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La reproduction du modèle de classification tripartite

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 88-92)

L’ENGAGEMENT D’UNE VALEUR

L’INVESTISSEMENT PORTE SUR UNE VALEUR

B. La reproduction du modèle de classification tripartite

66. S’inspirant du droit des sociétés, le droit de l’investissement (1) et le

droit de la propriété intellectuelle (2) reproduisent la tripartition classique : apport en numéraire, apport en nature et apport en industrie.

1. Les apports en numéraire, en nature et en industrie en droit de l’investissement

67. La reproduction de la tripartition en droit international de l’inves-tissement. Dans la plupart des sentences rendues sous l’égide du CIRDI, le litige

portait sur un investissement constitué par un simple apport en numéraire. Plusieurs tribunaux ont néanmoins eu à se prononcer sur le point de savoir si des apports revêtant une autre forme peuvent constituer un investissement. Deux affaires seront ici évoquées387.

La première se présentait de la façon suivante. Une société publique marocai-ne avait lancé un appel d’offres pour la construction d’umarocai-ne autoroute reliant Rabat à Fès.La construction d’un tronçon fut adjugée à deux sociétés italiennes, Salini et Italstrade.Aprèslalivraisondel’ouvrage, unlitigesurvint concernant le paiement des travaux, et les deux sociétés italiennes saisirent alors le CIRDI d’une requête d’arbi-trage. Le Maroc ayant contesté la compétence du tribunal, ce dernier a été conduit à

385 T. Revet, obs. préc.

386 V. en part., C. com., art. L. 223-7, qui qualifie expressément les parts d’industrie de « parts sociales » et établit donc par comparaison que la réunion de toutes les « parts sociales » s’entend à la fois de la réunion des parts représentatives du capital et des parts d’industrie.

387 V. égal., déc. comp. CIRDI, RFCC c. Maroc, 16 juill. 2001, ARB/00/6, § 61 ; déc. comité ad hoc CIRDI, P. Mitchell c. Congo, 1er nov. 2006, ARB/99/7, §§ 27 et 38 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. II, op. cit., p. 333 ; sent. CIRDI, MHS c. Malaisie, 17 mai 2007, ARB/5 octobre, § 109 ; déc. comp. CIRDI, Toto costruzioni c. Liban, 11 sept. 2009, ARB/07/12, § 70 ; sent. CIRDI, Deutsche Bank c. Sri Lanka, 31 oct. 2012, ARB/09/02, §§ 297 et s. ; sent. CIRDI, SCI de Gaëta c. Guinée, 21 déc. 2015, ARB/12/36, §§ 216 et 231 ; adde, S. Manciaux, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d’autres États, Litec, 2004, préf. Ph. Kahn, n° 60, lequel cite plusieurs affaires antérieures au développement du contentieux relatif à la définition de l’investissement dans lesquelles l’investissement consistait essentiellement dans le savoir-faire apporté par l’investisseur.

s’interroger sur l’existence d’un investissement au sens du traité bilatéral d’inves-tissementconcluentrel’ItalieetleMaroc,etausens de la Convention de Washington. On aura l’occasion de revenir sur le test mis en place par les arbitres pour déterminer s’il existe un investissement388. Pour le moment, on se contentera de relever qu’ils exigent l’existence d’un apport. Or, s’inspirant sans doute de la trilogie du droit des sociétés, ils ont considéré que dans l’affaire qui leur était soumise, la condition d’in-vestissement était bien remplie au motif que les investisseurs avaient « réalisé des apports en numéraire, en nature et en industrie »389. En l’espèce, l’apport en nature et l’apport en industrie consistaient respectivement dans la fourniture de l’équipement nécessaire à la construction d’une autoroute, d’une part, et dans la mise à disposition du personnel et du savoir-faire nécessaire à cette construction, d’autre part390.

Les faits de la seconde affaire étaient très similaires. En 1993, une société tur-que dénommée Bayindir avait signé un contrat avec une entité publitur-que pakistanaise pour la construction d’une autoroute reliant Islamabad à Peshawar. Des difficultés d’exécution furent à l’origine de nombreux différends entre les parties, différends qui aboutirent à la résiliation du contrat en 2001 et à l’expulsion des employés du chantier par l’armée pakistanaise. Un tribunal CIRDI ayant été saisi par la société turque, le Pakistan contesta la compétence du Centre. Cependant, là encore, le tribu-naladmetl’existenced’uninvestissement391.Concernant plus particulièrement l’exis-tenced’unapport,ilindiqueque« [d]anslaprésenteaffaire,ilnepeutêtre sérieuse-ment contesté que Bayindir a effectué un apport significatif, que ce soit en termes de savoir-faire, d’équipement et de personnel, ainsi qu’en termes financiers »392. En l’occurrence, le tribunal semble donc envisager la formation d’ingénieurs, la mise à disposition de salariés et d’équipements et la contribution en termes de savoir-faire comme un investissement au sens de la Convention de Washington393.

On le voit, dépassant leurs habituelles oppositions relatives à la définition de l’investissement, les tribunaux arbitraux s’accordent sur une conception large du critère de l’apport, en ce sens que l’apport ne se réduit pas à une dépense stricto

sensu mais englobe également la mise à disposition d’un bien ou d’une force de

travail. Bien entendu, comme on le verra, le fait pour ces deux tribunaux de s’être satisfaits en vue de la qualification d’investissement du simple risque d’inexécution attaché à la conclusion d’un contrat de construction est parfaitement critiquable394. Mais, concernant l’exigence d’un apport, la prise en compte des biens et de la force de travail paraît à l’inverse tout à fait justifiée.

388 V. not. infra, n°s 146 et s.

389 Déc. comp. CIRDI, Salini c. Maroc, 23 juill. 2001, ARB/00/4, § 52 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, A. Pedone, 2004, p. 621.

390 Ibid., § 53.

391 Déc. comp. CIRDI, Bayindir c. Pakistan, 14 nov. 2005, ARB/03/29, § 138 ; E. Gaillard, La jurispru-dence du CIRDI, vol. II, A. Pedone, 2010, p. 219 ; RQDI, vol. 18, 2005, p. 386, obs. J. Fouret et D. Khayat.

392 Ibid., § 131 (trad. E. Gaillard).

393 Ibid., §§ 115 et 116.

Aussi bien en droit des sociétés qu’en droit international de l’investissement, les apports en numéraire, en nature et en industrie sont donc tous trois susceptibles de constituer un investissement. En dépit de l’emploi d’un vocabulaire différent, le droit de la propriété intellectuelle adopte une position identique.

2. L’investissement financier, matériel ou humain en droit de la propriété intellectuelle

68. Législation sur le droit sui generis du producteur de bases de don-nées. Personne n’en doute, la masse des informations stockées sur des serveurs

in-formatiques est considérable. Si l’on veut rendre ces informations utilisables, il est doncindispensabledelesclasseretdeleur attacher des mots-clés. Le législateur euro-péen a cherché à favoriser cette coûteuse mise en ordre par l’adoption d’une direc-tive dédiée à la protection des bases de données le 11 mars 1996395. Une telle protec-tion repose sur la créaprotec-tion d’un nouveau droit exclusif que le législateur européen a désigné sous les termes droit sui generis afin de marquer l’autonomie par rapport aux catégories existantes. L’article 7 de la directive enjoint ainsi aux États membres d’établir au profit du « fabricant » d’une base de données un droit exclusif sur la base lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de son contenu ont repré-senté « un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif »396. Or, transposant librement cette expression, le législateur a admis l’existence du droit

sui generis lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de son contenu ont

représenté « un investissement financier, matériel ou humain substantiel »397. C’était bien admettre que, dans l’investissement, l’apport initial peut consister à mettre à disposition un bien ou une force de travail.

69. Jurisprudence sur le droit sui generis du producteur de bases de données. Par la suite, les juges du fond l’ont parfaitement reconnu puisque leur

ap-préciation du caractère substantiel de l’investissement intègre généralement le coût du matériel et les coûts salariaux attachés à la constitution d’une base de données. Deux décisions récentes l’illustrent bien.

La première a été rendue par la Cour d’appel de Paris le 7 juin 2013 dans une affaire qui opposait l’éditeur du site internet d’annonces immobilières « de particu-lier à particuparticu-lier » (PAP) à l’éditeur d’un moteur de recherche dédié aux annonces immobilières, le site Gloobot. Ce site internet fonctionne globalement comme les moteurs de recherche classiques : il propose des résultats mais sans en indexer le contenu. En l’occurrence, la consultation d’une annonce suppose donc de se rediri-ger vers le site internet qui l’a mise en ligne. Estimant que l’indexation de

395 Dir. n° 96/9/CE, 11 mars 1996, « concernant la protection juridique des bases de données », JO 27 mars 1996.

396 Dir. n° 96/9/CE, préc., art. 7, § 1.

397 CPI, art.L. 341-1. Sur l’emploi de ces termes, v. Ph. Gaudrat, « Loi de transposition de la directive 96/9 du 11 mars 1996 sur les bases de données », 2e partie, RTD com. 1999, p. 86, spéc. p. 100. Sans doute la référence ajoutée par le législateur français est-elle inspirée du 7e considérant de la directive qui évoque une « mise en œuvre de ressources humaines, techniques et financières considérables » au sujet de la fabrication des bases de données.

nombreuses annonces provenant de son site internet constituait une violation de son droit sui generis, l’éditeur du site PAP a assigné la société Gloobot sur le fondement de l’article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle. Après avoir été débouté en première instance faute d’avoir démontré l’existence d’un investissement substantiel, il a interjeté appel. La décision des premiers juges est alors infirmée au motif qu’il existait bien en l’espèce un investissement financier, matériel et humain substantiel consistant dans les coûts de maintenance et de remplacement du matériel informatique, dans les frais de connexion internet très haut débit et dans la masse salariale des personnes affectées à l’administration, la surveillance et la présentation de la base398. Cette infirmation n’empêche finalement pas le rejet de la demande en raison de l’absence de véritable « extraction » des données. L’important est toutefois de noter qu’en l’espèce, ce sont les investissements matériel et humain qui fondent la reconnaissance de l’existence d’un droit sui generis.

La seconde décision a été rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 6 décembre 2013. Cette fois-ci, l’affaire portait sur une base de données de modèles de jantes automobiles haut de gamme399. La base, qui comprenait plusieurs milliers de références de jantes, était consultable en ligne sur le site internet d’une société Auto Look Perfect, spécialisée dans la vente d’accessoires automobiles. Cette base ayant été reproduite sur le site internet d’un commerçant concurrent, la société Auto Look Perfect l’a assigné sur le fondement de l’article L. 342-1 du Code de la pro-priété intellectuelle. Par leur décision, les juges parisiens lui donnent raison au terme d’une brève motivation qui fait ressortir l’existence d’un investissement substantiel comprenant l’effort nécessaire à la constitution de la base, évalué à cinq cents heures de travail, et les frais d’un prestataire informatique liés aux mises à jour régulières des données. Ce qu’il est intéressant de noter ici c’est que, contrairement à l’affaire précédente, l’investissement humain ne correspondait pas à une prestation évaluable en argent dès lors que la base n’avait pas été constituée par des salariés mais par le gérant lui-même400. Le tribunal reconnaît ainsi implicitement qu’il n’est pas néces-saire qu’un investissement humain se traduise par une dépense, tel le paiement d’un salaire, pour être considéré comme un investissement au sens de l’article L. 341-1.

L’étude juridique de l’investissement montre donc que les formes possibles d’apports sont diverses. Les apports trouvent toutefois une forme d’unité dans le fait qu’ils représentent toujours une valeur.

398 CA Paris, pôle 5, ch. 2, 7 juin 2013, n° 12/05061, LexisNexis ; Propr. intell. 2013, p. 400, obs. A. Lucas. L’ensemble de ces coûts représentait au total une somme de 900 000 euros par an.

399 TGI Paris, 3e ch., 6 déc. 2013, Legalis ; RLDI, n° 103, 2014, p. 27, obs. J. de Romanet.

400 Pour une prise en compte de l’investissement humain constitué par l’affectation de salariés à la cons-titution, la vérification ou la présentation de la base, situation relativement fréquente, v. égal., CA Paris, 4e ch. A, 12 sept. 2001, JurisData n° 155210 ; CA Paris, 4e ch. A, 15 sept. 2004 ; Propr. ind. 2005, comm. 42, obs. J. Schmidt-Szalewski ; RTD com. 2004, p. 737, obs. F. Pollaud-Dulian ; TGI Paris, 3e ch., 13 avr. 2010, JurisData n° 010806 ; LPA 2011, n° 54, p. 6, note X. Daverat.

II. La constance quant à la valeur

70. Le rôle de la valeur dans la qualification d’investissement. Au sujet

de la valeur de l’apport, deux questions se posent. La première est relative à l’exi-gence même d’un apport représentant une valeur (A). Mais, une fois cette première interrogation résolue, s’en présente une autre. Il s’agit alors de déterminer si l’im-portance de la valeur de la chose apportée joue un rôle dans la qualification d’inves-tissement. Pour le dire autrement, la question se pose de savoir si seul l’apport d’une valeur importante est susceptible d’être qualifié d’investissement (B).

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