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Crédit et investissement

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 151-169)

UNE POSSIBILITÉ D’ENRICHISSEMENT

TOUTE POSSIBILITÉ D’ENRICHISSEMENT N’AUTORISE PAS LA QUALIFICATION D’INVESTISSEMENT

B. La spéculation envisagée comme une opération à terme

II. Crédit et investissement

144. Signification attribuée au mot « crédit ». L’article L. 313-1 du Code

monétaire et financier dispose que « [c]onstitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie ». Il résulte de ce texte que, juridiquement, l’opération de crédit est assise sur deux critères : la mise à disposition de fonds et la rémunération674. Le « crédit » ne saurait cependant être

671 Sur cette idée de « régulation décentralisée », v. N. Spitz, La réparation des préjudices boursiers, Revue Banque éd., 2010, préf. A. Pietrancosta, n°s 4 et 745.

672 Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-67.102, inédit ; Banque & Dr., n° 132, 2010, p. 32, obs. H. de Vauplane, J.-J. Daigre, B. de Saint Mars et J.-P. Bornet ; RD bancaire et fin. 2010, comm. 162, obs. M. Storck.

673 Cass. com., 24 nov. 2009, n° 08-13.295, inédit ; Dr. sociétés 2010, comm. 53, obs. R. Mortier ; Cass. com., 26 juin 2012, n° 11-11.450, Bull. civ. IV, n° 133 ; RD bancaire et fin. 2012, comm. 199, obs. A-C. Muller ; Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-13.631, Bull. civ. IV, n° 46 ; Dr. sociétés 2013, comm. 107, obs. S. Torck.

limité aux « opérations de crédit ». Comme son étymologie invite à le penser675, le crédit a en réalité vocation à saisir l’ensemble des opérations juridiques fondées sur la confiance ou permettant la confiance. On peut relever à cet égard que les anciennes éditions d’un important ouvrage de droit des sûretés étaient sous-titrées « droit du crédit »676 parce que les sûretés constituent une technique destinée à assurer la confiance du créancier dans son débiteur677.

Envisagé au sens large, le « crédit » désigne donc toutes les situations dans lesquelles un créancier est conduit à réaliser une prestation sans pouvoir obtenir du débiteur un paiement immédiat et où, par conséquent, il court un risque d’inexécu-tion. La question est alors de savoir si un tel risque d’inexécution est susceptible de justifier la qualification d’investissement ou si le risque requis à cette fin est de nature différente. Concrètement, cela revient essentiellement à se demander si l’oc-troi d’un prêt ou la conclusion d’un contrat à long terme dans lequel l’une des parties expose une valeur doivent être qualifiés d’investissements678. Pour y répondre, on évoquera le droit de l’investissement (A) et le droit financier (B) qui, de manière contestable, assimilent tous deux le crédit à l’investissement.

A. L’assimilation du crédit à l’investissement en droit de l’investissement 145. L’hypertrophie de la notion d’investissement dans la jurisprudence récente. Ces dernières années, l’extension de la notion d’investissement a été

consi-dérable. Un tribunal statuant en application du règlement d’arbitrage de la CNUDCI a même admis qu’une sentence arbitrale puisse constituer un investissement en tant qu’elle serait le prolongement d’une opération de ce type679. Sans aller jusque-là, il est permis de se demander si le crédit peut être assimilé à l’investissement. Or, si certaines décisions ont effectivement été rendues en ce sens (1), une telle assimilation suscite des résistances (2).

675 Le mot « crédit » est issu du latin « Credere » qui signifie « faire confiance » (v. en part., J. Mestre, M.-È.Pancrazi,I.Arnaud-Grossi, L. Merland et N. Vignal, Droit commercial, LGDJ, 29e éd., 2012, n° 33).

676 Ph. Malaurie et L. Aynès, Les sûretés - La publicité foncière (Le droit du crédit), Cujas, 3e éd., 1990.

677 Ibid., n° 1. Les nouvelles éditions de l’ouvrage font toujours apparaître cette justification mais le sous-titre a disparu (cf. L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - La publicité foncière, Lextenso, 9e éd., 2015, n° 1). Certains auteurs ont également proposé d’employer l’expression « droit du crédit » pour désigner les règles juridiques qui concernent les opérations et les établissements de crédit (J. Brethe de La Gressaye, « Le droit du crédit », in Mélanges J. Savatier, Dalloz, 1965, p. 115, spéc. p. 116 ; C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit du crédit, t. 1, Litec, 1990, n° 1 ; M. Storck, « Avant-propos », in Le crédit, Dalloz, 2012, p. 1, spéc. p. 2).

678 Quoique, dans les développements qui suivent, une distinction sera faite entre le crédit et l’investisse-ment, il est évident qu’il peut exister une certaine porosité entre les qualités de créancier et d’investisseur parce que certaines techniques permettent d’atténuer la force de la distinction (subordination, indexation du coupon obligataire sur les résultats ou promesse de rachat de droits sociaux à prix plancher) et parce qu’il en est d’autres qui permettent la métamorphose du créancier en investisseur (convertibilité de l’obligation en action, equity swap, pacte commissoire, etc.). Ceci étant, la distinction qui sera faite entre le risque d’inexécution et le risque d’exploitation et, corrélativement, entre les deux idéaux-types que sont le créancier et l’investisseur, n’implique en rien réfutation de cette porosité.

679 Sent. Cnudci, White Industries c. Inde, 30 nov. 2011, §§ 7.6.1 et s. ; Rev. arb. 2013, p. 513, obs. S. Lemaire ; contra, rejetant la qualification d’investissement, sent. CIRDI, GEA Group c. Ukraine, 31 mars 2011, ARB/08/16, § 161.

1. Les manifestations de l’assimilation

146. L’assouplissementde la signification attribuée au critère du risque expli-que certainement l’extension de la notion d’investissement. C’est en effet un simple risque d’inexécution qui s’attache aux contrats de prêt (a) et aux contrats de cons-truction (b), lesquels ont été qualifiés d’investissements par des tribunaux CIRDI680.

a. L’exemple du contrat de prêt

147. La plupart des tribunaux CIRDI adoptent une démarche souple dans

l’appréciation de l’existence d’un investissement, si bien qu’à notre connaissance, aucun tribunal n’a encore décliné sa compétence au motif que l’opération à l’origine du litige constituait un simple prêt. Au contraire, plusieurs d’entre eux ont admis comme investissement des prêts681 ou des titres représentatifs d’un prêt682. Pour l’illustrer, on évoquera ici deux affaires : l’une pour sa valeur historique, l’autre pour son didactisme.

148. La décision Fedax c. Venezuela. L’affaire Fedax est bien connue pour

avoir été la toute première dans laquelle la compétence d’un tribunal CIRDI a été contestée en raison de l’absence alléguée d’investissement. En l’espèce, l’État véné-zuélien avait souscrit six billets à ordre à titre de reconnaissance de dette en appli-cation d’un contrat de service conclu avec une société de droit local. Par la suite, la société bénéficiaire des billets à ordre les mobilisa auprès d’une société néerlan-daise, la société Fedax683. Le gouvernement vénézuélien n’ayant pas honoré le paie-ment de ces effets de commerce à leur échéance, la société Fedax introduisit une demande d’arbitrage devant le CIRDI sur le fondement du traité bilatéral d’investis-sement conclu entre les Pays-Bas et le Venezuela. Le gouvernement vénézuélien contesta alors la compétence matérielle du tribunal au motif que l’endossement des billets à ordre ne constituait pas un investissement. L’objection a cependant été rejetée au terme d’un raisonnement en deux temps devenu désormais fameux sous l’appellation « double test » (« double-barrelled test »).

680 C’est encore le cas des contrats de service, également qualifiés d’investissements. Cf. déc. comp. CIRDI, SGS c. Pakistan, 6 août 2003, ARB/01/13, §§ 133 et s. ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, A. Pedone, 2004, p. 815 ; déc. comité ad hoc CIRDI, P. Mitchell c. Congo, 1er nov. 2006, ARB/99/7, §§ 38 et 39 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. II, A. Pedone, 2010, p. 333.

681 V. déc. comp. CIRDI, CSOB c. Slovaquie, 24 mai 1999, ARB/97/4, §§ 76, 77 et 90 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, op. cit., p. 577.

682 V., déc. comp. CIRDI, Abaclat c. Argentine, 4 août 2011, ARB/7 mai, §§ 356, 357 et 367 ; JDI 2012, p. 284, note É. Onguene Onana ; Rev. arb. 2013, p. 478, note S. Lemaire ; déc. comp. CIRDI, Ambiente Ufficio c. Argentine, 8 févr. 2013, ARB/8 septembre, §§ 482 et s. et 490 et s. ; JDI 2014, p. 269, obs. B. Remy ; déc. comp. CIRDI, Giovanni Alemanni c. Argentine, 17 nov. 2014, ARB/07/8, § 296. Cf. S. Lemaire, « L’arbitrage d’investissement et la restructuration des dettes souveraines », Rev. arb. 2014, p. 53, n°s 17 et s.

683 Déc. comp. CIRDI, Fedax c. Venezuela, 11 juill. 1997, ARB/96/3 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, op. cit., p. 463.

Dans un premier temps, le tribunal s’est interrogé sur l’existence d’un inves-tissement au sens de l’article 25(1). Son raisonnement est relativement original puis-que, contrairement à la démarche adoptée par la plupart des tribunaux ayant par la suite eu à se prononcer sur l’existence d’un investissement au sens de la Convention de Washington, il ne se fonde pas directement sur des critères ou des indices de l’existence d’un investissement mais essentiellement sur un argument d’autorité. Le tribunal part du constat que l’investissement n’a pas été défini dans la Convention de Washington, ce dont il conviendrait de déduire une acception large de la notion684. Il note alors que plusieurs éminents auteurs ont affirmé que des prêts pouvaient cons-tituer un investissement685 et en conclut que « [p]uisque les billets à ordre constatent l’existence d’un prêt et sont des instruments financiers et de crédit relativement classiques, rien n’empêche leur acquisition d’être qualifiée d’investissement au sens delaConventiondansdescirconstances particulières telles que celles de l’espèce »686.

Le second temps du raisonnement est consacré à l’examen de l’existence d’un investissement, non plus au sens de la Convention de Washington, mais au sens du traité bilatéral sur lequel se fondait la demande d’arbitrage. Comme c’est très fréquemment le cas, ce traité définissait l’investissement de manière extrêmement large. En l’occurrence, il était précisé que « le terme “investissement” comprend tout type d’actifs… »687. Là encore, le tribunal en déduit que les parties ont entendu donner à l’investissement une signification très large ne se limitant pas aux investis-sements directs688, ce qui lui paraît cohérent avec la pratique internationale en ma-tière de traités bilatéraux et multilatéraux de protection de l’investissement689. Il ajoute que, lorsque la République du Venezuela a entendu limiter la protection atta-chée à un traité bilatéral aux seuls investissements directs, elle l’a fait dans des ter-mes dépourvus d’ambiguïté690. L’ensemble de ces considérations le conduit à admettre qu’un prêt est un investissement et que, dès lors, un billet à ordre est un investissement691.

149. La sentence Alpha c. Ukraine. La seconde décision a été rendue une

dizaine d’années plus tard dans un litige qui portait sur la rénovation d’un hôtel de luxe situé à Kiev. Pendant la période soviétique, l’État ukrainien avait exploité l’hôtel Dnipro comme résidence protocolaire pour les délégations officielles des gouvernements étrangers en séjour dans sa capitale. Après la chute de l’URSS, l’entreprise d’État Dnipro n’ayant pas les capacités financières pour mener à bien sa rénovation fit appel à un investisseur autrichien qui créa pour l’occasion la société Alpha. Cette société conclut successivement plusieurs accords avec l’entreprise Dnipro en vue de la rénovation de divers étages de l’hôtel. Individuellement, les accords présentaient des particularités mais le schéma général demeurait

684 Ibid., §§ 21 et 22.

685 Ibid., §§ 23 et 29.

686 Ibid., § 29 (trad. E. Gaillard).

687 TBI Pays-Bas-Venezuela, 22 oct. 1991, art. 1er.

688 Déc. Fedax, préc., § 32.

689 Ibid., §§ 34 et 35.

690 Ibid., § 36.

globalement identique. À titre d’exemple, et pour s’en tenir à l’essentiel, l’accord conclu en 1999 prévoyait que la société Alpha s’engageait à prendre en charge les coûts liés aux travaux pour un montant de 1 701 620 dollars. L’entreprise Dnipro s’engageait, pour sa part, à mettre à disposition les étages au profit de l’entreprise commune ainsi créée. Corrélativement, il était prévu que les profits tirés de l’ex-ploitation des trois étages seraient attribués pour moitié à chacune des parties jusqu’en 2006, l’entreprise Dnipro s’engageant par ailleurs à garantir à la société Alpha un paiement mensuel minimum de 50 000 dollars. Finalement, la transforma-tion de l’entreprise d’État en une société de droit privé en 2003, le transfert de sa gestion d’une administration à une autre et l’ouverture d’une enquête pénale contre les anciens responsables de l’hôtel eurent pour conséquence plus ou moins directe d’interrompre les paiements réalisés au profit de la société Alpha.

Devant le tribunal CIRDI saisi par la société en vue d’obtenir la résolution du litige, le gouvernement ukrainien contesta l’existence d’un investissement, en faisant valoir que la garantie d’un paiement mensuel minimum était caractéristique d’une simple opération de prêt692. La question se posait donc une nouvelle fois de savoir si l’octroi d’un crédit pouvait être qualifié d’investissement.

De manière désormais classique, le tribunal commence par rechercher l’exis-tence d’un investissement au sens du traité bilatéral invoqué au soutien de la demande d’arbitrage. Toutefois, il ne s’attache pas immédiatement, comme c’est d’ordinaire le cas, aux termes de la définition contenue dans le traité bilatéral. Il s’interroge en effet tout d’abord sur la compatibilité entre l’opération et la signi-fication intrinsèque du terme « investissement ». À cet égard, il indique en substance que l’économie générale de l’opération s’oppose à son assimilation à une simple succession de prêts693. Cela étant, il ajoute qu’il « n’a connaissance d’aucune déci-sion CIRDI ayant considéré qu’un prêt ne peut être un “investissement”, que ce soit de manière isolée ou comme élément d’un plus vaste projet »694. Il en conclut que « les accords commerciaux en cause dans le cas d’espèce ne constituent pas de simples conventions de prêt… et que, même si c’était le cas, ce fait en lui-même ne s’opposerait pas à la qualification d’investissement protégé »695. Par la suite, l’établissement d’une correspondance entre l’opération et la très large définition de l’investissement donnée dans le traité bilatéral conclu entre l’Autriche et l’Ukraine ne pose aucune difficulté au tribunal696.

Concernant la qualification d’investissement au sens de l’article 25(1) de la Convention de Washington, le tribunal annonce d’emblée sa réticence à retenir de l’investissement une définition unique et rigide alors que, rappelle-t-il, les rédacteurs de la Convention n’en avaient eux-mêmes retenu aucune697. Il reconnaît toutefois qu’une définition particulièrement large de l’investissement dans un traité bilatéral pourrait conduire à englober des opérations qui ne sauraient objectivement être qualifiées d’investissements et que, dans ce cas, les critères ou indices dégagés par

692 Sent. CIRDI, Alpha Projektholding c. Ukraine, 8 nov. 2010, ARB/07/16, § 266.

693 Ibid., §§ 271 et 272.

694 Ibid., § 273 (notre trad.).

695 Ibid., § 274 (notre trad.).

696 Ibid., § 303. TBI Autriche-Ukraine, 8 nov. 1996, art. 1er.

les différents tribunaux CIRDI pourraient être utiles698. Cela l’amène logiquement à poser une forme de présomption simple : l’existence d’un investissement au sens du traité bilatéral applicable établirait a priori l’existence d’un investissement au sens de la Convention de Washington, sans que la possibilité d’administrer la preuve contraire soit exclue699. En l’occurrence, le tribunal admet aisément la réunion des critères d’apport, de durée et de contribution au développement de l’État d’accueil. Pour ce qui est, plus précisément, du critère du risque, il estime que l’existence d’une créance dont le montant est prédéterminé n’implique pas l’absence de risque puisque la possibilité d’un défaut « peut demeurer à un niveau élevé ». Ce à quoi il ajoute qu’« [e]xclure du champ de la protection de l’investissement tous les contrats dans lesquels le montant des paiements est prédéterminé conduirait à une importante lacune dans la Convention de Washington »700. La conclusion à laquelle le tribunal est conduit est sans surprise : la société Alpha a bien réalisé un investissement au sens de l’article 25(1) de la Convention de Washington701.

Il apparaît donc qu’au terme de raisonnements quelque peu différents, les deux tribunaux ont fini par admettre qu’un prêt pouvait constituer un investissement. Bien qu’ils ne le formulent pas expressément, ils ont ainsi considéré qu’un simple risque d’inexécution suffisait à la qualification d’investissement. C’est là sans doute également la raison de l’inclusion de contrats de construction dans la catégorie des investissements.

b. L’exemple du contrat de construction

150. Retour sur les décisions Salini et Bayindir. L’extension de la notion

d’investissement dans la jurisprudence du CIRDI ne s’est pas limitée aux opérations de prêt et autres opérations assimilées. Assez tôt, les contrats de construction ont également été considérés comme des investissements par les tribunaux CIRDI702. Pour l’illustrer, on reviendra sur deux affaires précédemment évoquées à propos des différentes formes possibles d’apports.

La première est l’affaire Salini, née du non-paiement par une entité publique marocaine des sommes réclamées par deux sociétés italiennes au titre de l’exécution du contrat de construction d’un tronçon d’autoroute reliant Rabat à Fès. Ayant été attrait devant le CIRDI, le Royaume du Maroc contestait la compétence du tribunal en faisant valoir que l’opération n’était pas constitutive d’un investissement. Le tribunal a donc une nouvelle fois été conduit à se prononcer sur la notion d’investissement au sens du traité bilatéral applicable et au sens de l’article 25(1) de

698 Ibid., §§ 313 et 314.

699 Ibid., § 315 ; v. égal. en ce sens (l’auteur était membre du tribunal), S. A. Alexandrov, « Toward an Understanding of Investments in Investor-State Arbitration », Cah. arb. 2010, p. 971, spéc. p. 981 et 982.

700 Sent. Alpha Projektholding, préc., § 323 (notre trad.).

701

Ibid., § 332.

702 Outre les deux décisions citées infra à titre d’exemple, v. déc. comp. CIRDI, RFCC c. Maroc, 16 juill. 2001, ARB/00/6, § 63 ; sent. CIRDI, Lesi-Dipenta c. Algérie, 10 janv. 2005, ARB/03/08, § 14(iii) ; Gaz. Pal. 2005, n° 349, p. 19, obs. F. Yala ; – déc. comp. CIRDI, Toto costruzioni c. Liban, 11 sept. 2009, ARB/07/12, § 70.

la Convention de Washington703. La qualification d’investissement au sens du traité bilatéral conclu entre l’Italie et le Maroc ne fait aucune difficulté puisqu’il prévoit notamment que « les droits à toute prestation contractuelle ayant une valeur écono-mique »704 constituent un investissement et que, de toute évidence, le marché de construction de l’autoroute faisait naître un tel droit705. Concernant la qualification d’investissement au sens de la Convention de Washington, le tribunal retient quatre critères : l’apport, ladurée, la contribution au développement de l’État d’accueil – ensemble d’éléments facilement caractérisés – et le risque706. Sur ce dernier point, il relève une série d’aléas auxquels les sociétés italiennes étaient exposées : l’éventuel renchérissement de la main d’œuvre, la possibilité d’accidents dans la réalisation des travaux ou l’absence d’indemnisation en cas d’augmentation du volume de travail n’excédant pas 20 % du prix total du marché707. Il en déduit alors l’existence d’un risque suffisant à la qualification d’investissement en indiquant qu’« une construction qui s’étale sur plusieurs années dont le coût ne peut être établi avec certitude par anticipation crée un risque manifeste pour l’entrepreneur »708.

La seconde affaire opposait la société Bayindir à l’État pakistanais au sujet de l’exécution d’un contrat de construction d’une autoroute reliant Islamabad à Peshawar. Une nouvelle fois, l’existence d’un investissement a été contestée sans succès par la partie étatique. Pour ce qui est de l’investissement au sens du traité conclu entre la Turquie et le Pakistan, la définition donnée visait « toute forme d’actif »709. Parce que la société Bayindir avait effectué un certain nombre d’apports, le tribunal décide qu’en l’occurrence il y avait bien eu investissement710. Pour ce qui est de l’investissement au sens de la Convention de Washington, le tribunal reprend à son compte les critères dégagés dans la décision Salini. Encore une fois, c’est le critère du risque qui cristallise la difficulté et ce d’autant plus que la société Bayindir avait reçu une avance en capital importante. Cependant, en contrepartie, elle avait dû consentir une garantie à première demande. Selon le tribunal, il en résulte que, de ce fait, elle s’était exposée à un risque d’appel irrégulier des garanties711. Et il ajoute qu’« en dehors des risques inhérents aux contrats à long terme,… l’existence même d’une période de garantie des vices d’un an et d’une période d’entretien rémunérée de quatre ans crée un risque évident pour Bayindir »712.

703 Déc. comp. CIRDI, Salini c. Maroc, 23 juill. 2001, ARB/00/4, §§ 43 et 44 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, vol. I, op. cit., p. 621.

704 TBI Italie-Maroc, 18 juill. 1990, art. 1er.

705 Déc. comp. Salini c. Maroc, préc., § 45.

706 Ibid., § 52.

707 Ibid., § 55.

708 Ibid., § 56.

709 TBI Turquie-Pakistan, 16 mars 1995, art. 1er.

710 Déc. comp. CIRDI, Bayindir c. Pakistan, 14 nov. 2005, ARB/03/29, § 121 ; E. Gaillard, La jurispru-dence du CIRDI, vol. II, A. Pedone, 2010, p. 219 ; RQDI, vol. 18, 2005, p. 386, obs. J. Fouret et D. Khayat.

711 Ibid., § 135.

151. Fondement apparent et fondement réel des deux décisions.

Com-ment interpréter ces deux décisions ? Dans la première, l’inclusion de contrats de construction dans la catégorie des investissements se trouve formellement justifiée par l’incertitude sur les coûts de réalisation de l’ouvrage. Cette incertitude serait en effet porteuse de risques puisqu’un renchérissement du coût des travaux réduirait la marge bénéficiaire de l’entrepreneur et pourrait même aller jusqu’à rendre l’opéra-tion déficitaire. Cependant, à raisonner de la sorte, il conviendrait d’étendre la nol’opéra-tion d’investissement à toutes les situations dans lesquelles un contractant ne peut

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