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La nature de l’opération : un acte juridique

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 103-106)

L’ENGAGEMENT D’UNE VALEUR

L’INVESTISSEMENT EST UN ACTE JURIDIQUE D’ENGAGEMENT D’UNE VALEUR

I. La nature de l’opération : un acte juridique

85. Dans un récent article intitulé « L’acte d’investissement », et sous-titré

« Du contrat à l’acte juridique », le professeur Xavier Lagarde propose de voir dans l’investissement un acte juridique464. Or, plusieurs raisons conduisent à adhérer à cette présentation.

86. La notion d’acte juridique est une qualification secondaire. La

pre-mière tient au rapport d’analogie qui existe entre la notion d’acte juridique et la notion d’investissement. En effet, l’acte juridique et l’investissement ne sont pas des qualifications « principales » mais des qualifications « secondaires »465. Aucune opération ne saurait être exclusivement qualifiée d’acte juridique, tout comme aucune opération ne saurait être exclusivement qualifiée d’investissement. Ces deux qualifications viennent donc se surajouter à des qualifications préexistantes sans avoir aucunement vocation à les remplacer. Ainsi, dire que le contrat de bail est un

464 X. Lagarde, « L’acte d’investissement », in Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ, 2010, p. 282 ; v. égal. en ce sens, A. Tehrani, Les investisseurs protégés en droit financier, thèse dactyl., Paris II, 2013, n°s 378 et s. On retiendra ici de l’acte juridique la définition suivante : « acte de volonté destiné à produire un effet de droit consciemment et librement recherché par son ou ses auteurs » (G. Cornu, Introduction au droit, Montchrestien, 13e éd., 2007, n° 133). Pour d’autres propositions, insistant sur le rôle de la volonté dans la qualification, J. Martin de la Moutte, L’acte juridique unilatéral, thèse Toulouse, 1949, n° 17 ; et, plus récemment, C. Brenner, « Acte juridique », Rép. civ., Dalloz, 2013, n°s 21 et s. ; et, insistant davantage sur le rôle de la cause, J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique, LGDJ, 1971, préf. P. Raynaud, n°s 155 et 181 in fine ; G. Wicker, Les fictions juridiques, LGDJ, 1997, préf. J. Amiel-Donat, n°s 93 et s., spéc. n° 106.

465 S. Manciaux, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États, Litec, 2004, préf. Ph. Kahn, n° 102 ; « Actualité de la notion d’investissement international », in La procédure relative aux investissements internationaux, Anthémis, 2010, p. 145, n° 40. Plus généralement, sur la hiérarchie des classifications d’un même bien ou d’une même personne, v. J.-L. Bergel, « Différence de nature = Différence de régime », RTD civ. 1984, p. 273, n°s 14 et s.

acte juridique ne conduit pas à délaisser cette première qualification. De même, dire que l’acquisition de titres sociaux est un investissement ne conduit pas à délaisser la qualification de cession. L’idée n’est donc jamais de substituer ces qualifications se-condaires à tout ce qu’elles recouvrent de réalités juridiques différentes mais unique-ment de mettre en avant des similitudes. En cela, l’acte juridique et l’investisseunique-ment se retrouvent parfaitement.

87. La notion d’acte juridique permet de saisir toutes les formes d’in-vestissement. La seconde raison est la diversité des formes d’ind’in-vestissement. Car

cette opération ne se limite pas à la conclusion d’un contrat – telle l’acquisition de droits sociaux – mais peut également revêtir la forme d’un acte juridique unila-téral466. C’est notamment le cas lorsqu’une société à responsabilité limitée ou une société par actions simplifiée est unipersonnelle dès l’origine467. Dans cette situation, l’associé s’engage dans les statuts à réaliser un certain nombre d’apports et si, par la suite, il est tenu de s’y conformer, ce n’est pas sur le fondement d’un enga-gement contractuel mais sur le fondement d’un engaenga-gement unilatéral468. Par consé-quent, la promesse d’apport incluse dans les statuts constitue bien un investissement dont la nature n’est pas contractuelle.

En outre, au-delà de cet exemple propre aux sociétés de type unipersonnel, la souscription apparaît parfois comme un engagement juridique unilatéral. En effet, un certain consensus semble émerger en doctrine sur une qualification différenciée de la souscription en fonction du moment où elle est effectuée. Lorsqu’elle est réalisée en cours de vie sociale, rien ne s’oppose à une qualification contractuelle. La souscrip-tion à une augmentasouscrip-tion de capital apparaît ainsi comme un véritable contrat liant le souscripteur à la société. Cette solution a d’ailleurs été récemment consacrée en ju-risprudence469. En revanche, lorsque la souscription est réalisée avant l’immatri-culation de la société, la majorité des auteurs envisage l’absence de personnalité morale comme un obstacle insurmontable à une qualification contractuelle470. Car, comment le souscripteur pourrait-il contracter avec une personne qui ne dispose pas de la personnalité morale ? Des explications avaient bien été avancées sur le fonde-ment de mécanismes civilistes telles la gestion d’affaires ou la stipulation pour

466 V., en ce sens, A. Tehrani, Les investisseurs protégés…, op. cit., n° 382. L’investissement pourrait en-core prendre la forme d’un acte collectif du type décision d’assemblée générale mais le principe d’intan-gibilité des engagements s’oppose à ce qu’une augmentation de capital soit imposée aux associés par une assemblée générale (C. civ., art. 1836). L’augmentation des engagements doit soit être prise à l’unanimité des associés (F. Rizzo, « Le principe d’intangibilité de l’engagement des associés », RTD com. 2000, p. 27, n°s 22 et 23), soit correspondre à un engagement contractuel différé (ibid., n° 30).

467 C. com., art. L. 223-1, al. 1 et L. 227-1, al. 1.

468 J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, t. 1, Dalloz, 16e éd., 2014, n° 501.

469 Cass. com., 25 juin 2013, n° 12-17.583, Bull. civ. IV, n° 110 ; Dr. sociétés 2013, comm. 152, obs. R. Mortier ; Rev. sociétés 2013, p. 545, obs. T. Bonneau.

470 R. Mortier, « Augmentation de capital en numéraire - Réalisation », J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 156-20, 2009, n° 34 ; A. Bougnoux, « Société par actions - Constitution - Souscription des actions », J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 114-10, 2012, n°s 7 et s. ; M. Germain et V. Magnier, Les sociétés commerciales, in G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit des affaires, t. 2, LGDJ, 21e éd., 2014, n° 1951 ; P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, Lextenso, 6e éd., 2015, n° 651 ; Ph. Merle, en collab. avec A. Fauchon, Sociétés commerciales, Dalloz, 19e éd., 2015, n° 303. Contra, M. Buchberger, Le contrat d’apport, Éd. Panthéon-Assas, 2011, n°s 12 et s.

autrui, mais sans emporter la conviction du plus grand nombre471. C’est donc la qua-lificationd’engagementunilatéralquiestgénéralementretenueendoctrinepour expli-quer la force obligatoire de la souscription en période de constitution de la société472. À cet égard, on peut noter que l’explication ne souffre plus de la méfiance tradition-nelle qu’inspirait l’idée même d’engagement unilatéral puisque chacun s’accorde à reconnaître aujourd’hui l’engagement comme une source autonome d’obligations473.

88. La notion d’acte juridique ne contient pas d’idée de bilatéralité. La

dernière raison de se référer à la notion d’acte juridique dans la définition de l’inves-tissement se trouve dans le prolongement naturel des précédents développements. Comme on vient de le voir, la catégorie des actes juridiques ne comprend pas uni-quement les contrats mais s’enrichit en particulier des actes juridiques unilatéraux. Il en résulte une certaine neutralité de la notion d’« acte juridique », qui ne renvoie pas à une idée de bilatéralité. Or, précisément, même lorsque l’investissement emprunte la forme contractuelle, on s’intéresse plus aux rapports juridiques entre l’investisseur et les tiers qu’aux rapports juridiques entre l’investisseur et son cocontractant. Si l’on prend l’exemple d’un investisseur qui fait construire une usine, envisager l’opé-ration comme un investissement n’a pas de conséquence sur le rapport entre l’inves-tisseur et le constructeur mais en a sur le rapport entre l’investisseur et l’État d’accueil474. De même, si l’on prend l’exemple d’un investisseur qui acquiert des titres spéculatifs, envisager l’opération comme un investissement n’a pas de consé-quence sur le rapport entre l’acquéreur et le vendeur de titres mais en a sur le rapport entre l’investisseur et leprestataire de services d’investissement475. Enfin, si l’on prend l’exemple de la constitution d’une base de données par des salariés d’une entreprise, envisager cette constitution comme un investissement n’a pas de conséquence sur le rapport entre l’employeur et les salariés mais en a sur le rapport entre l’employeur et les tiers476.

C’est semble-t-il cette raison qui conduit M. Lagarde à utiliser la notion d’acte juridique. Il écrit en effet : « Considérer l’acte d’investissement et non les contrats que concluent les investisseurs, c’est privilégier l’unilatéralisme aux dépens du bilatéralisme. Ce qui compte alors, c’est l’auteur et son acte et non le rapport de droit qui se noue entre des parties contractantes ». Et il ajoute que l’acte d’investissement « n’a rien d’unilatéral dès lors qu’il s’appuie sur un contrat. Il est

471 V. toutefois, M. Buchberger, Le contrat d’apport, op. cit., n°s 15 et s., qui estime surmontables les arguments opposés à la reconnaissance d’un contrat en dépit de l’absence de personnalité de la société.

472 A. Bougnoux, « Société par actions… », fasc. préc., n° 13 ; M. Germain et V. Magnier, Les sociétés commerciales, op. cit., n° 1952 ; J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, op. cit., n° 501 ; Ph. Merle, Sociétés commerciales, op. cit., n° 303.

473 V. par ex., M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, PUF, 3e éd, 2012, p. 727 et s. ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11e éd., 2013, n°s 52 et s. ; J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, op. cit., n°s 500 et 501.

474 V. infra, n°s 208 et s.

475 V. infra, n°s 136 et s.

l’expression d’un point de vue unilatéraliste sur une relation bilatérale »477. À cette réserve près que, contrairement à ce que semble penser l’auteur, l’investissement peut vraisemblablement s’appuyer sur un acte unilatéral, il est permis d’adhérer pleinement à ces affirmations. La nature de l’investissement étant établie, il reste alors à en déterminer le contenu.

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