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Paragraphe premier – Le principe de continuité des services publics

B. La valeur juridique du principe de continuité

1. La jurisprudence administrative

La détermination de la valeur juridique de ce principe n’est pas une entreprise aisée comme le souligne Monsieur Jean-Paul GILLI24 :

« Si l’on s’en tient simplement aux aspects administratifs de la continuité, on constate que l’on n’est pas toujours en présence de cette norme à force obligatoire dont le juge sanctionne la violation par l’administration, qui correspond à l’image généralement reçue des principes généraux du droit. Car si la continuité intervient parfois en tant que norme véritable, dans de nombreux cas au contraire elle n’apparaît que comme simple idée directrice de la jurisprudence prétorienne. »

Durant une longue période, le juge administratif s’est refusé à préciser la valeur de ce principe. De cette manière, le juge restait libre de confronter le principe de continuité et les autres règles de droit

23 Art. L. 6112-2 al. 2 du Code de la santé publique (accueil de tous les patients jour et nuit, éventuellement en urgence, ou

organisation de l’admission dans un autre établissement) ; art. L. 6112-2 al. 3 du Code de la santé publique (dispense aux patients des soins nécessaires en veillant à leur continuité).

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et d’en tirer la conséquence désirée : la continuité du service public s’impose comme une impérieuse nécessité à toutes les normes juridiques susceptibles de la mettre en péril25.

Le Président ODENT26 considérait la continuité comme le premier principe général de droit dégagé par la jurisprudence. De ce fait, sa valeur infra-législative et supra-décrétale l’impose à l’administration sans que le Conseil d’État n’ait besoin de lui reconnaître une valeur constitutionnelle puisqu’il ne pourrait pas contrôler la constitutionnalité des lois et des actes administratifs fondés sur un texte législatif27. Le contentieux de la grève dans les services publics donne l’occasion au juge administratif de prendre position sur la nature de la continuité. Dans l’arrêt Winkell28, le juge administratif se réfère au principe de continuité pour justifier l’interdiction du droit de grève dans les services publics. Quelques années plus tard, dans l’affaire Dehaene, le Conseil d’État invoque ce même principe pour justifier la réglementation du droit de grève dans les services publics sans toutefois l’interdire29. Entre-temps, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 avait reconnu le droit de grève.

En 1909, le commissaire du gouvernement TARDIEU met en évidence la valeur constitutionnelle du principe lorsqu’il affirme dans ses conclusions que l’État est une collection de services publics dont l’atteinte est une atteinte même à l’État. La continuité des services publics est nécessaire à l’État. Dès lors, il convient d’admettre la valeur constitutionnelle de la continuité. En 1950, dans un contexte certes différent, le commissaire GAZIER consacre la même valeur au principe.

Les arrêts eux-mêmes reconnaissent la valeur constitutionnelle du principe de continuité des services publics. L’arrêt Winkell affirme que toute atteinte à la continuité des services publics du fait de la grève des fonctionnaires aboutit à placer ceux-ci en dehors des garanties prévues par la loi. Le juge reconnaît au principe une valeur supra-légale puisqu’il écarte l’application de certaines lois au nom de la continuité30.

25 É. DEVAUX, La grève dans les services publics, t. 1, 2ème éd., Paris, P.U.F., 1995, p. 182. 26 Raymond ODENT, Cours de contentieux administratif, fasc. V, p. 1710.

27 Contrôle de la constitutionnalité qui, de toute façon, n’existait pas avant la Vème République. 28 Décision précitée, note 11.

29 Décision précitée, note 12.

30 Selon Maurice HAURIOU, partisan de l’idée d’inconstitutionnalité de la loi de 1905, il s’agira plutôt « d’une contradiction

entre la loi et les conditions nécessaires d’existence de l’État, dont on peut dire qu’elles sont plus fondamentales encore que les règles positives de la Constitution écrite : ces conditions fondamentales d’existence de l’État exigent, d’une part, que les services publics indispensables à la vie de la nation ne soient pas interrompus, et, d’autre part, que les fonctionnaires soient en paix avec le gouvernement. » M. HAURIOU, loc. cit., note 11, p. 147.

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L’arrêt Dehaene donne l’occasion au Conseil d’État de préciser davantage son point de vue. En effet, il veut concilier la continuité et le droit de grève dont la valeur constitutionnelle semble évidente compte tenu du Préambule de la Constitution du 27 octobre 194631. Or, il n’est opportun de concilier que des normes de valeur juridique identique. Monsieur Marcel WALINE va encore plus loin en affirmant que la continuité est un principe de valeur supra-constitutionnelle : « Tout se passe comme si pour le Conseil d’État, il existait au-dessus des lois écrites, même constitutionnelles, un principe supérieur de droit coutumier se résumant en ceci : la continuité du fonctionnement des services publics essentiels à la vie nationale doit être assurée à tout prix. »32 Dans des décisions plus récentes, le Conseil d’État fait référence au « principe fondamental de la continuité du service

public. »33

Le législateur de 197234 érige le principe de continuité en obligation légale sans donner pour

autant une solution simple et claire au problème de la confrontation du droit de grève et de la continuité des services publics. C’est le juge constitutionnel qui s’attelle à cette tâche en 1979 pour consacrer expressément la valeur constitutionnelle du principe de continuité.

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