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Les fondements de la compétence limitée du législateur

Paragraphe premier – Un problème de dualité de compétences : législateur et gouvernement

A. Les fondements de la compétence limitée du législateur

Malgré de solides fondements [1], la compétence du législateur demeure relativement contrainte [2].

1. Les fondements de la compétence de principe du législateur

La compétence du législateur trouve ses origines tant dans la Constitution [a] que dans les jurisprudences – certes divergentes – des hautes juridictions que sont le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État [b].

a. La Constitution du 4 octobre 1958

Le droit de grève étant en France un droit de valeur constitutionnelle, les restrictions qui peuvent lui être apportées doivent être le fait d’autorités précisément identifiables et autorisées. La détermination de l’autorité compétente ne devrait pas poser problème si l’on s’en tient à ce qui est prévu dans l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Il s’agit de la compétence législative réaffirmée constamment tant par la Constitution du 4 octobre 1958 que par la jurisprudence. En effet, la

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Constitution reprend le Préambule de la Constitution de 1946 et considère le droit de grève comme une liberté publique au sens de son article 34. Cet article dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l’État et les principes fondamentaux du droit du travail.

b. Les jurisprudences divergentes du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel

La Constitution manquant peut-être de précisions156, les juges ont interprété le Préambule avec

beaucoup de liberté. Le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel s’accordent pour reconnaître la compétence de principe du législateur pour limiter l’exercice du droit de grève. Le Conseil d’État, dans son célèbre arrêt Dehaene, affirme cette compétence du législateur qui est invité « à opérer la

conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte. »157

Le Conseil constitutionnel confirme, dans les mêmes termes, la compétence législative : le législateur est habilité à tracer les limites du droit de grève « en opérant la conciliation nécessaire

entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général, auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. »158

La mise en œuvre du service minimum consiste en l’aménagement d’un droit constitutionnel ce qui implique nécessairement l’intervention du législateur. Il est tout à fait acceptable que celui-ci confie l’organisation du service minimum à des autorités administratives, à condition qu’il en prévoit les limites.

156 Dans la mesure où ce droit s’exercerait « dans le cadre des lois qui le réglementent », il était envisageable de se demander

s’il ne s’agissait pas là d’un droit conditionnel dont l’existence dépendrait de l’intervention effective du législateur venant lui donner le cadre annoncé.

157 CE Ass. 7 juillet 1950, Dehaene, Rec. 426. Les italiques sont nôtres.

158 CC n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, décision précitée, note 35. Les italiques sont nôtres. La compétence législative sera

confirmée à plusieurs reprises : CC n° 80-117 DC du 22 juillet 1980, Protection et contrôle des matières nucléaires, R.C.C. 42 ; D. 1981, jurisp., p. 65 et p. 66 note C. FRANCK ; CC n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, Irresponsabilité pour fait de grève, R.C.C. 61 ; D. 1983, jurisp., p. 189, note F. LUCHAIRE ; CC n° 87-230 DC du 28 juillet 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social, décision précitée, note 37 ; G. LYON-CAEN « La jurisprudence du Conseil Constitutionnel intéressant le droit du travail », D. 1989, chron., p. 289.

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Les deux juridictions s’expriment pratiquement dans les mêmes termes, mais leur position divergent quelque peu sur la portée de cette compétence. Pour le Conseil Constitutionnel, la compétence législative est exclusive, c’est-à-dire qu’elle exclut l’intervention de toute autorité en l’absence de prise de mesure par le législateur. Seul le législateur peut limiter ou interdire l’exercice du droit de grève dans le respect de la Constitution. En effet, dans la mesure où le droit de grève constitue l’exercice de la liberté fondamentale, seule la loi peut le réglementer. Pour le Conseil d’État, la compétence législative est seulement une compétence principale, c’est-à-dire qu’en cas de carence du législateur, une compétence résiduelle revient à d’autres autorités159. Cette conception n’est pas sans contraintes.

2. Une compétence quelque peu contrainte

Le législateur bénéficie certes d’une compétence de principe mais il doit respecter plusieurs limites. En premier lieu, le législateur se doit de respecter le domaine réservé au constituant160. Seul le constituant peut abroger un principe qu’il a créé. Le législateur ne peut qu’en limiter la portée. Le Conseil Constitutionnel souligne implicitement cette soumission au constituant en commandant au législateur de concilier les principes de valeur constitutionnelle. Il semble qu’il doive se contenter de concilier même s’il est libre dans la manière de concilier. Il a déjà été vu que la conciliation entraîne nécessairement l’emprise, l’ascendant ou tout au moins la prédominance d’un principe sur l’autre.

En deuxième lieu, le législateur ne peut imposer à l’exercice du droit de grève que des restrictions nécessaires, au regard des exigences constitutionnelles fondant sa compétence. La notion de restrictions nécessaires n’est pas propre à cette compétence législative, mais est également utilisée, par exemple, par les juridictions administratives en ce qui concerne la légalité des mesures de police. Elle sous-tend la nécessité de préserver une liberté publique. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision de 1979161, déclare contraire à la Constitution une loi qui pouvait conduire à exiger des personnels de la radiodiffusion et de la télévision non plus un service minimum mais un service normal. En d’autres termes, il condamne un texte qui porte atteinte au droit de grève en dehors de la limite du strict nécessaire. Les pouvoirs du législateur ne sont donc étendus que lorsqu’il s’agit

159 À noter que la Cour de cassation, elle aussi, estime que le législateur n’est pas le détenteur exclusif mais prioritaire, de la

compétence de réglementer l’exercice du droit de grève : Cass. Soc. 9 juillet 1951, Houillères du Bassin des Cévennes c. Bord, BC III n° 567 ; Dr. soc. 1952, p. 115, obs. P. DURAND.

160 C. LEYMARIE, « Le droit de grève à la radiodiffusion-Télévision française », Dr. soc. 1980, pp. 7 s. spéc. p. 12. 161 CC n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, décision précitée, note 35.

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d’assurer le fonctionnement des éléments de service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays. Dans une hypothèse contraire, il ne peut pas apporter des restrictions au droit de grève qui auraient pour conséquence de faire obstacle à son exercice.

En troisième lieu, le législateur doit respecter, le cas échéant, le domaine réservé au pouvoir réglementaire. Il ne s’agit pas ici du pouvoir spécifiquement réglementaire qui édicte des règles qui s’imposent aux citoyens, mais du pouvoir d’organiser les services publics qui se borne à la faculté de prendre des décisions, quelle qu’en soit la forme, qui déterminent les conditions de fonctionnement des services publics162. En effet, certaines dispositions légales renvoient la détermination de leurs modalités d’application à des décrets en Conseil d’État. Ce n’est pas encore le cas pour l’exercice du droit de grève mais il n’est pas rare – pour ne pas dire quasi systématique – que les propositions de loi en la matière renvoient de cette manière la définition des modalités d’application des dispositions163.

Malgré la proclamation on ne peut plus solennelle et explicite de cette compétence, le législateur n’est que très peu intervenu dans le domaine de la grève, et avec beaucoup de parcimonie en ce qui concerne la définition ou l’organisation d’un service minimum. Cette frilosité qui perdure depuis la fin des années quarante, était liée à des raisons politiques alors que le climat social était difficile. Quelques réglementations sporadiques du droit de grève, édictées à l’occasion de situations très tendues, de cas d’urgence, sont devenues des dispositions permanentes toujours en vigueur aujourd’hui164. Ce constat amène à s’interroger sur les possibilités et l’opportunité de la délégation de la compétence du législateur notamment au gouvernement.

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