’une exclusivité commerciale pour « un certain nombre d’années au cours desquelles une partie de l’investissement pourrait être récupérée »349.

54. La protection commerciale attachée à la mise sur le marché d’un médicament princeps. Pour s’en tenir à l’essentiel, ce qu’on appelait les «

spécia-lités essentiellement similaires » et qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de « mé-dicaments génériques » sont des répliques de mémé-dicaments innovants (dits princeps) offrant des effets thérapeutiques équivalents350. Ils peuvent en principe être

345 Hypothèse des maladies propres à des pays en développement.

346 M. Aulois-Grillot, « Les oubliés de la santé : à propos des médicaments orphelins et des médicaments pédiatriques », RDSS 2007, p. 613, spéc. p. 614 et 615 ; adde, M-C. Chemtob-Concé, « Le médicament orphelin : un cadre juridique incitatif », Médecine & Droit 2006, p. 176, spéc. p. 177.

347 Règl. no 141/2000, 16 déc. 1999, « concernant les médicaments orphelins », JO 22 janv. 2000, art. 8, § 1. Le médicament similaire est défini comme « un médicament contenant une ou plusieurs substances actives similaires à celles contenues dans un médicament orphelin déjà autorisé et qui a la même indication thérapeutique » (règl. n° 847/2000, 27 avr. 2000, JO 28 avr. 2000, art. 3, § 3, b)).

348 CSP, art. L. 5121-9, al. 1 ; A. Laude, B. Mathieu et D. Tabuteau, Droit de la santé, PUF, 3e éd., 2012, n° 106.

349 Règl. n° 141/2000, 16 déc. 1999, préc., consid. 8.

350 L’équivalence thérapeutique, ou bioéquivalence, par rapport au médicament princeps est « au cœur de la notion de générique » (A. Laude, J.-L. Mouralis et J.-M. Pontier (dir.), Le Lamy Droit de la santé, Wolters Kluwer, 2015, n° 407-35). Mais, en l’état du droit positif la notion suppose également réunis deux autres critères : l’identité de composition qualitative et quantitative en substances actives et

distribués sur le marché dès lors que le brevet et l’éventuel certificat complémentaire de protection sur le produit princeps ont expiré. Leur avantage est d’être relative-ment bon marché en raison du fait que leurs producteurs n’ont généralerelative-ment pas supporté les coûts de développement initial du médicament princeps. Les pouvoirs publics ont donc vu dans ces médicaments un moyen de réduire les dépenses publiques de santé, ce qui les a conduits à en favoriser le développement351.

Dans cette perspective, les législateurs français et européen ont introduit une procédure abrégée d’autorisation de mise sur le marché permettant un lancement relativement rapide des nouveaux génériques. Alors que l’obtention d’une autorisa-tion de mise sur le marché nécessite d’ordinaire la réalisaautorisa-tion d’essais précliniques et cliniques d’une durée moyenne de huit à dix ans352, la procédure abrégée dispense le producteur de génériques de ces démarches puisque l’autorité administrative peut s’appuyer sur les résultats des essais relatifs au médicament princeps353. Il en résulte que l’unique démarche à laquelle le producteur de génériques doit se soumettre en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché est la démonstration de la bio-équivalence entre le produit générique et le produit princeps. Si l’on s’en était tenu à cette évolution, le risque aurait néanmoins été de décourager la recherche et déve-loppement dans le domaine du médicament. C’est pourquoi cette évolution s’est accompagnée de plusieurs dispositifs complémentaires destinés à ménager un équili-bre entre les impératifs de cantonnement de la dépense publique et de promotion de la recherche scientifique.

Désormais, la protection des producteurs de médicaments princeps s’opère sur un double plan. En premier lieu, sur le plan de la protection des données, la dis-pense d’essais précliniques et cliniques ne vaut qu’au terme d’un délai de huit ans à compterdelapremièreautorisationdemisesur le marché du médicament princeps354. La procédure abrégée ne peut donc être entamée qu’après huit années de possible commercialisationdumédicament princeps, ce qui retarde d’autant l’obtention d’une autorisation pour le médicament générique. Ensuite, sur le plan de la protection de l’autorisation de mise sur le marché elle-même, aucune commercialisation d’un gé-nérique ne peut intervenir avant l’écoulement d’un délai de dix ans à compter de l’obtention de la première autorisation de mise sur le marché du médicament

princeps. Par ailleurs, cette durée peut être portée à onze ans si, au cours des huit

premières années, le producteur du médicament princeps obtient une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui apportent un bénéfice clinique important par rapport aux thérapies existantes355.

l’identité de formes pharmaceutiques (C. comm. relatif aux médicaments à usage humain, art. 10, § 2, b), modifié par dir. n° 2004/27/CE, 31 mars 2004, JO 30 mars 2004, art. 1er).

351 A. Laude, J.-L. Mouralis et J.-M. Pontier (dir.), Le Lamy Droit de la santé, op. cit., n° 407-10.

352 A. Robine, « La protection des données d’autorisation de mise sur le marché en droit communautaire », RDSS 2008, p. 1088, spéc. p. 1088.

353 C. comm. relatif aux médicaments à usage humain, art. 10, § 1, al. 1 ; règl. n° 726/2004, 31 mars 2004, JO 30 avr. 2004, art. 14, § 11 ; CSP, art. R. 5121-28, 1°.

354 C. comm. relatif aux médicaments à usage humain, art. 10, § 1, al. 2 ; règl. n° 726/2004, préc., art. 14, § 11 ; CSP, art. L. 5121-10, al. 1.

355 C. comm. relatif aux médicaments à usage humain, art. 10, § 1, al. 4 ; règl. n° 726/2004, préc., art. 14, § 11 ; CSP, art. L. 5121-10-1, al. 1.

La raison d’être de ce régime de protection est claire : il s’agit une nouvelle fois de favoriser, ou du moins de ne pas décourager, une recherche et développement envisagée comme un investissement. En l’occurrence, comme l’écrit un auteur : « le dossier à partir duquel est examinée une demande d’AMM repose sur des données… purement scientifiques. Mais ces données n’en sont pas moins pourvues d’une va-leur économique, dans la mesure où elles résultent des investissements consentis par le laboratoire dans la recherche préclinique et clinique »356. Établir une protection temporaire destinée à permettre une rentabilisation de la dépense initiale semble alors parfaitement justifié et revient indirectement à admettre que la recherche et développement liée à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché est bien constitutive d’un investissement.

On voit donc que l’incertitude sur l’existence d’une contrepartie aux dépen-sesengagéesn’exclutpaslaqualificationd’investissement.Maisil est possible d’aller encore plus loin en affirmant que, même la certitude sur l’absence de contrepartie aux dépenses engagées, ne permet pas d’exclure la qualification d’investissement.

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