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L’indifférence quant à la valeur

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 96-103)

L’ENGAGEMENT D’UNE VALEUR

L’INVESTISSEMENT PORTE SUR UNE VALEUR

B. L’indifférence quant à la valeur

75. L’absence d’immobilisation des biens de faible valeur en droit fis-cal. Pas plus que le langage courant le langage juridique n’est parfaitement

imper-méable à l’idée que l’investissement se caractérise par une dépense importante. L’administration fiscale admet ainsi que le prix d’acquisition des biens dont le montant unitaire est inférieur à 500 euros ne soit pas immobilisé mais directement passé en charges de l’exercice425. On pourrait y voir la marque d’un lien étroit entre l’importance de la dépense et la qualification d’investissement. Ce serait toutefois envisager comme relevant de l’essence de l’investissement une règle qui ne s’expli-que, aux dires mêmes de l’administration, que par un « souci de simplification »426.

Parfois, la connexion entre investissement et importance de la dépense relève donc d’une illusion vite dissipée (1). Mais il arrive également qu’une véritable connexion entre investissement et importance de la dépense ait été malencontreu-sement établie (2).

1. Le rôle illusoire de l’importance de la dépense

76. Mouvements de capitaux et paiements courants. Historiquement, la

liberté des mouvements de capitaux et la liberté des paiements courants ont toujours été opposées. La distinction remonte aux accords de Bretton Woods427. Elle a par la suite été reprise dans le cadre de la construction européenne. C’est ainsi que dans le traité de Rome, l’instauration de la liberté des paiements courants était impérative428

alors que l’instauration de la liberté des mouvements de capitaux n’avait que valeur d’objectif429. Prudemment, l’article 67 indiquait que les États devaient « progressi-vement » supprimer les restrictions aux mouprogressi-vements de capitaux « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun ». Elle n’a ainsi été véritable-ment consacrée que par une directive de 1988430. Encore ne constituait-elle à cette époque qu’une mesure de droit dérivé et il aura fallu attendre la signature du traité de Maastricht pour qu’elle soit intégrée au droit européen primaire431. Alors qu’au-jourd’hui les paiements courants et les mouvements de capitaux bénéficient d’une

425 Rép. min. éco., 11e législature, QE n° 66314, JOAN 2001, p. 7080. Une solution identique est retenue en droit comptable sur le fondement de l’article 212-6 PCG, qui dispose que « [l]es éléments d’actifs non significatifs peuvent ne pas être inscrits au bilan ; dans ce cas, ils sont comptabilisés en charges de l’exercice ».

426 Rép. min. préc.

427 Articles of the Agreement of the International Monetary fund, 22 juill. 1944, art. VI (consultable en ligne sur le site internet dédié à l’Histoire économique des États-Unis mis en place par la réserve fédérale de St-Louis : fraser.stlouisfed.org). La version actuelle du texte est consultable en français sur le site internet du FMI : www.imf.org.

428 TCE, 25 mars 1957, art. 106.

429 D. Carreau, « Les mouvements de capitaux et la construction européenne », in Mélanges Ph. Manin, A. Pedone, 2010, p. 371, spéc. p. 373.

430 Dir. n° 88/361/CEE, 24 juin 1988, « pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité », JO 8 juill. 1988, art.1er,§1.Analogieintéressante, tout comme le traité de Rome faisait de la libéralisation des mouvements de capitaux entre États membres un simple objectif, la directive de 1988 faisait elle-même de la libéralisation des mouvements de capitaux entre États membres et États tiers un simple objectif (art. 7, 1).

même libération totale432, la distinction demeure en raison de différences portant sur lesexceptionsapportées au principe. Car si la liberté des paiements courants n’admet presque aucune dérogation, la liberté des mouvements de capitaux peut être écartée dans plusieurs hypothèses433. De cette constante opposition, on pourrait être tenté de déduire un peu rapidement que, en tant qu’il est un élément essentiel de la catégorie desmouvementsdecapitaux, l’investissement s’oppose aux paiements courants et ce faisant,implique une dépense importante. Cependant, l’étude des termes « paiements courants » et « mouvements de capitaux » permet de réfuter cette conclusion.

77. Investissement et mouvements de capitaux. Sans définir les

mouve-ments de capitaux, la directive de 1988 en donnait une nomenclature qui constitue encore actuellement le droit positif puisque, en dépit de son abrogation, la Cour de Justice lui reconnaît une valeur indicative et, dans les faits, s’y conforme parfaite-ment434. On trouve bien entendu dans cette nomenclature des opérations relevant de l’investissement : investissement direct, investissement immobilier ou acquisition de titres financiers. On y trouve néanmoins également des opérations qui, de toute évi-dence, n’en relèvent pas : les crédits à court terme, l’octroi de garanties, les trans-ferts liés à l’exécution de contrats d’assurance ou les dons et successions435. La no-tion de mouvement de capitaux ne se réduit donc pas à la nono-tion d’investissement. Réciproquement, la notion d’investissement ne se réduit pas à la notion de mouve-ment de capitaux puisque les apports en nature et en industrie, qui constituent à n’en pas douter des investissements, ne sont pas envisagés dans la liste de la directive436.

Ceci étant dit, si les deux notions ne se confondent pas, elles n’en présentent pas moins une proximité évidente. D’abord, il faut relever que, dans son fameux arrêt Luisi et Carbone, la Cour de Justice des communautés européennes avait défini les mouvements de capitaux comme « des opérations financières qui visent essen-tiellement le placement ou l’investissement du montant en cause »437. Les mouve-ments de capitaux étaient donc directement définis par référence à la notion d’inves-tissement. Par ailleurs, l’investissement est envisagé comme le « noyau dur » de la notion de mouvement de capitaux. Cela transparaît dans la présentation qui est faite des divers mouvements de capitaux au sein de la liste de la directive de 1988 : les

432 TFUE, art. 63.

433 L. Delfaque, J. Pertek, Ph. Steinfeld et Ph. Vigneron, Commentaire J. Mégret, Libre circulation des personnes et des capitaux, Rapprochement des législations, Éd. de l’Université de Bruxelles, 3e éd., 2006, n° 300. Cf. TFUE, art. 64 et s. (mouvements de capitaux) et art. 75 (paiements courants).

434 V. not., CJCE, 16 mars 1999, M. Trummer et P. Mayer, aff. C-222/97, Rec. I, p. 1671, pt 21 ; CJCE, 1re ch., 28 sept. 2006, Comm. CE c. Pays-Bas, aff. C-282/04, Rec. I, p. 9155, pt 19 ; CJUE, 3e ch., 17 oct. 2013, Y. Welte c. F. Velbert, C-181/12, EU : C : 2013 : 662, pt 32 ; Europe 2013, comm. 519, obs. A.-L. Mosbrucker.

435 Dir. n° 88/361/CEE, préc., annexe 1.

436 V. en ce sens, P. Juillard, « Définition de l’investissement », AFDI, vol. 30, 1984, p. 773, n° 6 ; « Freedom of Establishment, Freedom of Capital Movements, and Freedom of Investment », ICSID Rev., vol. 15, 2000, p. 322, spéc. p. 335 ; J.-M. Jacquet, Ph. Delebecque et S. Corneloup, Droit du commerce international, Dalloz, 3e éd., 2014, n° 755 (et de manière plus explicite encore, v. 1re éd., 2007, n° 738). Comp., T. Georgopoulos, « L’investissement en droit communautaire », in Le concept d’investissement, Bruylant, 2011, p. 49, spéc. p. 52.

437 CJCE, 31 janv. 1984, G. Luisi et G. Carbone, aff. 286/82, Rec. p. 379 ; DPCI, vol. 13, 1985, p. 75, note J. Dutheil de la Rochère.

opérations d’investissement y apparaissent en premier lieu et ce n’est qu’une fois achevée leur énumération que sont citées diverses formes de mouvements de capi-taux sans relation avec l’investissement. Cela transparaît également dans les tempé-raments admis à la liberté des mouvements de capitaux. Le plus important d’entre eux est sans doute l’actuel article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union euro-péenne. Cet article, présenté comme une « clause de gel », prévoit que, dans leurs rapports avec des États tiers, les États membres peuvent conserver les restrictions aux mouvements de capitaux qu’ils imposaient antérieurement à l’entrée en vigueur du traité de Maastricht « lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux ». La règlementation des mou-vements de capitaux se préoccupe donc prioritairement de l’investissement au sens large, qu’il s’agisse d’investissement direct ou d’investissement de portefeuille438.

78. Investissement et paiements courants. Il résulte de ce qui vient d’être

dit que la notion de mouvement de capitaux recouvre assez largement la notion d’in-vestissement et que, par conséquent, la distinction entre paiements courants et mou-vements de capitaux pourrait suggérer que l’investissement suppose une dépense im-portante. Cependant, en réalité, dans l’expression « paiements courants » l’adjectif « courant » ne signifie pas « habituel » ou « ordinaire » et n’implique donc en rien l’idée d’une modicité du montant. Cela apparaît clairement à l’examen de l’origine historique de la distinction entre paiements courants et mouvements de capitaux. Comme on l’a déjà mentionné, cette distinction remonte aux accords de Bretton Woods signés en 1944. À cette époque, la préoccupation principale était de rétablir le courant des échanges internationaux439. Il fallait donc isoler conceptuellement les opérations liées au commerce afin de leur réserver l’exclusivité des mesures de libéralisation440, ce qui a été fait à travers la création de la notion de « paiement courant » et de son antonyme, le « mouvement de capitaux ». Ainsi, la notion de « paiement courant » renvoie à des mouvements financiers correspondant à des échanges commerciaux, peu important leur montant.

L’indifférence quant à l’importance du mouvement financier apparaît égale-ment à travers la définition que la Cour de Justice a donné des termes paieégale-ments courants et mouvements de capitaux dans l’arrêt Luisi et Carbone précédemment entrevu. À cette occasion, la Cour a indiqué que les paiements courants s’entendent « des transferts de devises qui constituent une contre-prestation dans le cadre d’une transaction sous-jacente »441. Il faut reconnaître que la distinction fondée sur l’exis-tence d’une transaction sous-jacente n’est pas très satisfaisante car, bien souvent, le

438 Concernant l’« investissement immobilier », la Cour de justice en a récemment donné une définition stricte, en excluant les investissements immobiliers « de type patrimonial ». Cf. CJUE, Y. Welte c. F. Velbert, préc., pt 35. Et, pour l’alignement du Conseil d’État, v. CE, 26 déc. 2013, Kramer, n° 360488, inédit ; RDF 2014, 92, note G. Ladreyt.

439 P. Jasinski, Régime de la libre circulation des capitaux, LGDJ, 1967, préf. J.-A. Mazère, p. 47.

440 Ibid., p. 48.

flux lié à l’investissement correspond à une transaction sous-jacente442. L’important est toutefois de noter que cette définition ne fait aucune place à l’idée selon laquelle les paiements courants seraient des paiements de faible montant.

Si l’importance de la dépense joue donc finalement ici un rôle illusoire dans la qualification d’investissement, il faut bien admettre à regret que, dans d’autres hypothèses, ce rôle est une réalité.

2. Le rôle contestable de l’importance de la dépense

79. Au moins deux manifestations des liens supposés entre l’importance de

la dépense et la qualification d’investissement peuvent être trouvées dans le droit positif, l’une dans le droit des régimes matrimoniaux (a), l’autre dans le droit international de l’investissement (b). Mais dans les deux cas, l’emploi du terme « investissement » relève, sinon d’une erreur, du moins d’une approximation.

a. Droit des régimes matrimoniaux

80. Solidarité conjugale et importance de la dépense : présentation. Aux

termes du premier alinéa de l’article 220 du Code civil : « [c]hacun des époux a pou-voir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’édu-cationdesenfants :toutedetteainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement ». Ce texte, qui représente l’un des éléments essentiels du régime primaire impératif443, établitunesolidaritéentreépouxdanslepaiementdes dettes ménagères. Or, à une vingtaine d’années d’intervalle, la Cour de cassation a rendu deux arrêts dans les-quelselleadéfiniladépenseménagèreparoppositionàladépensed’investissement.

À l’origine de la première affaire se trouve l’acquisition d’une résidence se-condaire par des époux. L’achat avait été financé en 1975 par un prêt de 200 000 francs consenti par le père de l’épouse. En 1980, celui-ci assigne son gendre et sa fille en vue d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la dette et l’obtient tant devant les premiers juges qu’en cause d’appel. Mais sur le pourvoi formé par le mari, la Cour de cassation censure les juges du fond en indiquant que « les opérations d’investissement d’un ménage, et notamment celles qui ont pour objet de lui permettre de se constituer un patrimoine immobilier, n’entrent pas dans la catégorie des actes ménagers d’entretien ou d’éducation auxquels l’article 220 du Code civil attache la solidarité de plein droit »444. La dette devait par conséquent être considérée comme conjointe, le père de l’épouse ne pouvant dès lors obtenir

442 V. Constantinesco, J.-P. Jacqué, R. Kovar et D. Simon (dir.), Traité instituant la CEE, Commentaire article par article, Économica, 1992, art. 67, par P. Juillard, n° 1.

443 Une même solidarité existe désormais entre les partenaires d’un PACS, mais les dettes qu’elle recouvre sont désignées différemment : ce sont les dettes contractées « pour les besoins de la vie courante » (C. civ., art. 515-4, al. 2).

444 Cass. 1re civ., 11 janv. 1984, n° 82-15.461, Bull. civ. I, n° 13 ; Gaz. Pal. 1984, II, pan. p. 205, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 1984, p. 933, obs. G. Champenois.

paiement de l’intégralité de la dette auprès de son gendre, comme c’était semble-t-il son intention445.

La seconde affaire portait quant à elle sur l’acquisition d’une résidence prin-cipale. En l’espèce, une épouse avait signé plusieurs contrats de construction en vue de l’édification et de l’aménagement d’une maison individuelle sur un terrain consti-tuant un bien propre de son époux. Quelque temps plus tard, les époux s’engagent dans une instance de divorce. S’apercevant sans doute à ce moment-là que par le fait de l’accession les travaux avaient profité à son seul époux, l’épouse cesse de payer le reliquat du prix des travaux. La société du bâtiment cocontractante assigne alors les époux en paiement solidaire des sommes restant dues et en dommages-intérêts. Elle est cependant déboutée en appel et la Cour de cassation approuve les juges du fond en ces termes : « la conclusion d’un marché de travaux portant sur la construc-tion d’une maison individuelle destinée au logement de la famille, n’a pas pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants et constitue une opération d’inves-tissement, qui n’entre pas dans la catégorie des dépenses ménagères auxquelles l’article 220 du Code civil attache la solidarité de plein droit »446.

81. Solidarité conjugale et importance de la dépense : analyse. La Cour

de cassation oppose ainsi les dépenses d’entretien ou d’éducation, qui donnent prise à la solidarité conjugale, aux dépenses d’investissement, qui y échappent. Mais com-ment interpréter cette distinction ? Selon une première lecture, la solution trouverait son fondement dans le caractère impératif ou non de la dépense. On enseigne en effet généralement que la solidarité conjugale a pour objet de renforcer le crédit de l’époux agissant seul447, de sorte qu’elle suppose « la nécessité, sinon… l’urgence de la dépense »448. L’exclusion de la solidarité conjugale pourrait donc s’expliquer par l’absence de caractère à proprement parler « nécessaire » ou « urgent » de la dépense d’investissement.

Cette explication achoppe toutefois sur un arrêt de la cour d’appel de Paris dans lequel une dépense liée à un voyage d’agrément – dont on ne saurait soutenir qu’elle soit susceptible de revêtir un caractère nécessaire ou urgent – a pu être qua-lifiée de dépense ménagère449. Un annotateur avisé du premier arrêt avait par ailleurs écrit que les dépenses d’entretien du ménage sont « des dépenses courantes et quoti-diennes, par opposition, à coup sûr, aux dépenses exceptionnelles et importantes que sont les opérations d’investissement »450. De ce fait, il est certainement plus réaliste de lire l’arrêt comme opérant une distinction fondée sur l’importance de la dépense.

445 V. en ce sens, G. Champenois, obs. préc., p. 936. Bien que l’arrêt ne le précise pas, l’affaire semble faire suite au divorce des époux.

446 Cass. 1re civ., 4 juill. 2006, n° 03-13.936, Bull. civ. I, n° 351 ; D. 2007, p. 1561, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneaud ; LPA 2007, n° 206, p. 9, note J. Antippas ; RTD civ. 2006, p. 811, obs. B. Vareille.

447 V. par ex., Ph. Le Tourneau et J. Julien, « Solidarité », Rép. civ., Dalloz, 2010, n°s 54 et s. ; F. Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 7e éd., 2015, n° 82.

448 L’expression a d’abord été employée par M. Grimaldi (obs. préc.) puis reprise dans un arrêt de la cour d’appel de Paris (8e ch. B, 11 oct. 1989 ; JCP N 1991, II, 57, obs. Ph. Simler).

449 CA Paris, 25e ch. B, 5 juill. 1996, JurisData n° 023032 ; Dr. famille 1997, comm. 50, obs. B. Beignier.

450 G. Champenois, obs. préc. sous Cass. 1re civ., 11 janv. 1984, p. 934. V. égal. en ce sens, B. Beignier, obs. préc. sous CA Paris, 5 juill. 1996 ; F. Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux, op. cit., loc. cit.

Aussi faut-il indiquer qu’en employant selon toute probabilité le mot « inves-tissement » comme synonyme de « dépense importante », la jurisprudence ne fait que subir l’attraction perturbatrice du sens très large qui est donné au mot « investis-sement » dans le langage courant. Un indice en ce sens peut d’ailleurs être trouvé dans le fait que, dans le premier arrêt, la dépense qualifiée d’investissement tenait à l’acquisition d’une résidence secondaire, opération qui n’a évidemment rien à voir avec un véritable investissement. De même – non plus dans le rapport avec les tiers, mais dans le rapport entre époux –, la Cour de cassation a très récemment indiqué que la contribution aux charges du mariage peut inclure les « dépenses d’investissements ayant pour objet l’agrément et les loisirs du ménage »451. Cela montre bien encore une fois que dans sa jurisprudence de droit de la famille, elle utilise le mot « investissement » comme une facilité de langage. Dans ces conditions, on ne saurait légitimement accorder à cet emploi du terme une portée qu’il n’a pas, et ce quand bien même certains tribunaux CIRDI en feraient un usage identique.

b. Droit international de l’investissement

82. L’indifférence habituelle. La plupart des tribunaux CIRDI appelés à se

prononcer sur la qualification d’investissement ont ignoré tout critère tiré de l’im-portance de la valeur initialement apportée452. Certains ont même explicitement re-jeté la prise en compte de cette donnée453. Le tribunal constitué dans l’affaire Mihaly a ainsi estimé que « le point de savoir si une dépense constitue, oui ou non, un inves-tissement ne peut guère être déterminé par le fait que, oui ou non, l’invesinves-tissement est important »454. Plus récemment, le comité ad hoc réuni dans l’affaire Patrick

Mitchell a fait valoir que la notion d’investissement inclut les « “petits”

investisse-ments »455. Enfin et surtout, le tribunal constitué dans l’affaire Pantechniki a indiqué que « l’ampleur financière des investissements ne peut être admise comme une restriction de portée générale »456. Il note en effet à juste titre457 que l’exigence d’un

451 Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17.420, Bull. civ. I, n° 249 ; JCP N 2014, 1117, obs. F. Vauvillé ; RJPF 2014, n° 2, p. 27, obs. V. Égéa.

452 À rappr., Ph. Kahn, « Problèmes juridiques de l’investissement dans les pays de l’ancienne Afrique française », JDI 1965, p. 338, lequel écrivait à l’époque que la référence faite à l’importance de l’inves-tissement dans les codes d’invesl’inves-tissement africains est « moins une condition spéciale qu’un moyen d’apprécier si véritablement l’investissement projeté peut aider au développement du pays et mérite un régime spécial » (p. 347).

453 Outre les décisions évoquées infra, v. déc. comp. CIRDI, SGS c. Pakistan, 6 août 2003, ARB/01/13, § 136 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, op. cit., p. 815 ; déc. comité ad hoc CIRDI, MHS c. Malaisie, 16 avr. 2009, ARB/5 octobre, §§ 71 et 80 ; Rev. arb. 2009, p. 886, obs. S. Lemaire ; déc. comp. CIRDI, RSM Production c. Centre Afrique, 7 déc. 2010, ARB/7 février, § 64 ; sent. CIRDI, Ickale Insaat Limited c. Turkménistan, 8 mars 2016, ARB/10/24, § 292.

454 Sent. CIRDI, Mihaly c. Sri Lanka, 15 mars 2002, ARB/00/2, § 51 (notre trad.) ; RQDI, vol. 15, 2002, p. 176, obs. J. Fouret et D. Khayat.

455 Déc. comité ad hoc CIRDI, P. Mitchell c. Congo, préc., § 56 (trad. E. Gaillard).

456 Sent. CIRDI, Pantechniki c. Albanie, 30 juill. 2009, ARB/07/21, § 45 (notre trad.) ; Gaz. Pal. 2009, n° 347, p. 44, obs. W. Ben Hamida.

457 V. le commentaire du projet préliminaire de convention in Documents relatifs à l’origine et à l’éla-boration de la Convention, vol. III, CIRDI, 1968, p. 22. Adde, l’intervention à la réunion consultative tenue à Bangkok le 29 avril 1964 du délégué chinois, M. Tsai, et la réponse du président de séance, M. Broches (ibid., p. 293 et 294). V. encore, sur cette question, J. D. Mortenson, « The Meaning of

seuil en valeur de l’investissement avait été discutée, puis écartée au cours des tra-vaux préparatoires de la Convention de Washington458. Il ajoute de manière convain-cante que certains États « peuvent précisément vouloir profiter de la somme des flux d’investissement liés à l’attraction des petites et moyennes entreprises qui ont si bien contribué au développement d’économies telles que celles de l’Allemagne et de l’Italie. C’est leur choix ; et non pas celui des arbitres CIRDI »459.

83. La prise en compte exceptionnelle. Il convient toutefois de reconnaître

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