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Paragraphe second – Les inconvénients et limites de la désignation légale des secteurs d’activités

Le champ d’application défini et délimité avec précision par le législateur suscite quelques critiques propres aux secteurs désignés par la loi [A] ainsi que des critiques plus générales [B].

29 Instruction de la Direction de la Navigation Aérienne n° 90.059 DNA/D du 31 juillet 1987, disponible notamment sur

www.sncta.fr/reference/guide/GUIDE/B6-2.htm

30 CE 12 avril 1995, Syndicat autonome des personnels de l’aviation civile, R.J.S. 1995, n° 727.

31 C’est-à-dire le Centre d’exploitation des systèmes de navigation aérienne centraux [C.E.S.N.A.C.] (1° et 2° du décret) ; les

cinq C.R.N.A. de métropole (y compris les stations radar isolées et les détachements civils de coordination qui dépendent de ces C.R.N.A.) ; les maintenances régionales et sous-régionales ; les aérodromes d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle, l’aérodrome de Mulhouse - Bâle ; un aérodrome civil dans chaque région de métropole énumérée par le décret, lorsqu’un aérodrome militaire de cette région ne peut être utilisé par les vols nécessaires à la continuité de l’action gouvernementale et à la sauvegarde des personnes et des biens (à savoir : D.R.A.C.-Nord [Deauville, Nantes], D.R.A.C.-Sud-Est [Ajaccio, Clermont-Ferrand, Lyon-Satolas, Marseille], D.R.A.C.-Sud-Ouest [Toulouse-Blagnac, Bordeaux-Mérignac, Poitiers, Limoges]. Les régions de métropoles non prévues par le décret peuvent être desservies par un aérodrome militaire ouvert à la circulation aérienne publique [Strasbourg-Alsace, Metz-Lorraine, Dijon-Bourgogne, Tours-Centre, Nîmes-Languedoc- Roussillon, Reims-Champagne] ou non ouvert à la circulation aérienne publique [Cambrai-Nord-Pas-de-Calais, Creil- Picardie, Évreux-Haute-Normandie, Lorient-Bretagne, Luxeuil-Franche Comté]) ; les aérodromes de Nice, Bastia, Calvi ; les principaux aérodromes des départements, des territoires et des collectivités territoriales d’outre-mer (6° du décret) ; le Centre de contrôle régional de Tahiti.

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A. Les critiques propres aux secteurs des services minimums légaux

La question est celle de savoir pourquoi le législateur a tenu à intervenir dans ces deux secteurs. En ce qui concerne le premier secteur concerné par le service minimum, il est facile de comprendre que le gouvernement puisse avoir besoin de recourir à la radio ou à la télévision pour informer la population. « Un minimum d’informations télévisées est indispensable aujourd’hui à l’action gouvernementale, et donc au maintien de l’ordre, au même titre qu’un minimum d’information radiodiffusées, à la fois pour mettre le public au courant et pour faire éventuellement appel à lui […]. »32 Le législateur a explicitement prévu cette possibilité pour le gouvernement33. Ce dernier peut utiliser ce moyen de communication pour diffuser toute déclaration qu’il juge nécessaire ; un droit de réplique existe également. En outre, les débats parlementaires sont retransmis régulièrement en direct ainsi que les campagnes électorales. Les bulletins d’information sont donc utilement maintenus en période de grève du service. Le scepticisme est de rigueur quant à la nécessité de maintenir un programme de détente, c’est-à-dire quant à l’opportunité de faire prévaloir un hypothétique droit à la détente par rapport à un droit reconnu par le Préambule de la Constitution française. Edgar FAURE34 soulignait avec raison que le législateur affirme effectivement le caractère national du service public, mais n’affirme rien d’autre. La mission de ce service public ne se réduit pas à un simple droit à l’image. Il existe un droit à l’information et un droit à la culture. En revanche, il n’existe pas de droit fondamental au divertissement. Mais il s’agit là plus d’une réflexion à tenir sur le contenu du service minimum de la radio et à la télévision, que sur l’existence même du service minimum dans ce secteur. Toutefois, la large privatisation de ce secteur semble vider de sa substance la justification de ce service minimum : la population peut, en effet, s’informer et de divertir par d’autres moyens.

En ce qui concerne le secteur des « aiguilleurs du ciel », le service minimum est incontestablement indispensable pour des raisons de sécurité. Ce service minimum fonctionne avec une grande régularité par rapport aux dispositions réglementaires. Tous les avions qui circulent dans le

32 Concl. commissaire du gouvernement L. BERTRAND sous CE Ass. 4 février 1966, Syndicat unifié des techniciens de la

R.T.F. et autres et Syndicat libre de la R.T.F., loc. cit., note 12, p. 334.

33 Ce droit pour le gouvernement existait déjà, en 1964 et en 1972, respectivement, en vertu de l’article 5 de Loi n° 64-621 du

27 juin 1964 (loi précitée, note 13) et de l’article 11 al. 1er de la loi n° 72-553 du 3 juillet 1972 (loi précitée, note 14). Il existe

encore aujourd’hui, en vertu des articles 54 et 55 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée par les lois n° 2000- 719 du 1er août 2000 et n° 89-25 du 17 janvier 1989 (lois précitées, note 19). Le décret d’application de la loin° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoyait la diffusion des émissions des campagnes électorales (décret n° 82- 1168 du 29 décembre 1982 relatif à l’organisation d’un service minimum dans les organismes du service public de la radiodifffusion sonore et de la télévision en cas de cessation concertée du travail, art. 2 al. 1er [JO 31]).

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ciel sont sous haute surveillance. Les couloirs aériens sont contrôlés en permanence afin d’éviter tout accident forcément grave et fatal pour les occupants des avions, voire pour les personnes au sol. Le rôle fondamental de ces agents doit être assuré même en cas de grève. Ceci est tellement vrai que, dans un premier temps, comme il a déjà été souligné, les « aiguilleurs du ciel » étaient privés du droit de grève. D’abord, en l’absence de dispositions législatives, le juge administratif avait reconnu la légitimité de l’interdiction de faire grève aux agents occupant des emplois indispensables au fonctionnement normal des services de sécurité aérienne35. Ensuite, le législateur avait formulé, certes de manière assez floue, l’interdiction. Certains s’étaient posé la question de savoir si l’interdiction existait bel et bien ou non36. La réponse de Monsieur Marcel CAVAILLÉ, secrétaire d’État aux transports, a été claire :

« Il n’entre pas dans les intentions du gouvernement de revenir sur la loi de 1964 qui réglemente le droit de grève des contrôleurs de la navigation aérienne. Cette loi a réalisé, à l’époque, un équilibre difficile entre les avantages et les sujétions de la profession et dans l’état actuel des choses il ne me paraît pas opportun de remettre en cause cet équilibre qui est fragile. »37

Le Conseil d’État38 a interprété les dispositions de la loi de 1964 en considérant qu’elles interdisaient formellement l’exercice du droit de grève aux personnels de la navigation aérienne. L’interdiction a été vivement critiquée : d’une part, elle revenait à supprimer facilement un droit fondamental et démocratique ; d’autre part, elle n’était justifiée ni par les menaces de risques de paralysie du trafic des appareils militaires, ni par les menaces pour le territoire national. En effet, si les services civils occupent une place importante dans la défense aérienne en donnant des informations d’identification et en contribuant à la « couverture radar » du territoire, cette tâche ne leur incombe pas principalement. Qui plus est, même en période de grève, des avions civils circulent tout de même et communiquent ces informations. Enfin, sur un plan plus technique, l’interdiction enfreindrait la convention internationale de Chicago de l’aviation civile du 7 décembre 1944 prévoyant la diffusion d’informations dites « notams ».

Le législateur a fini par revenir sur cette interdiction, lui préférant le service minimum. La grève est possible à condition d’assurer un minimum de continuité de l’activité. Toutefois, la loi de 1984 mettant en place le service minimum dans ce secteur n’a pas été votée sans critiques. Selon

35 CE 26 octobre 1960, Syndicat général de la navigation aérienne et autres, Rec. 567.

36 CE 28 avril 1976, Gorin, Rec. 975 ; Jacques ROBERT, « Note sous CE 28 avril 1976, Gorin », R.D.P. 1976, pp. 1322 s.

spéc. p. 1324 : « Il est difficile, à la seule lecture des textes, de donner une réponse – affirmative ou négative – sans réserve. »

37 JO Sénat, Débats, 2 décembre 1974, p. 2309. La sujétion prend ici la forme de l’interdiction du droit de grève. 38 CE 28 avril 1976, Gorin, décision précitée, note 36.

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Monsieur Jean ARTHUIS39, les droits des fonctionnaires se développent alors que leurs obligations diminuent. De surcroît, certains avantages qui leur sont octroyés en contrepartie de l’interdiction de faire grève sont maintenus, alors qu’ils récupèrent l’exercice de ce droit. Par ailleurs, la mise en place d’un service minimum semblerait vouloir prendre acte de la pratique : rendre partiel l’exercice d’un droit qui était exercé pleinement malgré l’interdiction40.

Ces deux secteurs désignés par le législateur sont également l’objet de critiques qui peuvent concerner l’ensemble des secteurs d’activités connaissant le service minimum.

B. Les critiques générales

Les inconvénients de la désignation légale des secteurs d’activités concernés par le service minimum sont multiples. En premier lieu, la désignation légale conduit à une certaine rigidité du champ concerné par le service minimum. Ce manque de souplesse peut présenter des avantages et des inconvénients : dans un domaine où se côtoient plusieurs principes de valeur constitutionnelle, la loi peut constituer un gage de sécurité par sa permanence. Si le législateur désigne tel secteur comme devant mettre en place un service minimum, lui seul pourra éventuellement par la suite revenir sur cette désignation. La reconnaissance de services minimums légaux obligerait les personnels concernés à les mettre en œuvre. Les conciliations opérées entre les différents principes constitutionnels gagneraient peut-être à être légalisées systématiquement. Mais, le vote de lois organisant spécialement un service minimum dans tel ou tel secteur peut constituer un carcan légal, qui plus est, privé de toute efficacité si les textes sont inadaptés aux particularités du secteur public en question.

En deuxième lieu, il faut reconnaître qu’il est difficile de dresser une liste des secteurs devant être concernés par le service minimum : comment déterminer avec certitude les services dont le caractère indispensable impose la mise en place d’un service minimum ? À un moment précis, tel secteur d’activité peut apparaître indispensable et la mise en œuvre d’un service minimum sembler

39 SÉNAT, Rapport n° 376 (1983-1984), M. J. ARTHUIS, documents Sénat, Commission des Lois constitutionnelles, de

Législation, du Suffrage Universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée Nationale, abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l’aviation civile, et relatif à l’exercice du droit de grève dans les services de navigation aérienne, spéc. pp. 10-11.

40 Idem, p. 20. En effet, une étude de l’application des lois de 1964 et 1971 montre que des conflits majeurs ont eu lieu

malgré l’interdiction de faire grève (notamment pendant les périodes de pointes de trafic de l’été). L’application des sanctions a, toutefois, un relatif effet dissuasif puisque, s’il y a eu des grèves non « autorisées », il n’y a pas eu de conflits importants.

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nécessaire. Mais à un autre moment, dans des circonstances différentes, une grève sans service minimum pourrait très bien être envisagée sans que cela pose problème. Ce cas de figure peut être illustré par l’ouverture d’un service public à la concurrence. À partir du moment où l’État n’est plus le seul à assurer le service concerné et que le secteur s’ouvre à la concurrence, la population est en mesure de trouver les mêmes services chez les entreprises concurrentes. Le service minimum n’a – en pratique – plus de raison d’être, sauf à s’en tenir à une position stricte et rigide de la justification du service minimum par le principe de continuité. Mais même dans ce cas, si l’État a choisi de ne plus assurer seul tel secteur d’activité, c’est que la continuité du service public concerné n’est plus aussi impérative qu’elle ne l’était auparavant. Il existe également un risque de dénaturation de la notion de nécessité, comme l’a montré le cas de la radio et de la télévision.

En troisième lieu, le choix des principes justifiant la mise en œuvre d’un service minimum, ainsi que la rigidité ou la souplesse de leur application, peuvent influencer l’étendue du champ des secteurs concernés. Si l’on opte pour une application rigide et stricte du principe de continuité – dans le cas d’une conciliation avec le droit de grève – il conviendra de mettre en place systématiquement un service minimum. Si l’on mêle principe de continuité et sauvegarde de la santé ou de la sécurité des personnes, il serait logiquement possible de ne prévoir l’institution de services minimums que dans les secteurs publics où une discontinuité du service constituerait un risque pour la santé ou la sécurité des personnes. Si l’on souhaite prendre largement en considération les exigences de la population à l’égard des services publics, il semble que la population semble peu encline à accepter une société aux services publics « à éclipses ».

Par ailleurs, l’observation de l’ensemble des services publics faisant l’objet d’une interdiction pure et simple du droit de grève fait apparaître que certains d’entre eux pourraient être légitimement admis dans la catégorie des services publics soumis à l’obligation du service minimum. Parmi eux, on peut citer par exemple la magistrature. Les magistrats ne pourraient-ils pas faire grève en respectant la mise en place d’un service minimum ? En ce qui concerne les autres corps de la fonction publique, dans la mesure où ils sont directement impliqués dans la sauvegarde de la protection de la population et de la préservation de la sécurité, une continuité perturbée, même faiblement, présenterait trop de risques pour être acceptable et envisageable.

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