• Aucun résultat trouvé

L’assimilation du crédit à l’investissement en droit financier

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 169-179)

UNE POSSIBILITÉ D’ENRICHISSEMENT

TOUTE POSSIBILITÉ D’ENRICHISSEMENT N’AUTORISE PAS LA QUALIFICATION D’INVESTISSEMENT

B. L’assimilation du crédit à l’investissement en droit financier

159. Tout comme le droit de l’investissement, le droit financier paraît assez

accueillant à l’idée d’intégrer les opérations soumises à un risque d’inexécution dans la catégorie des investissements. On le constate aussi bien en droit positif (1) qu’en droit prospectif (2).

1. Droit financier positif

160. Risqued’inexécutionetqualificationd’investissementen droit finan-cier positif. En règle générale, le risque fondamental qui s’attache aux titres de

créance est l’inexécution de la part de l’émetteur. Ainsi, la détermination du point de savoir si un simple risque d’inexécution est susceptible de permettre la qualification d’investissement suppose de s’interroger sur l’intégration des titres de créance à la notiond’investissement.Laréponse étant évidemment positive, il apparaît clairement qu’en droit financier le risque d’inexécution suffit à la qualification d’investissement (a). Mais encore faudrait-il pour que l’on puisse extrapoler à partir de cet emploi particulier du terme « investissement » qu’il soit effectué de manière suffisamment rigoureuse, ce sur quoi on peut éprouver quelques doutes (b).

a. Constat

161. L’investissement est une prise de position sur un instrument finan-cier. « [I]nvestisseurs avertis »769, « investisseurs qualifiés »770, « investisseurs pro-fessionnels »771,« investisseursinstitutionnels »772,« investisseurs de concert »773, « cercles d’investisseurs »774,« sociétésd’investissement »775,« conseillersen inves-tissements »776, « entreprises d’investissement »777, « fonds d’investissement »778, « produits d’investissement »779, « services d’investissement »780, « recommanda-tions d’investissement »781… La référence constante aux investisseurs et à l’investis-sement dans le droit financier s’explique très certainement par le fait que ces termes renvoient à la notion d’« instrument financier », qui est l’objet même du droit

769 Cass. com., 5 nov. 1991, no 89-18.005, Bull. civ. IV, n° 327 (Buon) ; Bull. Joly bourse 1993, p. 296, obs. F. Peltier.

770 CMF, art. L. 411-2, II.

771 CMF, art. L. 214-143 et s., où il est plutôt question des « clients professionnels » mais ces dispositions sont insérées dans une sous-section intitulée « Fonds ouverts à des investisseurs professionnels ».

772 RG AMF, art. 315-35.

773 RG AMF, art. 111-6.

774 CMF, art. L. 411-2, II (plus exactement, « cercle restreint d’investisseurs »).

775 CMF, art. L. 214-4 et s. (sociétés d’investissement à capital variable) ; CMF, art. L. 214-127 et s. (sociétés d’investissement à capital fixe).

776 CMF, art. L. 541-1 (conseillers en investissements financiers) ; CMF, art. L. 547-1 (conseillers en investissements participatifs).

777 CMF, art. L. 531-4 et s.

778 CMF, art. L. 214-24 et s. (fonds d’investissement alternatifs).

779 A. Reygrobellet, « La curieuse notion de “produit d’investissement de détail” », RTDF 2011, p. 90 (la notion est encore discutée et n’a donc pas encore intégré le droit positif).

780 CMF, art. L. 321-1 et s..

financier. Deux illustrations devraient d’ailleurs suffire à démontrer les liens étroits entre ces notions.

La première tient à la notion d’« investisseur qualifié » inspirée du droit amé-ricain et introduite en droit français par une loi du 2 juillet 1998782. La distinction entre les investisseurs qualifiés et les investisseurs non qualifiés a essentiellement pour objet de permettre de cantonner l’obligation d’information des émetteurs sur le marché boursier. En principe, l’émission de titres financiers doit s’accompagner de l’établissement d’un prospectus, c’est-à-dire d’un document présentant en détail l’émetteur et l’opération et destiné à être diffusé au public après apposition de son visa par l’AMF783. Cependant, dès lors qu’une émission n’a vocation à être souscrite que par des investisseurs dits « qualifiés », l’émetteur est exonéré de l’obligation d’établir un tel prospectus784. Cette qualification permet ici d’alléger les démarches de l’émetteur en l’exonérant de son obligation d’établir un prospectus. Reste alors à déterminer ce qu’est un « investisseur qualifié » et c’est là qu’intervient la référence à l’instrument financier puisqu’aux termes de l’article L. 411-2 du Code monétaire et financier, « un investisseur qualifié est une personne ou une entité disposant des compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers »785. Ainsi, l’investisseur qualifié est celui qui, par ses qualités ou sa pratique, a une connaissance suffisante des instruments finan-ciers pour ne pas être créancier d’une obligation d’information à l’égard de l’émet-teur. C’est donc bien par référence aux instruments financiers que se définit ici l’investisseur.

La notion d’instrument financier permet également de définir la notion de « servicesd’investissement ».Onrappelleraicique, dans un souci de sécurisation des marchés, les activités professionnelles relatives aux marchés boursiers sont réservées à des personnes morales qui disposent d’un agrément à cette fin. Ces « prestataires de services d’investissement » bénéficient d’un monopole sur un type d’activité dé-signé sous l’appellation « services d’investissement ». Il est fait interdiction à toute personne ne disposant pas d’un agrément de prestataire de services d’investissement de fournir à titre de profession habituelle des services d’investissement786. Le champ

782 L. n° 98-546, 2 juill. 1998, « portant diverses dispositions d’ordre économique et financier », JO 3 juill. 1998, art. 30. Cf. É. Bernard et F. Peltier, « Investisseur qualifié », RD bancaire et bourse 1998, p. 156 ; M.-J. Experton, « L’investisseur qualifié », Bull. Joly bourse 1999, p. 140 ; B. Gourisse, « Quel avenir pour la distinction investisseur profane / investisseur averti dans un monde d’innovation financière permanente ? », in Mélanges AEDBF-France V, Revue Banque éd., 2008, p. 209, spéc. p. 217 et s.

783 CMF, art. L. 412-1. Sur le contenu du prospectus, v. not. A. Couret, H. Le Nabasque, M.-L. Coquelet, T. Granier, D. Poracchia, A. Raynouard, A. Reygrobellet et D. Robine, Droit financier, 2e éd., 2012, n°s 275 et s.

784 CMF, art. L. 411-2, II.

785 V. égal., CMF, art. D. 411-1. Et, de façon plus générale, sur la notion d’investisseur en droit financier, v. J.-B. Zufferey, La règlementation des systèmes sur les marchés financiers secondaires, Éd. Universi-taires Fribourg, 1994, n°s 600 et s. ; H. Causse, « L’investisseur », in Liber amicorum J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 261 ; T. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, Économica, 3e éd., 2010, n° 450 et s.

786 CMF, art. L. 531-10. Parmi les exceptions apportées à ce principe, on peut relever l’activité de conseil en investissements financiers, qui peut être exercée par les « conseillers en investissements financiers » pourtant non-titulaires d’un agrément en tant que prestataires de services d’investissement (CMF, art. L. 531-2, 2°).

d’application du monopole est donc délimité par la qualification de « services d’investissement ». Or, tout comme l’investisseur qualifié, le service d’investisse-ment est défini par référence aux instrud’investisse-ments financiers. L’article L. 321-1 indique que « [l]es services d’investissement portent sur les instruments financiers… ». Puis il énumère en détail les activités que cela représente et qui toutes, telles la réception-transmission d’ordres ou la gestion de portefeuille, ont pour objet la prise de position sur des instruments financiers787.

162. Les titres de créance sont des instruments financiers. Il résulte de ces

premières observations qu’en droit financier, l’investissement s’identifie à une prise de position sur un instrument financier788. La détermination du contenu de la notion d’investissement au sens du droit financier suppose donc de s’interroger sur la no-tion d’instrument financier. Cette nono-tion a été introduite en droit français par la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 mais, à l’époque, elle faisait uniquement l’objet d’une liste789. Pendant longtemps, le législateur s’est con-tenté de cette énumération sans chercher à définir ou à catégoriser les instruments financiers. Son attitude a toutefois quelque peu évolué par la suite puisqu’en 2009, une ordonnance est venue classer les instruments financiers en deux catégories : les titres financiers, d’une part, et les contrats financiers, d’autre part790. Les contrats financiers n’y sont pas définis et continuent de faire l’objet d’une liste. En pratique, il s’agit des produits dérivés791. Leur régime commun est réduit à peu de chose792. L’unité conceptuelle des titres financiers est heureusement mieux établie : les titres financiers sont des instruments financiers négociables et transmissibles par virement de compte à compte793. Il s’agit des titres de capital émis par les sociétés par actions, des parts ou actions d’OPCVM et – pour ce qui nous intéresse – des titres de cré-ance794. Ce qui retient ici l’attention est la référence à cette dernière forme de titres financiers qui revêtent la nature juridique de prêts d’argent795. Dans le cas des titres

787 H. Causse, « La notion d’investissement : en filigrane du droit financier », in Le concept d’investissement, Bruylant, 2011, p. 31, spéc. p. 41.

788 Cf. J.-B. Zufferey, La règlementation des systèmes…, op. cit., n° 602 : « il y a investissement sur le marché secondaire chaque fois qu’un participant y “prend une position” ». V. égal., sur les liens entre instruments financiers et investissement, M. Mokrowiecki, La notion juridique d’investisseur, thèse dactyl., Lille II, 2001, not. p. 29 et 411 ; H. Causse, « La notion d’investissement… », art. préc., spéc. p. 46 ; A. Tehrani, Les investisseurs protégés en droit financier, thèse dactyl., Paris II, 2013, n°s 362 et s. et 2e proposition de thèse, p. 539.

789 L. n° 96-597, 2 juill. 1996, « de modernisation des activités financières », JO 4 juill. 1996, art. 1 et 3.

790 Ord. n° 2009-15, 8 janv. 2009, « relative aux instruments financiers », JO 9 janv. 2009 ; CMF, art. L. 211-1, I. Cf. not., T. Bonneau, « Commentaire de l’ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers », JCP E 2009, 1105 ; M. Dubertret et D. Mangenet, « Réforme du droit des titres : commentaire de l’ordonnance du 8 janvier 2009 », D. 2009, p. 448 ; H. de Vauplane, « Définition des instruments financiers : une avancée conceptuelle majeure », Banque, n° 710, 2009, p. 84.

791 H. de Vauplane, « Définition des instruments financiers … », art. préc., p. 85.

792 Cf. M. Dubertret et D. Mangenet, « Réforme du droit des titres … », art. préc., n° 4, lesquels notent que le seul élément de régime commun à la catégorie des contrats financiers est contenu à l’article L. 211-35 du Code monétaire et financier, une disposition qui écarte l’application de l’exception de jeu de l’article 1965 du Code civil.

793 CMF, art. L. 211-14 et L. 211-15.

794 CMF, art. L. 211-1, II.

de créance, c’est-à-dire des titres obligataires et des titres de créance négociables, le risque assumé par l’acquéreur du titre est essentiellement un risque de crédit, autre-ment dit le risque d’une inexécution liée à l’insolvabilité de l’émetteur. Il en résulte qu’en droit financier, l’acquisition d’un titre de créance constitue un investissement, ce qui signifie par contrecoup que, dans ce domaine, le risque d’inexécution suffit à caractériser l’existence d’un investissement. Cependant, l’étude de la notion d’inves-tissementausensdudroitfinancier montre que l’emploi du terme manque de rigueur.

b. Contestation

163. Pour tirer des conséquences importantes de l’intégration d’opérations

assimilables à des prêts dans la notion d’investissement, encore faudrait-il que le choix même du terme « investissement » ait été parfaitement pesé par le législateur. Or, il semble que cela n’ait pas été le cas. La faiblesse est de deux ordres.

164. Approximation dans la traduction. Elle est tout d’abord liée à une

approximation dans la traduction. Voici près de soixante ans, un auteur notait que « le motanglais “investment” désigne deux opérations distinctes : l’investissement proprementdit et l’achat de valeurs mobilières, voire de certains biens durables com-me les terrains, les imcom-meubles, les objets d’art, etc., c’est-à-dire, conformécom-ment à la doctrine française : le placement »796. À la même époque, un autre auteur relevait par ailleurs le caractère trompeur du terme « investissement » dans l’appellation « so-ciété d’investissement à capital variable » : « [l’expression] a subi l’attraction dange-reuse du terme anglais “investment”. Le verbe “to invest” a deux sens : il signifie “placer son argent” et également “investir”, au sens de financer. Il eût été préférable que le législateur français reprît en 1945 l’expression “société de placement” »797.

À l’instar des « fonds communs de placement », il aurait donc fallu intituler cette forme de société inspirée des « investment funds » américains « société de placement à capital variable ».

Depuis lors, sur ce même modèle, l’erreur de traduction a été systématique-ment commise. À titre d’exemple, la notion d’« entreprise d’investissesystématique-ment » est la traduction de celle d’« investment firm » et la notion de « conseil en investissement » celle d’« investment advice ». Il convient certes de reconnaître qu’il existe une diffi-culté de traduction du terme « financial investor » puisque la notion de « placeur »798

– qui aurait parfaitement pu servir à désigner l’auteur d’un placement – n’a finale-ment jamais pris son essor. Mais, outre qu’il n’est pas trop tard pour introduire ce néologisme,ladifficulté vaut exclusivement pour la traduction du terme « investor ».

796 P. Dieterlen, L’investissement, M. Rivière, 1957, p. 39. Aujourd’hui encore, les auteurs de macroé-conomie rappellent fréquemment la nécessité d’employer le terme « placement » en matière boursière. V. par ex., R. Barre et F. Teulon, Économie politique, t. 1, PUF, 15e éd., 1997, p. 361 ; M. Refait, Épargne et investissement, PUF, 1998, p. 35 et s. ; G. Abraham-Frois, Introduction à la macroéconomie contempo-raine, Économica, 2005, p. 64 ; P. Villieu, Macroéconomie : l’investissement, La découverte, 2e éd., 2007, p. 4 ; O. Blanchard, D. Cohen et D. Johnson, Macroéconomie, Pearson, 6e éd., 2013, p. 100.

797 J.-P. Senn, Les sociétés d’investissement en droit français et comparé, LGDJ, 1958, n° 5.

798 V., employant et expliquant ce néologisme, G. Fain, Les placements, PUF, 2e éd., 1959, p. 5 ; Y. Bernard et J.-C. Colli, Dictionnaire économique et financier, Seuil, 4e éd., 1975, vo « Placement ».

On notera pour conclure sur ce point que l’idée d’imprécision dans la traduc-tion et dans l’emploi des termes placement et investissement est relayée par le fait que le législateur emploie indifféremment un mot pour l’autre. Dans le Code moné-taire et financier, il est ainsi indiqué que « [l]es fonds d’investissement de proximité sont des fonds communs de placement à risques »799. Mais à l’inverse, on peut y lire que « [l]es organismes de placement collectif immobilier ont pour objet

l’investisse-ment dans des immeubles »800. Dès lors que, dans le langage de ce Code, les fonds d’investissement « placent » et que les organismes de placement « investissent », il convient de reconnaître que, pour le législateur financier, les termes employés ne revêtent pas une importance capitale.

165. Hypertrophie de la notion. La faiblesse est également liée à

l’accep-tion même du terme « investissement », lequel intègre en droit financier des opéra-tions dont il apparaît indiscutablement qu’elles ne relèvent pas d’une forme d’inves-tissement. Comme on l’a précédemment relevé, en droit financier l’investissement est défini par référence à l’instrument financier. La prise de position sur un marché d’instruments financiers est donc qualifiée d’investissement. Or, comme on l’a en outre relevé, les produits dérivés constituent des instruments financiers, si bien que toute prise de position sur un produit dérivé est qualifiée d’investissement. Cela si-gnifie notamment que, au sens du droit financier, l’emprunteur qui souscrit un con-trat de swap à taux fixe pour se défaire du risque qu’il a initialement pris en empruntant à taux variable réalise un investissement801. Certes, l’évolution posté-rieure des taux d’intérêt pourra lui faire regretter d’avoir échangé un taux variable contre un taux fixe. Mais on ne saurait sérieusement considérer qu’en se défaisant de l’élément d’incertitude attaché au taux variable il a véritablement « investi ». Pareil-lement,l’entrepriseproductricedematièrespremières qui souscrit un contrat de vente à terme pour se couvrir contre une baisse des cours réalise un investissement puis-qu’ellesouscrituninstrument financier. En d’autres termes, la couverture d’un risque – qui apparaît intuitivement comme l’antithèse de l’investissement – constitue un in-vestissement pour le droit financier. Le législateur l’admet lui-même implicitement dans divers textes, dont la tournure prend dès lors quelquefois un aspect paradoxal, à l’image d’une disposition du Code des assurances qui indique que les entreprises de réassurance « peuvent investir dans des instruments financiers à terme dans la mesu-re où ces derniers contribuent à réduimesu-re les risques d’investissement… »802. À obser-verl’emploidu terme investissement on peut, là encore, éprouver quelque perplexité.

En définitive, on voit donc que la faiblesse conceptuelle de la notion d’inves-tissement dans le droit financier positif s’oppose à ce qu’on lui attribue une portée qui dépasserait ce domaine. Et, notamment, le rattachement des titres obligataires et autres titres de créance négociables à la notion d’investissement ne saurait être interprété comme étant le signe d’un nécessaire rattachement des opérations de prêt

799 CMF, art. L. 214-41-1-1.

800 CMF, art. L. 214-90.

801 À l’inverse – mais la question est différente –, il ne réalise pas une opération spéculative susceptible d’imposer au professionnel une obligation de mise en garde. Cf. Cass. com., 19 juin 2007, n° 05-22.037, Bull. civ. IV, n° 162 ; D. 2007, p. 1952, obs. X. Delpech.

d’argent à la notion générale d’investissement. Il faut néanmoins reconnaître que toutes ces observations relèvent de la sémantique et on peut donc légitimement se demander si l’unité qui, en droit financier, pourrait exister entre les titres de créance et les titres de capital ne justifierait pas de les intégrer tous deux dans la notion unitaire d’investissement.

2. Droit financier prospectif

166. Une autre raison qui pourrait justifier l’intégration à la notion

d’investis-sement des prêts et des autres opérations soumises à un risque d’inexécution tient au mouvement de convergence entre les titres de créance et les titres de capital. Ce mouvement est bien connu. Il a été mis en évidence avant même l’adoption de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales803 et il s’est depuis lors accentué avec la reconnaissance d’une certaine liberté dans la création des valeurs mobi-lières804. On évoquera d’abord brièvement la convergence, après quoi on contestera les conséquences qui en sont parfois tirées.

167. La convergence des titres de capital et des titres de créance. On a

assisté, dans les quarante dernières années, à l’apparition de ce que des auteurs ont qualifié de « capital muet »805. Le mouvement a été initié en 1978 avec la création des actions à dividende prioritaire sans droit de vote806. Comme l’appellation le suggère, les titulaires de telles actions bénéficiaient d’une priorité dans le paiement des dividendes et souffraient en contrepartie d’une absence de droit de voter aux assemblées générales. En 1983, le législateur introduisait une autre forme de titre de capital dépourvu du droit de vote. Cette fois-ci, la technique ne consistait pas à amputer une action des prérogatives politiques qui s’y attachent normalement mais à démembrer une action en deux titres distincts807. On a déjà évoqué cette division de l’action en un certificat d’investissement et un certificat de droit de vote808.

803 V. surtout, F. de Sola-Canizares, « La distinction entre l’action et l’obligation en Droit comparé », in Mélanges J. Maury, Dalloz-Sirey, 1960, p. 243, spéc. p. 245 et 252 ; adde, J. Derruppé, « La clause d’intérêts fixes », in Études J. Hamel, Dalloz, 1961, p. 179, n° 1 ; J. Hamel, « Quelques réflexions sur le contrat de société », in Mélanges J. Dabin, Bruylant-Sirey, 1963, p. 645, spéc. p. 655 ; F. Terré, « La distinction de la société et de l’association en droit français », in Mélanges R. Secrétan, Université de Lauzanne, 1964, p. 325, spéc. p. 325 et 326.

804 C. com., art. L. 228-36-A (v. G. Notté, « Ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés », JCP E 2014, 581, n° 7) ; adde, C. com., art. L. 228-91, disposition qui était déjà interprétée comme instaurant une liberté de la création des valeurs mobilières. Cf. J. Devèze, A. Couret, I. Parachkévova, T. Poulain-Rhem et M. Teller, Le Lamy droit du financement, Wolters Kluwer, 2015, n° 562 ; et, de manière plus nuancée, H. Le Nabasque, « La liberté d’émettre des valeurs mobilières », in Mélanges P. Le Cannu, Lextenso, 2014, p. 325, spéc. p. 326 et 327.

805 A. Couret, « Les nouveaux titres représentatifs de fonds propres », Bull. Joly 1986, p. 559, n°s 17 et 18 ; T. Bonneau, « La diversification des valeurs mobilières : ses implications en droit des sociétés », RTD com. 1988, p. 535, n°s 18 et s. ; v. supra, n° 32.

806 L. n° 78-741, 13 juill. 1978, « relative à l’orientation de l’épargne vers le financement des entreprises », JO 14 juill. 1978, art. 14 et s.

807 L. n° 83-1, 3 janv. 1983, « sur le développement des investissements et la protection de l’épargne », JO 4 janv. 1983, art. 5.

Rappelons donc seulement que le titulaire du certificat d’investissement ne dispose pas des prérogatives politiques normalement attachées à une action puisque celles-ci sont exercées par le titulaire du certificat de droit de vote correspondant.

Lorsqu’en 2004, l’émission de nouvelles actions à dividende prioritaire sans droit de vote et de nouveaux certificats d’investissement a été interdite809, l’idée de capital muet n’a pas pour autant été abandonnée. Le relais a été pris par la notion d’« action de préférence ». Une action de préférence est un titre de capital auquel sont associés des droits particuliers qui, contrairement ici à ce que son appellation pourrait faire penser, ne sont pas nécessairement des avantages. Ainsi, « c’est l’alté-rité et non le privilège qui définit l’action de préférence »810 : l’action de préférence est un type d’action qui diffère des actions ordinaires. Or, l’une des spécificités expressément prévue par le législateur tient à l’absence de droit de vote. L’article L. 228-11 du Code de commerce dispose en effet que « [l]e droit de vote peut être aménagé pour un délai déterminé ou déterminable. Il peut être suspendu pour une durée déterminée ou déterminable ou supprimé ». La faculté pour les sociétés par actions de créer des titres de capital dépourvus du droit de vote demeure donc par-delà le changement dans la technique employée. Il y a évidemment là un premier rapprochement troublant entre la catégorie des titres de capital et la catégorie des titres de créance.

Toutefois, le rapprochement n’a pas été unilatéral puisque, au mouvement de

Dans le document L'investissement (étude juridique) (Page 169-179)